#Politeia23 – Une idée commune professe que le libéralisme s’attache au grand principe de la liberté, faisant fi d’une répartition plus équitable des richesses, quand le socialisme se concentre en priorité sur l’égalité, quitte à couper les têtes qui dépassent... Dans une discussion organisée par le festival de Thionville, Politeïa, les historiens Michèle Riot-Sarcey et Jean Garrigues s'interrogent sur une question des plus clivantes : la liberté, de droite ou de gauche ?
Le 18/03/2023 à 09:12 par Hocine Bouhadjera
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Publié le :
18/03/2023 à 09:12
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La liberté, une notion politique, mais également politicienne, dans le sens du jeu des partis et de leurs affrontements partisans ? Avant de définir, ou non, une appartenance politique à ce principe inscrit sur les frontispices de la République, Michèle Riot-Sarcey délimite le concept en s’appuyant sur le philosophe allemand, Emmanuel Kant.
L’auteur de Qu’est-ce que les Lumières ? explique que la liberté, « au sens complet », c’est se dégager des tutelles dont nous serions responsables, soit les représentations qui nous enferment. Il reprend ici une idée déjà portée par l’Antiquité grecque et romaine, comme le philosophe Sénèque. Pour l’historienne, Grand prix de l’Imaginaire 2003 pour son Dictionnaire de l’utopie, cette définition est incontournable. Se libérer soi-même, mais « avec les autres », ajoute-t-elle.
L’éditeur du XIXe siècle, Pierre Leroux, comprend ce pouvoir d’agir dans tous les domaines : intellectuel, social, individuel, politique… Connaisseuse reconnue des luttes féministes, Michèle Riot-Sarcey rappelle en quoi ces dernières ont participé aux combats pour la liberté, citant le collectif des saint-simoniennes dans le soulèvement de 1830. Avec des propositions radicales : l’auto-organisation en associations, pré-syndicats...
Pour les deux intervenants, le XVIIIe siècle, qui déboucha sur la Révolution française, a ouvert le champ des possibles – ce que l’historien du XIXe siècle, Edgar Quinet définit comme la capacité à se penser libre en potentiel. Comme une suite naturelle, Michèle Riot-Sarcey assimile les soubresauts du XIXe siècle à des tentatives d’achever les promesses de la Révolution : les insurrections de 1830, 1848, « faites par des anonymes », ou cette expérimentation de la Commune dans un Paris assiégé.
Jean Garrigues nuance ce propos : les formes de la droite et la gauche ont évolué. Toute une construction philosophique, d’oppositions prudentes à la monarchie absolue aux députés constituants, inscrivant le principe de liberté dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Mais ce concept, en France, n’est pas celui de la Révolution américaine, ou précédemment, de la Révolution glorieuse anglaise. Chacune d’entre elles a néanmoins été menée avant tout au nom de libertés politiques.
Les penseurs libéraux à la droite de l’équipier politique dans la première moitié du XIXe siècle, ont fait de la liberté le fondement de leurs idées. Une notion ici intimement liée à celle de la liberté des échanges, de la production, mais aussi d’expression. Une approche résumée dans un discours célèbre d’Adolphe Thiers en 1864 sur les « libertés nécessaires ».
En réponse à cette liberté en droit, Michèle Riot Sarcey répond par la nécessité de la liberté en fait : ainsi, les noirs américains, jusque dans les années 60, ont été empêchés d’être libres, alors que leur liberté dans la loi avait été scellée dans le règlement de la Guerre de Sécession.
Alexis de Tocqueville, dans De la démocratie en Amérique, craint l’entrée des masses en politique, et pour s’en protéger, propose un double vote... Son argument, cité par l’auteure de L’Émancipation entravée : « Jamais on ne pourra éduquer le peuple au même titre que l’aristocrate et le bourgeois, car il travaille. Il faut du temps pour diriger la chose publique. »
À la suite de la Révolution de 1848, où fut proclamée la IIe république « démocratique et sociale », et la liberté d'association, naquit un énorme espoir illustré, entre autres par la création de 104 associations à Paris, mais également des coopératives et autres organisations solidaires. Jean Garrigues y voit des moments de liberté absolue de l’individu et du collectif face à la contrainte, qui ne durent pas : les têtes de ses structures finiront en prison...
La Commune, « cette singularité », profita des 57 % de Parisiens qui vivaient de l’industrie à cette époque. Pour Michèle Riot-Sarcey, « son grand mérite, c’est d’avoir existé ». Dans cette expérience au cœur d’un siège militaire, ce n’est pas la démocratie pensée au niveau des lois, mais dans le privé, le social, par exemple du côté de l’éducation des femmes. Ce moment d’expérimentation dissidente au régime mené par Adolphe Thiers qui remplaça le pouvoir de Napoléon III, tombé avec la défaite de 1870, termina dans un bain de sang auquel coopère activement la garde nationale...
Il faut néanmoins rappeler qu’une gauche institutionnelle s’est aussi opposée à la Commune, dans laquelle des figures comme Léon Gambetta ou Jules Ferry, y voyant d’abord des anarchistes. À l’intérieur du "système", ils participeront en première ligne aux lois des années 1880 pour la liberté de la presse, d’associations, ou syndicale, malgré tout encore très contrôlée…
La bataille autour de la notion de liberté a également eu lieu dans la droite, comme lorsque Valéry Giscard d’Estaing, dans son conflit avec le RPR de Jacques Chirac, défendait ce grand principe face à ces gaullistes qui n’y voient, qu’à terme, « décadence et violence »...
En reprenant le concept des trois droites de l’historien René Rémond, il y a l’orléanisme, attaché aux libertés économiques avant tout ; la légitimiste, longtemps en sous-marin, et aujourd’hui représentée par des personnages comme Éric Zemmour, très attaché à la verticalité ; et la bonapartiste, moins liée à l’idée de liberté qu’au soutien populaire et à la puissance de l’État.
Le XXe siècle sera le terrain des désillusions, de la Révolution russe, en passant par toutes celles qui en ce temps ont secoué le monde. L’exemple russe illustre cette fragilité du principe de liberté poussée jusqu’à l’utopie, passant de la République des conseils après la révolution de 1917 a, dès 1921, la dictature du parti, jusqu’à l’acmé des procès de Moscou de 1938. De ce constat, Michèle Riot-Sarcey a élaboré une doctrine pour juger de la validité d’une ambition : « Regarder la situation des gens d’en bas. Qui est libre et qui ne l’est pas. »
Pour éclairer ce propos, Jean Garrigues évoque son grand-père russe, grand admirateur de la Révolution française, et par corollaire, de la Révolution russe, ce qui ne l’a pas empêché de quitter son pays en 1921, ses espoirs piétinés. Est-ce le destin de toutes les illusions libertaires de s’achever dans la contrainte, la privation de liberté et l’exil, si ce n’est la prison ou la mort ?
L’aventure russe, qui ressemble à beaucoup d’autres, offre enfin l’occasion d’une critique de la bureaucratie quand elle devient folle, ou comment la rationalité économique de l’État l’a emporté sur le principe de liberté.
Que dire alors de cette saint alliance communistes-gaullistes scellée après La libération, dont a résulté un programme commun ? En sortira le droit de vote pour les femmes ou, entre autres, la sécurité sociale. Mais selon Jean Garrigues, il y avait dans cette société gaullienne, qui profita des Trente Glorieuses, un manque du côté de cette liberté. Pour preuve, mai 68 qui révéla la frustration d’une jeunesse en soif d’interdiction d’interdire.
Michèle Riot Sarcey rend hommage à Jean-Paul Sartre, qui a centré son œuvre autour du principe de liberté, et qui complétait la définition de Kant évoquée plus haut, pour lui adjoindre : « Je ne peux accuser les autres d’être responsable de ce que je suis. Et l’historienne d’ajouter : « Si je veux être libre, c’est moi qui choisi la forme et le chemin de la liberté. Entre les discours de surplomb sur la liberté et les outils pour le devenir, je prends les outils. »
Les années 80 du tournant de la rigueur sont celles du néo-libéralisme débridé porté par des chefs d’État comme Ronald Reagan Margaret Thatcher ou Helmut Kohl. Le Parti socialiste est aux manettes, n’empêchant pas la France de suivre cet élan mondial. Sur cette “trahison” de la gauche, Michèle Riot-Sarcey rappelle qu’il ne faut pas confondre la gestion du gouvernement avec la prise du pouvoir.
Aujourd’hui, Michèle Riot-Sarcey, malgré ce contexte d’ubérisation « qui transforme une liberté individuelle en celle de s’exploiter », « reste optimiste » face à toutes les initiatives innovantes vers plus de participation démocratique.
Crédits photo : ActuaLitté (CC BY-SA 2.0)
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Monsieur Michu, époux de Madame.
19/03/2023 à 00:29
C est surtout un concept ou une catégorie de la philosophie trans-historique.
Alimentant toutes sortes d' actions dans toutes sortes de dimensions par des philosophes et des non - philosophes.
Connue aussi la question du mal de mer et du mal de l' air.
Ça proviendrait des oreilles trop sensibles.
Avec un peu de coton ou d' ouate, ce serait susceptible de disparaître.
Accomplir ce que l' on souhaite par le moyen de ce que l on peut , pouvoir ce que l ' on souhaite selon la volonté du voeu , sans qu' autrui vous perçoive comme adversaire et sans percevoir autrui comme obstacle, se donner ou acquérir les moyens de ce que l ' on veut, serait ce la définition complète de --- LIBERTE.
Parlons Philosophie , et philosophie pratique en action.
Plutôt que de toute autre chose.
L ' herméneutique de la politique en rapport à la Liberté encourt tragiquement le risque d' etre hors sujet !!!!
Ou fait de Non - Sens.