Les gens de Bilbao naissent où ils veulent : se retrouver pour être libre

Maria Larrea

Critique de Kirzy, originellement publiée sur Babelio, partenaire de l'opération.

#PrixPorteDoree23 – Ce premier roman démarre avec un sens du tragi-comique réjouissant pour raconter la naissance puis l’abandon de deux enfants, qui une fois adultes, vont former un couple et former un noyau familial. Victoria et Julian sont les fruits de la misère et de la cruauté de leur famille comme celui de la dictature franquiste.

D’un point de vue factuel, on pourrait être dans un Zola ou du Dickens, mais le ton cultive une légèreté presque joyeuse, le récit se révélant burlesque et rocambolesque, entraînant le lecteur dans une truculente verve très latino-américaine (avec un petit côté Almodovar) avec ses exubérances et ses outrances. Et puis on comprend que Victoria et Julian sont les parents de l’auteure et que le roman travaille un matériel autobiographique, ce qui donne encore plus de saveur à la suite du récit. Tout est (peut-être) vrai.

Maria Larrea est née à Bilbao comme ses parents, mais a vécu toute sa vie à Paris où ces derniers ont migré, papa gardien du théâtre de la Michodière, maman femme de ménage. Elle a grandi entre les odeurs de javel et décors de théâtre, avec un père rendu violent par sa consommation d’alcool, entouré d’armes à feu, lui le partisan de l’ETA basque. Le ton se fait plus intime, plus grave, mais toujours avec la même vivacité, mettant des mots nets sur la honte sociale lorsqu’elle fréquente des camarades appartenant à un milieu social privilégié, elle dont le prénom fait dire « Maria, c’est marrant, tu t’appelles comme notre femme de ménage. »

« Rêvant de m’appeler Sophie ou Julie, je tenais parfaitement mon rôle de jeune fille modèle devant les parents des copines qui m’invitaient à dîner, à dormir. Je jouais au singe savant. Oh, qu’elle est cultivée pour une fille de femme de ménage ! Je faisais mon effet sur les parents des autres, un mélange de pitié et d’épate quant à mes origines.

 

J’exagérais le trait ; je les regardais comme des sauveurs et les écoutais plus que leur progéniture. Je buvais leur savoir et leurs connaissances. Nourrie et repue par leur bourgeoisie, je pouvais enfin m’éloigner de mon duo parental bruyant et angoissant. J’avais grandi comme une souris de laboratoire en captivité, j’avais enfin trouvé la sortie du labyrinthe que mes parents avaient construit autour de moi. »

La narratrice s’extirpe de son milieu par des études à la FEMIS pour devenir réalisatrice (ce qu’elle est aujourd’hui), mais elle ressent une souffrance sourde, étrange, comme si quelque chose de bancal la faisait vaciller. Avec un tirage de tarots qui bouscule ses certitudes et la bouleverse, le roman bascule à sa mitan dans une enquête/quête des origines qui la mène à Bilbao où tout a commencé, afin de démêler les mystères soulevés par les cartes et s’approcher de la vérité.

Lorsqu’elle écrit, Maria Larrea met ses tripes et son ADN, questionnant très justement sur la notion de filiation et de ce que c’est d’être parent. Elle le fait avec une franchise désarmante qui dessine progressivement les contours d’une famille, avec une véritable profondeur de champ. Au fil d’un texte tranchant et plein d’allant, le lecteur la suit, jusqu’à ces dernières pages très touchantes où elle “rencontre” enfin ses parents après avoir percé leurs secrets, et accède à la liberté d’être elle.

Le roman est sélectionné dans le cadre du Prix de la Porte dorée 2023.

 
 
 
 
 

Une michronique de
Auteur invité

Publiée le
14/03/2023 à 13:13

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Les gens de Bilbao naissent où ils veulent

Maria Larrea

Paru le 17/08/2022

224 pages

Grasset & Fasquelle

20,00 €