L’autrice, spécialiste du tarot et militante transgenre Rachel Pollack, est morte ce 7 avril à l’âge de 77 ans. Un cancer du système lymphatique diagnostiqué voilà 7 ans aura eu raison de ses efforts. Celle qui a traversé mille vies, a notamment occupé le rôle de scénariste sur la série de bande dessinée Doom Patrol et inventé la première superhéroïne transgenre grand public, Kate Godwin.
Sa femme Zoe a confirmé la nouvelle de son décès en publiant un message sur Facebook que Neil Gaiman a partagé sur Twitter. L’auteur d'American Gods (trad. Michel Pagel, Urban Comics) était un grand ami de l’écrivaine, qu’il rencontra en 1985.
« Rachel était une autrice de fantasy très appréciée, mais je préfère la décrire comme une magico-réaliste. Elle écrivait ces merveilleux livres de réalité exacerbée et de mondes magiques où elle concrétisait des métaphores. » affirme-t-il, comme le relaie The Guardian.
Et d'ajouter « Rachel et moi nous sommes rapprochés sur de très nombreux sujets, dont la judéité. Il existe une prière orthodoxe qui commence par “Merci, Dieu, de ne pas avoir fait de moi une femme". Je me souviens qu’elle m’a raconté qu’après son opération, elle avait dit : "Dieu soit béni de ne pas avoir fait de moi une femme, mais trois fois béni pour le médecin qui l’a fait".»
Rachel Pollack a publié sept romans et quatre recueils de nouvelles, dont Golden Vanity (Vanité dorée, 1980) et Unquenchable Fire (Un feu inextinguible, 1989) qui a remporté le prix Arthur-C.-Clarke en 1989. Mais aussi Godmother Night (Nuit de la marraine, 1996), lauréat du prix World Fantasy du meilleur roman en 1997.
Son premier succès littéraire a été la nouvelle Pandora’s Bust (Le buste de Pandore), publiée en 1971 dans le magazine de Michael Moorcock intitulé New Worlds. Dans un long entretien donné en mai dernier à The Comics Journal, elle explique avoir écrit et vendu des histoires tout au long de cette année. Mais elle ne publie son premier livre que 10 ans plus tard.
L’année 1970 a été charnière pour l’artiste car elle découvre le tarot, l'une de ses passions. Au printemps 1971 elle fait son coming out en tant que femme transsexuelle et lesbienne et part pour l’Europe. Elle se rappelle, « C’était une année extraordinaire. Une année où ma vie a décollé. »
Entre 1993 et 1995, Rachel Pollack scénarise la bande dessinée mensuelle Doom Patrol pour la marque Vertigo de DC Comics. Grant Morrison avait relancé le titre. Elle reprend son travail après avoir rencontré l’éditeur Tom Peyer, avec comme thème « la bizarrerie est la normalité ».
J’ai été très impressionné par ce que Grant a fait et par la manière dont il a relancé [Doom Patrol] lorsqu’il a commencé sa série, et j’en ai essentiellement fait une nouvelle version. J’ai reçu beaucoup de retours négatifs de la part de certains fans. Plus tard, je me suis rendu compte qu’une partie du problème venait du fait qu’en tant que femme écrivaine, je voyais les choses très différemment par rapport à beaucoup d’écrivains masculins, lorsqu’il s’agissait d’entreprendre quelque chose de nouveau.
Dans le domaine de la bande dessinée, dominé par les hommes, on était censés copier servilement l’auteur précédent ou le détruire. D’une manière très freudienne, à la manière du complexe d’Œdipe. Détruire tout ce qu’il a fait et repartir à zéro.
Je vénérais ce que Grant avait fait, mais je n’allais pas faire la même chose. Il s’agissait donc d’un juste milieu entre s’inspirer de ce qu’ils avaient fait et ne pas le détruire. Je pense que les gens ont eu du mal à comprendre cela. Mais pour être juste, j’adoptais une position extrême en étant sauvage, radicale et bizarre et en mettant au défi [les lecteurs] de comprendre ce qu'il se passait.
- Rachel Pollack pour The Comics Journal en mai 2022
C’est avec Doom Patrol que l’autrice a créé le personnage de Kate Godwin qui est désormais considérée comme la première superhéroïne transgenre dans les bandes dessinées grand public. Elle ajoute à TCJ : « Je me suis dit que les derniers sujets sur lesquels Grant avait écrit traitaient d’une manière ou d’une autre de la sexualité et de l’identité réprimée et de choses comme ça... Alors j’ai pensé qu’il serait amusant de traiter cela d’une manière plus directe. »
The Guardian, cite à nouveau les propos de Neil Gaiman : « Il était très difficile pour quiconque de suivre Grant Morrison dans l’écriture d’une série, et je pense que ce n’est que récemment que le travail de Rachel sur Doom Patrol a été réévalué et considéré comme véritablement en avance sur son temps. »
Les gens parlent beaucoup du sous-texte des superhéros, mais l’un des sujets qu’il y a sans aucun doute, c’est l’homosexualité. Parce qu’ils ont tous ces pouvoirs qui ne se révèlent que lorsqu’ils changent de vêtements et osent sortir dans ces costumes extravagants. Et qu’ils ne se cachent pas.
Cela donne aux enfants queer le fantasme de pouvoir être qui ils sont vraiment et d’être puissants. Et cela vous donne des superpouvoirs, parce que vous ne vous cachez plus.
- Rachel Pollack pour The Comics Journal en mai 2022
Son dernier ouvrage, The Fissure King (Le roi des fissures), a été publié en 2017. À ce jour, seuls l'un de ses ouvrages de cartomancie a été traduit en français.
Outre ses succès en prose et en bande dessinée, Pollack était considérée comme une géante dans le monde du tarot et de l’occultisme. Son ami, l’écrivain et historien Morgan M. Page a déclaré que « Rachel était tout simplement la plus grande autorité vivante en matière de tarot. », relaie The Guardian.
Selon elle, son livre Seventy-Eight Degrees of Wisdom (Soixante-dix-huit degrés de sagesse) est à « la base de toute l’interprétation moderne du tarot. » Selon DC Planet, Neil Gaiman l’aurait également consultée plusieurs fois pour ses histoires.
Elle y a introduit des concepts psychanalytiques et des considérations politiques. Elle concevait ses propres jeux de tarot inspirés du mouvement spirituel des femmes, de la figure de la déesse et en y intégrant les femmes transgenres.
L'un de ses guides, La Bible du Tarot - Enseignements spirituels et significations profondes (AdA Editions) a été traduit en français en 2010 par Lynda Leith.
Morgan Page ajouta : « Elle faisait partie de cette génération de personnes transgenres que l’on encourageait à disparaître dans la société, à ne pas être visibles une fois qu’elles avaient pris cette décision. Rachel était l’une des rares personnes à l’époque à refuser de disparaître. »
Non seulement Pollack traita le sujet de la transidentité dans son art, mais elle milita aussi pour l’amélioration des conditions de vie des personnes transgenres et fut une pionnière du mouvement.
La native de New-York effectue sa transition au début de sa vingtaine en 1971, à son arrivée en Europe, après une carrière de professeure d’anglais. Elle a notamment milité au sein du Gay Liberation Front et a rédigé le premier manifeste trans en 1972, avec l’écrivaine et critique culturelle britannique Roz Kaveney. Publié dans la newsletter du Gay Liberation Front, il s’intitule Don't Call Me Mister You Fucking Beast (Ne m’appelez pas Monsieur, espèce de bête).
Roz Kaveney a déclaré au Guardian : « Rachel a été une force cristallisante dans le mouvement transgenre et dans tant d’autres domaines. Elle a toujours été une source d’inspiration et a été l’un des premiers écrivains professionnels transgenres à mener une carrière tout en étant out, prouvant ainsi qu’il était possible de le faire. »
Crédits photo : Amie Emberharte - Youtube
Par Zoé Picard
Contact : zp@actualitte.com
Paru le 22/06/2010
480 pages
AdA Editions
27,89 €
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