Du jeudi 13 au dimanche 18 avril, les férus de science-fiction se sont rassemblés à la MJC Monplaisir, à Lyon. Le temps de quelques jours, ils et elles ont pu se laisser porter par la programmation du festival des Intergalactiques. Une onzième édition pleine de surprises… et surtout très prisée des lecteurs et des lectrices de tout l’hexagone.
Le 04/05/2023 à 12:27 par Valentine Costantini
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04/05/2023 à 12:27
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Julien Jal Pouget, fondateur et chargé de coordination du festival, ainsi que Anne Canoville, responsable du pôle littéraire, du salon du livre, et de la programmation des tables rondes, nous ont fait le plaisir de répondre à nos questions.
ActuaLitté : Quelle a été l’impulsion derrière la création de ce festival, qui est somme toute encore jeune, notamment quand on prend en compte l’existence d’autres festivals dédiés à la SF et à la littérature de l’Imaginaire (Utopiales, Imaginales, etc.) ?
Julien Jal Pouget : Le festival est né au milieu des événements portés par l’association AOA Prod qui œuvre dans le secteur de la (pop) culture à Lyon depuis 2005. La teneur de ces derniers étaient des plus diversifiés : de marches zombies en concerts, de projections en partenariats variés.
Les Intergalactiques sont apparues au milieu de ces propositions, mais le festival a peu à peu pris de l’ampleur au fil des éditions et au prix de nombreux tâtonnements, pour se professionnaliser via la création d’emplois depuis fin 2021.
Anne Canoville : Je peux me tromper, mais j’ai l’impression que Les Intergalactiques ne se sont pas constituées avec l’ambition d’imiter les autres festivals (même si on a toujours des choses à en apprendre), mais plutôt avec celle de faire les choses « à sa sauce ». Le festival tel qu’il est aujourd’hui s’est développé au fil du temps, des idées et de la créativité des personnes qui y ont contribué.
Personnellement, je n’ai découvert le festival qu’à partir de 2013, au début comme simple festivalière, lectrice et passionnée de SF. J’en ai tout de suite apprécié l’atmosphère chaleureuse, la possibilité de venir écouter des auteurs et autrices, de les rencontrer et de leur parler, la créativité dans les animations proposées, et la richesse des thématiques abordées. Il y avait effectivement quelque chose de frais, par rapport à d’autres festivals d’imaginaire plus « installés » sur lesquels j’avais pu me rendre, comme les Utopiales (dont j’ai aussi beaucoup apprécié les différentes éditions et dont j’estime le travail).
J’enfonce sans doute une porte ouverte, mais pour le public des festivals d’imaginaire, il me semble que cette complémentarité entre des manifestations aux envergures et aux identités différentes, est appréciable. C’est agréable de se dire que les propositions ne se ressemblent pas, et une richesse à cultiver dans le paysage des événements culturels liés à l’imaginaire, préférable (à mon sens) à des saisons de festivals aux programmations uniformes.
Comment avez-vous abordé cette édition et quels ont été les retours ?
Anne Canoville : La reprise du festival, après le report de l’édition d’avril 2020, « La forme de l’autre », a donné lieu à deux éditions très rapprochées dans le temps (septembre 2021 pour « La forme de l'autre », avril 2022 pour « No future ! »), mais aussi extrêmement bien accueillies du public et des invités et invitées.
Je pense que nous avons abordé cette édition 2023 en ayant conscience de l’essor qu’avait pris le festival, et des enjeux liés à sa professionnalisation croissante. Chaque année on se dit qu’on va essayer de faire mieux, d'apprendre des dysfonctionnements ou des failles des éditions précédentes… Cette année, c’était sans doute encore plus vrai : avec deux emplois en jeu, on a tendance à mettre la barre un peu plus haut et vouloir produire un événement de la meilleure qualité possible.
Le travail de programmation est un processus de longue haleine, qui se construit tout au long de l’année, et ce travail ne trouve sa concrétisation et sa finalité que le jour J. C’est un peu intimidant. Donc avoir des retours (du public, des invités, des partenaires et des bénévoles), aussi positifs que ceux que nous avons reçus au terme de cette édition, ça donne de l’énergie et de la confiance pour la suite.
La plupart des conférences proposées n'offre qu'une jauge très limitée, si bien que beaucoup de personnes ont été refoulées tout au long du week-end. Comment faire face à une demande en hausse ?
Julien Jal Pouget : Si depuis l’édition post-Covid en septembre 2021, nous assistons à une augmentation constante du nombre de festivaliers et si les signaux d’avant avril dernier annonçaient un nouveau bond de fréquentation, nous ne pouvions imaginer un tel succès.
Et effectivement, le principal retour - interne comme externe, a été demandé où nous allions déménager maintenant. L’espace de la MJC Monplaisir, pourtant confortable, n’y tenant plus.
Nous vivons donc une nouvelle crise de croissance chaque année, et malgré que ce soit dans ce contexte événementiel « un problème de riche », il va nous falloir trouver des solutions pour que les festivaliers trouvent leur compte en venant sur le festival au risque d’avoir une réputation négative à moyen terme.
Des réflexions sont en cours pour augmenter nos capacités d'accueil, et si elles sont encore loin d’être éclaircies, elles sont pour l’équipe une priorité logistique.
Quel est votre processus de réflexion autour des sujets des panels ?
Anne Canoville : Comme je le disais, la programmation est un processus long et parfois laborieux, qui doit tenir compte de nombreux facteurs et acteurs, dans des domaines spécialisés : il y a la vie du livre et de l’édition pour mon pôle, mais la programmation cinéma, par exemple, aura aussi des enjeux et un rythme spécifiques à prendre en compte.
Nous nous donnons également un thème à chaque édition, qu’il s’agit de traiter de manière cohérente et la plus pertinente possible. Enfin, nous essayons de faire en sorte que le festival ne soit jamais déconnecté du réel, et de tenir compte, en tant que festival « engagé », de la réalité sociale, économique, politique… dans laquelle nous vivons, pour voir ce que la Science-fiction peut nous en dire.
Cette année par exemple, pour parler des rapports entre Science et Science-fiction, il nous semblait important de ne pas se concentrer sur le seul progrès technologique, mais de réfléchir à la manière dont se constitue le savoir scientifique, à ses implications, ses institutions… (que l’on retrouve dans la lettre d’intention que j’ai cosigné avec Raphaël Colson).
D’où à la fois des tables-rondes traitant spécifiquement de la science-fiction (« La hard SF pour les nul·le·s »), ou de thématiques artistiques (« Représenter l’incommensurable »), et d’autres qui débordaient légèrement, pour parler par exemple de l’état de l’université et de la recherche en France, en donnant la parole à des chercheur·ses.
Pour tout événement, le devenir passe par un développement ou le maintien à taille humaine : comment imaginez-vous la suite ? Envisagez-vous par exemple l'ouverture de journées professionnelles ?
Julien Jal Pouget : C’est bien là le centre de nos questionnements. Si Les Intergalactiques semblent rayonner aujourd’hui par la qualité de sa programmation et un festival éloigné des grosses machines portées fortement par des collectivités territoriales, alors que nous sommes une association loi 1901 assez basique dont 80% des revenus sont des fonds propres et sans mécénat privé, il est déjà évident que nous tenons à cette indépendance de travail.
Anne Canoville : Quant aux journées professionnelles, elles sont effectivement beaucoup demandées, et c’est une question qui se pose. On y réfléchit, mais on préfère ne pas se précipiter plutôt que de risquer de faire ça n’importe comment. N’oublions pas, aussi, que le festival se déroule généralement en période de vacances scolaires, ce qui peut être compliqué pour mobiliser certains professionnels.
Quelles sont les difficultés propres à un salon consacré à l'Imaginaire, notamment en termes de financement et de la hausse des coûts (sécurité, location, etc) ?
Julien Jal Pouget : Je pense que nous n’ayant pas de retour d’expérience de modèles hors du nôtre, il est donc difficile de comparer nos difficultés à celles d’autres festivals. Toutefois, les chiffres du livre de cette année (+87 % de chiffre d'affaires comparé à 2022) nous donnent plutôt le sentiment d’un élan positif pour les éditions à venir. Élan dans lequel nous continuerons à travailler.
Anne Canoville : Pour la partie littéraire et le salon du livre, je dirais que c’est un plus de connaître l'économie et le fonctionnement de la chaîne du livre, d'être un peu familier des pratiques spécifiques à ce champ, etc.
Je suis libraire de métier, mais j’ai aussi beaucoup appris (et surtout, je continue d’apprendre) en planchant sur le festival : la question du partage des frais de transport avec les maisons d’éditions, la recherche de subventions, la rémunération des auteur·ice·s…
Par ailleurs, je rejoins Julien sur ce qu’il a dit plus haut, en insistant sur le fait que ce côté « débrouille » nous a garanti jusqu’ici une liberté totale dans nos choix de programmation, et qu’un des enjeux à l’avenir pourrait bien être de conserver cette indépendance, tout en étant financièrement moins autonomes, vis-à-vis de partenaires, d’institutions, etc.
Bien que la pluie se soit invitée durant le week-end, Julien Jal Pouget et Anne Canoville sont catégoriques : la fréquentation était très clairement à la hausse. En regardant les chiffres, il n’y a pas de doute – Les Intergalactiques font fureur. Sur l’ensemble du festival, c’est une foule de + 25 % de personnes présentes, tandis que, si l’on se concentre uniquement sur les journées du samedi et du dimanche, la fréquentation a grimpé à + 30 %.
Par rapport à l’édition de 2022, les organisateurs ont aussi observé une nette augmentation du nombre de livres vendus, ou plus généralement du chiffre d'affaires de l’évènement. Des résultats qui s’accompagnent de retours plus que positifs du public. De quoi convaincre que ce festival a encore de beaux jours devant lui.
Et comment ne pas finir par une bonne nouvelle ? L’équipe des Intergalactiques planche d’ores et déjà sur la prochaine édition, prévue pour la période du 18 au 23 avril 2024. On l’imagine sans difficulté toute aussi passionnante que la précédente…
La thématique ? « Du pain et des jeux ».
Crédits photo : Intergalactiques
Par Valentine Costantini
Contact : valentine.costantini@gmail.com
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