Le Prix Naissance d’une œuvre se singularise de la centaine d’autres récompenses littéraires à plus d’un titre : en célébrant la consistance d’un auteur plutôt que l’un de ces titres exclusivement, par son cadre perché à plus de 1000 m d’altitude, avec le Mont-Blanc en toile de fond, et même par sa création, des plus originales…
Le 13/05/2023 à 09:30 par Hocine Bouhadjera
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Publié le :
13/05/2023 à 09:30
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Laurence Viénot, la chasseuse de tête au quotidien à l’initiative du prix, nous raconte une édification rocambolesque : « J’avais depuis longtemps l’envie de lancer un prix littéraire. Lors d’un séjour à Saint-Nicolas de Véroce, en découvrant son hôtel 5 étoiles, Armancette, le Bistrot du Mont Joly, la Table d’Armance... je me suis demandé : qui a donc mis sur pied tout ça, dans cette petite commune de 250 habitants ? »
La créatrice des Soirées littéraires Auteur & Liseurs, initiées en 2008, continue : « Je déposais alors une lettre à l’hôtel, à destination de l’artisan de tous ces accomplissements, Vincent Gombault, pas de retour. Un jour, je vois sortir un homme d’une épicerie du coin, que je reconnais : c’était Vincent Gombault. Je décide de le suivre, avant de me présenter, et de lui décrire mon projet de prix littéraire. »
Après avoir écouté l’audacieuse Laurence Viénot, l’entrepreneur demande finalement combien il faudrait pour que cette récompense littéraire puisse devenir une réalité à Saint-Nicolas de Véroce ? « 20.000 euros ». Banco.
La chose s’est bien conclue en 10 minutes de cette manière, confirme à ActuaLitté Vincent Gombault : « Un beau braquage », résume le fondateur d’Armancette Group avec humour. Parmi les arguments avancés par Laurence Viénot, elle brandit celui de l’importance de la dimension culturelle, qui doit nécessairement accompagner les entreprises économiques. À terme, c’est la commune qui en sort grandie.
Une analyse que valide le maire de Saint-Gervais-les-Bains, Jean-Marc Peillex, commune qui a fusionné avec la plus petite Saint-Nicolas de Véroce en 1973 : « Grâce à mes presque 22 années d’expérience de maire, j’ai compris qu’on ne pouvait pas, en tant que village de montagne, être mono-produit, mono-activité, qui plus est dans un territoire touristique. Il faut pouvoir recevoir autant des sportifs que des intellectuels, des manuels, des familles... »
Et de compléter : « Il s’agit aussi de prendre en compte ceux qui vivent ici toute l’année. » Pour ce faire, des politiques de rénovation du patrimoine sont menées, « mais il ne peut y avoir que des initiatives publiques, c’est pourquoi, lorsque Vincent Gombault m’a parlé de lancer un prix, j’ai accueilli le projet avec enthousiasme ». Saint-Gervais-Les-Bains est une ville thermale depuis 1806, et dans les environs, réside un amoureux de la montagne et des belles lettres, l’Académicien Jean-Christophe Rufin.
Grand lecteur, Vincent Gombault intègre, en tant que mécène, son associé et ami très proche, Ingmar Vallano, autre passionné de littérature. En parallèle, si Laurence Viénot peut s’appuyer sur un réseau d’écrivains et d’éditeurs, pour la partie communication, ni cette dernière ni Vincent Gombault n’ont les compétences pour s’en occuper. Le binôme se tourna vers la professionnelle reconnue de la communication, Claudine Ripert-Landler, également membre du jury.
Dès sa présentation du projet à Vincent Gombault, devant une épicerie montagnarde, Laurence Viénot a soulevé un autre aspect qui lui tient à cœur : « Vincent et moi sommes bien plus à rebrousse-poil qu’on pourrait le soupçonner. Nous souhaitons avec ce prix sortir de l'entre-soi, et c’est aussi dans cette optique qu’il n’est pas remis à Paris. » Loin des cercles littéraires parisiens et des compromis éventuels.
Dans le jury, « pas d’écrivains, de journalistes, d’éditeurs, et une liberté et une indépendance totale », décrit Laurence Viénot. En résumé : « Ne rien devoir à personne » dans le monde du livre. Pour cette édition 2023, aucune des plus grandes maisons n’a atteint la sélection finale, ce qui serait un gage de cette indépendance recherchée.
Le jury a été pensé pour accueillir une diversité d’approches, entre des entrepreneurs passionnés de littérature, des organisateurs de salons littéraires, une libraire ou encore, entre autres, une professeur à Oxford. Les débats furent par ailleurs « très animés » cette année, confie la jurée Marie Llobères.
Elle nous en révèle un petit peu sur les coulisses : « Nous échangions au fil des lectures durant l’année, avant des séances de discussion “en présentiel”, avec argumentations de part et d’autre. Pour cette seconde édition, ces commentaires sont envoyés tout au long de l’année à un collecteur neutre, afin de servir pour les débats autour d’une table. »
L’ambition du prix Naissance d’une œuvre n’est pas banale : « Je voudrais que dans 15-20 ans, on ait révélé les 4-5 grands auteurs du siècle », affirme sans ambages Laurence Viénot, et d’ajouter : « L’idée est de trouver le nouveau Balzac, le Modiano de demain. » Balzac, en tant qu'il représente cette association du populaire et de l'ambition romanesque.
Une aspiration qui s’accompagne d’un concept fort sorti tout droit de l’imagination débordant de Laurence Viénot : pas un prix du premier roman, du second, de l’ensemble d’une carrière, d’un genre, d’un sexe, de la page 111... « L’idée est d’être au départ de l’œuvre d’un écrivain, qui a véritablement construit, et n’a pas simplement fait un coup ou s’est appuyé sur la mode du moment. Combien d’ouvrages ont fait la une du Monde des livres ou du Figaro littéraire, et ont disparu ? » Les critères de sélection : pas d’autofiction, « mais des ouvrages qui privilégient le style et l’imagination », et un 4e, 5e ou 6e livre.
Je suis heureux de vous annoncer la naissance de mon œuvre. Je ne connais pas son poids, ni sa taille, ni même la date exacte de sa naissance. Ce que je peux vous dire en revanche, c’est qu’il a fallu du temps pour qu’elle arrive. Et c’est l’une des raisons pour lesquelles je suis infiniment heureux que vous l’ayez accueillie parmi vous et récompensé par ce prix. (...)
Je suis très attaché à ce deuxième mot : œuvre.
Parce que la notion d’œuvre est bien différente de celle de carrière. Construire une œuvre, ce n’est pas bâtir une carrière. Construire une œuvre tient certainement de la foi. La foi en ce que l’on fait, cette manière que l’on a d’avancer sans pouvoir être tout à fait certain que la direction que l’on suit est la bonne. Il n’y a pas de méthode, de recette miracle. Peut-être est-ce là d’ailleurs l’une des différences les plus importantes entre l’art et l’artisanat. La création d’une œuvre ne tient pas à la reproduction d’une pièce, à l’application d’un savoir-faire et à la rigueur d’une technique rodée. Au contraire, il s’agit de trouver ce délicat équilibre entre la fidélité à ce qu’on veut faire et sa remise en question permanente. Ne pas se contenter de dérouler un fil mais de trouver une nouvelle pelote, une nouvelle couleur, une nouvelle matière.
Construire une œuvre, c’est être dans un questionnement permanent : Comment ne pas s’enfermer dans une esthétique ? Comment garder ce souffle, cette énergie qui nous permet d’entretenir d’autres vies que les nôtres ?
– Extrait du discours de remise Prix Naissance d’une œuvre, de Gilles Marchand
Ces trois moments dans un parcours d'écrivain sont un gage objectif de consistance, « de quelqu’un qui s’est véritablement engagé dans la littérature ». Vincent Gombault complète : « On ne juge d’ailleurs pas un seul texte, mais une œuvre. » Et d’adjoindre : « Ce qui est par ailleurs incroyable, c’est qu’on doit lire 30-35 livres par an, et 15 sont des nanars absolus, posant la question du travail de certaines maisons d’édition. Certains, une dizaine, sont intéressants, 4-5 sortent du lot, et on aime beaucoup 1 ou 2 titres. »
C’est enfin une importante dotation de 20.000 euros, n’étant besoin de rappeler la précarité d’une bonne proportion d’écrivains de roman quand ils en font leur métier.
Pour Michel Jullien, lauréat de la première édition, « à la fois, ce prix permet une meilleure prise de conscience du chemin accompli, comme il encourage au travail à venir ». Lui-même dans cette problématique de comment vivre de la littérature, cette dotation de « mécène dans son sens ancien de la Renaissance », lui a offert une plus grande sérénité.
Outre leur participation à la cérémonie de remise du prix, Gilles Marchand et son éditeur, David Meulemans, sont allés rencontrer les élèves du Lycée du Mont‑Blanc René Dayve, à Passy, afin d’évoquer le roman lauréat, Le Soldat désaccordé, mais également parler de son processus d’écriture, et plus généralement de littérature dans ses multiples dimensions.
Vincent Gombault a proposé l’idée de créer un « Club des écrivains » du Prix Naissance d’une œuvre, composé de tous les lauréats, qui seront invités à Saint-Nicolas de Véroce chaque année, à l’occasion de la remise du prix. Dans une ambition de développer la récompense, les organisateurs espèrent pouvoir mettre sur pied des lectures publiques et autres réjouissances dans toute la commune et les environs, dès l'année prochaine.
À LIRE:Gilles Marchand Grand Prix Naissance d'une oeuvre 2023
Gilles Marchand, qui a écrit un spectacle, entre lecture et musique, devrait le jouer l’édition prochaine. Le co-mécène et membre du jury, Ingmar Vallano, est, pour conclure, formel : « On se projette sur le long terme. »
Crédits photo : Boris Molinier / Prix Naissance d'une oeuvre
Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com
Paru le 19/08/2022
206 pages
Aux Forges de Vulcain
18,00 €
4 Commentaires
Yere
13/05/2023 à 16:46
Déjà mettre au même niveau dans une phrase Modiano et Balzac, il faut être gonflé. Modiano écrit très bien mais c'est d'un ennui et c'est souvent des histoires qui se ressemblent. Et je ne suis pas le seul à le penser mais beaucoup n'osent pas le dire.
Je préfèrerais un nouveau Pennac qu'un nouveau Balzac. Le nouveau Balzac, je n'aurais pas envie de le lire contrairement à un nouveau auteur avec une approche littéraire du niveau de Pennac ou Teulé (enfin Teulé a fait des livres moins bons que d'habitudes comme Gare à Lou ou Crénom, Beaurepaire)
Patrick
14/05/2023 à 14:11
Dans 100 ans, on saura dire que Balzac a écrit la peau de chagrin, le père Goriot, colonel Chabert...
Dans 100 ans, on se dira juste dans les quiz d'un jeu comme Trivial Poursuit que Modiano est connu pour avoir eu un prix nobel (sans savoir lequel), même chose pour Ernaux.
Marie
15/05/2023 à 14:28
Relativement sur la même longueur d'onde que les deux précédents commentateurs, sauf pour le prix Nobel qui à mon sens ne peut être que de littérature...Que de prix grands dieux, pour moi insignifiants! Ce que je donnerais pour écouter les discussions des décideurs!...Une exception : "Le bal des folles" de Victoria Mas, tellement loué par le libraire, en dehors du prix, que je l'ai lu, acquis plusieurs fois pour le faire lire à des gens éperdus d'enthousiasme.
Pas d'accord pour Pennac, ayant arrêté la lecture de deux au bout de quelques pages.Que deux lettres de communes avec Balzac.
Patrick
15/05/2023 à 21:23
Je comprends ce que vous voulez dire.
Mais si on pense prix pour la physique ou prix pour la médecine, on pense tout de suite au prix Nobel.
Par contre si on parle pour un écrivain, on dira quel prix? Pulitzer, Goncourt, académie française, Renaudot, Femina, Médicis, Albert-Londres, Alphonse allais, grand prix d'Angoulême, prix Apollinaire, Prix Cazes... Sans vouloir être méchant mais on soulève une pierre et on tombe sur un prix littéraire différent car il y en a des tonnes. Beaucoup d'écrivains de renoms n'ont jamais eu le Nobel alors que des écrivains oubliés de beaucoup l'ont eu.
Un librairie de chez moi disait en plaisantant (et en exagérant) qu'il y a plus de prix littéraires en France que de rues parisiennes (ce qui est faux).