ENTRETIEN – Grand communicant, Augustino Agbemavo a co-créé Bookconekt pour faciliter l’accès au livre via le digital. C’est un pari sur le développement du numérique et d’autres modes de « consommation » du livre. Il commercialise les accès à la bibliothèque numérique YouScribe et mise sur la promotion des auteurs béninois. Propos recueillis par Agnès Debiage, fondatrice d’ADCF Africa.
Il se revendique libraire digital et apparaît comme un électron libre dans la chaîne du livre locale faisant bouger les lignes en ouvrant de nouvelles portes. Jeune et très souriant, Augustino séduit par son dynamisme et son énergie à vouloir avancer. Il comptait parmi les participants à l’atelier de structuration de la chaîne du livre au Bénin que j’ai animé en 2022 et je l’ai recroisé aux Rencontres africaines (Ressources éducatives) à Dakar.
Il semble être partout. Cet hyperactif qui aime développer les collaborations, maîtrise l’art du storytelling dans sa communication et promeut la production éditoriale béninoise. Mais concrètement, comment se positionne Bookconekt sur le marché du livre au Bénin et comment s’intègre-t-il dans cette interprofession ?
Pourquoi avez-vous créé une librairie en ligne au Bénin ?
Augustino Agbemavo : C’est avant l’aboutissement d’un projet personnel, d’un rêve d’enfant qui est passé par plusieurs phases. D’un projet social c’est devenu un projet business avec l’ouverture de la librairie en ligne. On a pris conscience que lorsque les parents voulaient acheter un livre à leurs enfants, ils devaient faire plusieurs kilomètres, parfois des allers-retours s’ils ne trouvaient pas ce qu’ils souhaitaient. Alors on a réfléchi à comment utiliser internet pour faciliter cet accès au livre.
Cette idée a germé depuis 2017. Nous avons eu la chance de bénéficier de programmes d’incubation et d’être accompagnés par des accélérateurs au Bénin et à l’étranger. Cela nous a permis de mieux mûrir notre concept, de l’affiner et Bookconekt a démarré en 2020 avec une montée en puissance depuis l’an dernier. On a beaucoup tâtonné et comme beaucoup de start-ups, on a dû surmonter des problèmes de financement. Les jeunes ont envie de lire et c'est notre rôle de les aider.
La vente en ligne se développe-t-elle au Bénin, quels sont les éventuels freins qu’elle rencontre ?
Augustino Agbemavo : La vente en ligne est très récente dans notre pays et a démarré il y a 3 ou 4 ans maximum. Les gens sont encore souvent réticents à commander en ligne. Il faut une phase de mise en confiance. Chez Bookconekt, les internautes vont souvent sur notre site, repèrent les livres qui leur plait, mais ils préfèrent nous envoyer un message directement plutôt que de rentrer dans un processus de commande en ligne.
Cela fait que nous enregistrons beaucoup de visites sur le site, mais très peu d’achats directs. Sauf pour les personnes qui résident à l’étranger et sont plus familières de ce type d’achat. Pour s’adapter aux usages locaux, on a fait une refonte du site pour rajouter l’option « commander via WhatsApp ». Du coup, le site devient une formidable vitrine, mais les achats se passent surtout par messagerie.
Mais petit à petit, on les amène à tester la commande en ligne. Pas mal de sites marchands se sont développés au Bénin, mais nous sommes les premiers à avoir créé une librairie 100 % en ligne. Pour le paiement, la plupart de nos clients utilisent le paiement via leur téléphone (mobile money), très répandu chez nous.
Aujourd’hui, où sont les clients de Bookconekt ?
Augustino Agbemavo : Tout d’abord, nos clients sont plus au Bénin qu’à l’étranger (20 % uniquement) et la majorité vit en dehors de Cotonou, la capitale. Ils sont dans des zones urbaines ou semi-urbaines, là où l’accès à internet est facilité. Nous avons conclu un accord avec DHL pour pouvoir expédier partout dans le monde et au Bénin, nous utilisons des prestataires locaux et notamment La Poste avec qui nous avons négocié un contrat.
Nous travaillons actuellement à avoir plusieurs compagnies de transport au Bénin afin de diversifier nos stratégies pour faciliter les livraisons. Nous servons pas mal de clients sur Porto Novo, Calavi et Ouidah. Ainsi le client a le choix entre différentes compagnies pour l’envoi de son livre, chacune avec des avantages et inconvénients.
On n’a aucun mal à livrer même dans un petit village, car il existe pas mal de prestataires. Mais nous voulons nouer de vrais partenariats avec certaines entreprises de transport pour nous inscrire dans la durée.
Qu’est-ce que les clients achètent sur Bookconekt ?
Augustino Agbemavo : Cette question me fait penser à une autre question qu’on me pose souvent « Est-ce que les gens lisent au Bénin ? ». Bookconekt a choisi l’option de se focaliser sur les enfants, les jeunes et les ados. Donc on a plus de choix jeunesse qu’adulte. C’est ce qu’on met le plus en avant aujourd’hui et qu’on vend le mieux. On fait beaucoup de promotion sur nos réseaux sociaux. Les enfants sont curieux et le marché est très large. Les parents sont prêts à investir dans l’éducation de leurs enfants.
C’est une grande partie de notre chiffre d’affaires. Mais nous avons un autre vecteur qui nous tient à cœur : promouvoir le livre béninois. Nous nous sommes associés à la campagne « Consommons local » que le gouvernement a initiée depuis deux ans déjà et nous avons lancé un vrai programme de promotion « Consommons le livre béninois ». Ainsi nous mettons en avant des maisons d’édition béninoise et des auteurs du pays.
Nous avons remarqué que les acteurs du livre au Bénin ne font pas trop de communication. Nous, nous sommes jeunes, créatifs et habiles dans le digital. Cela nous ouvre des portes et nous permet de booster nos ventes en ligne. Nous sommes très engagés dans cette communication et essayons de la faire du mieux qu’on peut.
Avec ce travail de référencement et de promotion, la librairie en ligne Bookconekt est-elle en train de devenir une base de données du livre made in Bénin ?
Augustino Agbemavo : Aujourd’hui on fait beaucoup pour toute la chaîne du livre, car quand un livre est vendu c’est la maison d’édition, l’auteur, l’imprimeur qui en récoltent aussi les fruits. Nous travaillons actuellement à mieux nous définir nous-mêmes dans ce marché pour devenir un acteur incontournable. On ne souhaite pas tout faire, mais on veut être en lien avec tous les acteurs du livre de l’auteur au libraire. Car nous faisons ce que beaucoup ne font pas.
Les éditeurs nous voient souvent comme un bon partenaire, car nous développons un canal de commercialisation encore vierge et que nous avons mis en place un système de paiement trimestriel qui satisfait tout le monde. Aujourd’hui, il y a plus de 50 éditeurs au Bénin et seule une dizaine sont sur Bookconekt, donc nous avons lancé une démarche auprès des maisons d’édition pour qu’ils prennent conscience que notre site est aussi un distributeur vers l’étranger.
Dans notre environnement, il n’y a que des librairies traditionnelles et parfois, les éditeurs se plaignent qu’ils ne peuvent pas leur déposer beaucoup de stock. Les libraires ne font pas assez de communication autour des ouvrages. Et leur relation commerciale est parfois limitée en raison de problèmes de paiement, c’est le retour qu’en font les éditeurs.
Nous voulons nous poser comme un partenaire avec un lien de confiance et un système bien établi de règlements. On référence les livres sur notre base de données, on fait la promotion sur nos réseaux sociaux, on envoie les liens aux éditeurs pour qu’ils puissent tout suivre.
Comment est-ce que les libraires du Bénin vous voient ?
Augustino Agbemavo : On me demande souvent qui sont mes concurrents. On pourrait dire que les librairies traditionnelles sont nos concurrents, car nous avons tous une activité de vente de livres. Eux développent la vente en magasin et nous, exclusivement en ligne. Mais on veut faire de ces points de vente des partenaires. Aujourd’hui, on a environ 700 titres sur notre site, mais tous ces titres sont dans les librairies physiques.
Nous sommes en lien avec trois grandes librairies traditionnelles et on s’approvisionne souvent chez eux. Au final, le client ne sait pas où est stocké le livre, et cela lui importe peu. Il veut juste le recevoir. Donc dans ma conception, nous sommes pleinement complémentaires, car notre valeur ajoutée profite aux libraires. Eux ont de grands locaux et nous, nous avons une plateforme de vente en ligne, car la plupart d’entre eux n’utilisent pas internet. Donc je leur dis souvent « travaillons ensemble pour apporter le livre à tout le monde ».
De plus, nous n’avons pas de comptes chez les éditeurs à l’étranger donc il est de notre intérêt commun de travailler en partenariat. Nous mettons en lumière des livres qui importent et nous les leur achetons avec une remise. Donc nos actions bénéficient à tous. Je m’inscris toujours dans la logique qu’il faut travailler ensemble. La chaîne du livre, ce sont des maillons attachés les uns aux autres.
Personne ne peut rester dans son coin. Notre secteur est en pleine restructuration et il faut promouvoir le fait de mieux collaborer entre nous. Aujourd’hui nous sommes une librairie digitale agréée par le ministère de la Culture. On veut prouver aux libraires traditionnelles que nous sommes des amis et que ce que nous faisons leur profite aussi. Ce n’est pas la peine de déclarer une guerre.
Comment aimeriez-vous que les relations interprofessionnelles évoluent dans le secteur du livre au Bénin ?
Augustino Agbemavo : Mes perspectives pour notre secteur d’activité sont qu’il y ait plus de communication entre nous, plus de collaboration et plus de synergies entre nous. On sent que les deux associations (NDLR ALPB – Association des librairies professionnelles du Bénin et APEL – Association professionnelle des éditeurs de livres) sont chacune dans leur coin, alors qu’avec le projet Ressources éducatives de l’Institut français, c’était l’une de mes doléances qu’il y ait un vrai cadre de concertation entre éditeurs, libraires et gouvernants.
Moi, j’aimerais que les deux s’entendent, qu’ils fixent un certain nombre de règles dans le secteur et qu’ils travaillent ensemble à les respecter. Je suis convaincu qu’il y a un vrai marché du livre au Bénin qui peut profiter à tout le monde, il faut se projeter vers l’avenir. Mais comme nous ne sommes pas assez soudés, nous ne travaillons pas assez ensemble, beaucoup de choses nous échappent. Notre monde évolue et il faut passer à une autre étape et se mettre dans une vraie projection.
Alors pour revenir à l’une de vos phrases, que répondez-vous aux personnes qui disent que les Béninois ne lisent pas ?
Augustino Agbemavo : Ah là, je dis non. Il y a deux jours, j’étais en séance de travail avec notre chargé de compte à DHL et la dame me questionnait là-dessus. Je lui ai répondu « mais oui les gens veulent lire, les enfants et les jeunes sont une vraie cible à attaquer, car au plus ils avancent dans l’âge et au moins ils lisent. » Mais notre vraie cible c’est la jeunesse. Eux veulent lire, mais il faut reconnaître qu’ils ont plus de facilité à aller vers une tablette ou un téléphone que vers un livre.
Mais combien de familles privilégient un petit espace bibliothèque à la maison ? Oui il y a un marché du livre au Bénin, mais il faut que les acteurs réfléchissent à s’adapter aux besoins. Quand pendant les fêtes, on mène notre campagne Achetons le livre béninois, on les incite à ajouter aux cadeaux un livre. Les résultats sont là !
Si l’on analyse, ce n’est pas nous qui avons amené la technologie qui fait que les écrans sont omniprésents. Nous, on doit prendre cela en compte, s’adapter aux besoins en facilitant cet accès avec des pistes novatrices.
Crédits photo : Agnès Debiage / Bookconekt, CC BY SA 2.0
Par Agnès Debiage
Contact : adcfconsulting@gmail.com
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