Grand auteur japonais du traumatisme post-Seconde Guerre mondiale, Kenzaburō Ōe est décédé ce 3 mars à l’âge de 88 ans, indique son éditeur Kodansha. Célèbre pour ses recueils de nouvelles et ses romans, il obtient à seulement 23 ans le Prix Akutagawa, plus importante récompense littéraire japonaise, pour Gibier d’élevage (trad. Marc Mécréant).
Le 13/03/2023 à 18:35 par Hocine Bouhadjera
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13/03/2023 à 18:35
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Né en 1935, Kenzaburō Oe, que ce soit dans sa fiction ou dans ses essais, a souvent traité de la Guerre. Que ce soit par le militarisme de l’ancien Japon impérial, en passant le traumatisme du conflit ou l’humiliation de la défaite, jusqu'aux relents de nationalisme après-guerre.
Il s’est aussi efforcé de donner une voix aux victimes anonymes de l’après-guerre : « Sans mes expériences de 1945 et des années suivantes, je ne serais jamais devenu romancier », dira-t-il plus tard, cité par le Guardian.
Kenzaburō Ōe voit le jour dans un petit village isolé, dans les forêts de Shikoku. Il est le cinquième d’une famille de sept enfants. Élevé dans la croyance que l’empereur du Japon était un dieu vivant, Ōe entend pour la première fois la voix de l’empereur Hirohito, proclamant la reddition du Japon après les bombardements nucléaires d’Hiroshima et de Nagasaki. Le bouleversement est total.
Son père est tué en 1944, sa mère et sa grand-mère l’éduquent à base de contes folkloriques, mais aussi des aventures de Huckleberry Finn et des merveilleuses aventures de Nils Holgersson.
Kenzaburō Ōe est le seul de ses frères et sœurs à aller à l’université, y étudie le français, et devient journaliste. Il publie sa première nouvelle en 1957, Un curieux travail. Une autre nouvelle de 1958, Gibier d’élevage, qui raconte l’amitié entre un enfant japonais et d’un prisonnier de guerre noir américain, lui vaut le prix Akutagawa à l’âge de 23 ans.
La même année, il édite son premier roman, Arrachez les bourgeons, tirez sur les enfants, qui met en scène un groupe de jeunes délinquants abandonnés par des villageois, alors que les combats font rage. Si une certaine jeunesse d’après guerre lui voue un culte, en tant qu’il exprime cette colère contre le gouvernement du pays, beaucoup de critiques japonais brocardent l’influence occidentale trop marquée dans ses textes.
Il est comparé à William Faulkner dans son style et son approche par son traducteur anglais, John Nathan, à Dostoïevski par Henry Miller, quand son compatriote Kazuo Ishiguro le décrit comme « modeste, étonnamment ouvert et honnête, et très indifférent à la renommée ».
Il sera au Japon la cible des conservateurs pour des ouvrages comme Seventeen (trad. René de Ceccatty et Ryôji Nakamura), paru en 1961, inspiré par le véritable assassinat du président du parti socialiste japonais l’année précédente. Il sera agressé physiquement dans le campus de l’Université de Tokyo où il fut enseignant.
Son essai de 1970, Notes d'Okinawa (trad. Corinne Quentin) détaille comment l’armée japonaise avait convaincu les civils d’Okinawa de se suicider lors de l’invasion alliée en 1945. Il l’amena devant la justice en 2005, après des plaintes de deux officiers à la retraite. Toutes les charges retenues contre l'auteur ont finalement été rejetées.
L’auteur japonais s’est notamment engagé contre la Guerre du Vietnam et pour l’indépendance de l’Algérie. Il participera à la marche de 1961, accompagné de figures comme Jean-Paul Sartre, qu'il admire beaucoup, ou Simone de Beauvoir. En 2007, auprès de Paris Review, il déclare être « un anarchiste qui aime la démocratie ».
En 1994, la même année que l’obtention du Prix Nobel, il refuse l’Ordre de la Culture du Japon au motif qu’il rejette « toute autorité, toute valeur supérieure à la démocratie ». Dans ses dernières années, il s’est engagé pour la réconciliation de son pays avec ses voisins, notamment avec la Corée, exhortant le pouvoir japonais à indemniser les esclaves sexuelles coréennes en temps de guerre.
Parmi ses romans les plus importants, on peut encore citer Le Jeu du siècle (trad. René de Ceccatty
et Ryôji Nakamura), que le comité Nobel a considéré comme son chef-d’œuvre.
Mais aussi Une affaire personnelle (trad. Claude Elsen), paru en 1965, ou encore Une existence tranquille édité en 1990, qui s’appuient sur son expérience de père d’un enfant handicapé, Hikari. « J’ai été formé en tant qu’écrivain et en tant qu’être humain par la naissance de mon fils », confiait-il en 2005.
Hikari est devenu un compositeur primé, et ses oeuvres se sont vendues « mieux que n’importe lequel de mes oeuvres, et j’en suis fier », décrivait Kenzaburō Ōe.
Crédits photo : Thesupermat (CC BY-SA 3.0)
Paru le 01/01/1996
372 pages
Editions Gallimard
9,70 €
Paru le 09/02/2012
238 pages
Editions Gallimard
9,50 €
Paru le 06/05/2011
92 pages
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2,00 €
Paru le 05/09/2019
241 pages
Philippe Picquier
20,50 €
Paru le 03/10/2016
224 pages
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8,10 €
Paru le 01/01/1997
289 pages
Editions Gallimard
9,20 €
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Reshad Nazroo
16/03/2023 à 01:11
J'ai entendu parler de Kenzaburo Oé, et même si je ne l'ai jamais lu, cette nécrologie est très informative, car elle attire l'attention sur l'aspect narratif de l'histoire du Japon moderne, c'est-à-dire avant et après la 2e guerre mondiale. D'abord, il existe un parallélisme certain avec un autre grand Nobel japonais, presque un quart de siècle avant lui, son célèbre aîné Yasunari Kawabata (Prix Nobel en 1968), qui a surtout écrit sur des thèmes métaphysiques - la souffrance et la mort - mais de manière poétique, à l'ancienne. Ensuite, il rappelle surtout le fameux Yukio Mishima, militant nationaliste d'extrême-droite, qui fit partie des forces d'autodéfense nippones et qui commit un "seppuku" très médiatique en 1970. Alors, peut-on dire : Oé, Kawabata, Mishima, même combat?