Ce 9 février, l’auteur péruvien, Mario Vargas Llosa, était reçu en « séance solennelle » sous la Coupole. Il reprend le fauteuil du philosophe disparu en 2019, Michel Serres (18), a qui il a rendu un éloge comme le veut la tradition. Le discours du nouvel immortel s’est tenu sur deux jambes : une évocation de sa passion pour la littérature française et ses écrivains, et une charge politique contre les pays totalitaires dans lesquels il place la Russie de Poutine.
Le 10/02/2023 à 17:54 par Hocine Bouhadjera
4 Réactions | 490 Partages
Publié le :
10/02/2023 à 17:54
4
Commentaires
490
Partages
Le soir précédent, le Prix Nobel de littérature 2010 a reçu son épée de membre de l’Académie française lors d’une cérémonie chez Gallimard, son éditeur hexagonal. Le romancier péruviano-espagnol de 86 ans, déjà membre de l’Académie péruvienne de la langue depuis 1977, et de l’Académie royale espagnole depuis 1994, a été élu en novembre 2021.
Flaubert, le plus grand
Il est le premier à devenir un immortel sans n’avoir jamais écrit de livre en français et à dépasser de dix ans la limite d’âge, fixée à 75 ans dans les statuts. Des passe-droits qui révèlent le grand désir de quasi tous les académiciens à l’accueillir sous la Coupole : 18 voix pour lui, une seule pour un rival, un blanc, deux nuls. L’Académie n’avait plus hébergé de Prix de Littérature Nobel depuis François Mauriac, membre entre 1933 et 1970. Sa renommée mondiale a certainement aussi joué dans ce plébiscite.
Dans son discours, rédigé avec l’aide du traducteur français du romancier, Albert Bensoussan, l’auteur de La Fête au Bouc débute par ses mots : « Au temps de mon enfance, la culture française était souveraine dans toute l’Amérique latine ainsi qu’au Pérou. “Souveraine”, cela veut dire que les artistes et les intellectuels la tenaient pour la plus originale et consistante. »
Il confesse même : « En apprenant le français et en lisant les auteurs français sans relâche, j’aspirais secrètement à être un écrivain français ». Selon celui qui s’installa à Paris dès 1959, à seulement 23 ans, Flaubert est « peut-être le plus important du XIXe siècle européen, ou du moins français, autrement dit mondial. »
Et d’ajouter : « Je l’ai lu et relu maintes fois, avec une infinie gratitude, et je peux dire que c’est à cause de lui, ou plutôt grâce à lui, que vous me recevez aujourd’hui ici, ce dont je vous suis, de toute évidence, très reconnaissant. (...) Personne n’a conçu la littérature avec autant de rigueur et de dévouement. »
Il évoque ensuite Victor Hugo comme immense français, non pour sa poésie « qui nous paraît maintenant quelque peu rhétorique, mais pour Les Misérables, un roman que j’ai lu adolescent et que j’ai relu en partie plusieurs fois ».
Il a expliqué avoir véritablement découvert la littérature latino-américaine en France, entre Borges, Cortázar, Uslar Pietri, Onetti, Octavio Paz et, plus tard, Gabriel García Márquez : « C’est donc en France — quel paradoxe ! – que j’ai commencé à me sentir un écrivain péruvien et latino-américain. »
Faire oublier ses positions droitières ?
C’est enfin en France qu’il a été « sauvé du stalinisme », après avoir milité un an au parti communiste péruvien, par l’entremise des existentialistes français — « surtout l’équipe des Temps Modernes, Maurice Merleau-Ponty, Jean-Paul Sartre, Albert Camus et Simone de Beauvoir ».
Outre d'évoquer ses inspirations littéraires de francophile, il a également convoqué l’actualité brûlante, profitant de l'occasion pour dénoncer les agissements récents, et plus anciens, de la Russie : « Cette caricature que les pays totalitaires nous vendent comme romans, mais qui n’existent qu’après avoir traversé la censure qui les mutile, afin d’étayer les institutions fantasmagoriques de semblables singeries de démocratie, dont nous donne l’exemple la Russie de Vladimir Poutine. »
Et de continuer : « Dans le cadre des horribles guerres et tueries de ces temps barbares, la littérature — appelée Molière — a distendu la vie en la berçant de rêves qui se confondaient avec les exploits. » Il en est d’ailleurs certain : « Le roman sauvera la démocratie ou s’abîmera avec elle et disparaîtra. »
Des membres de l’Académie comme Andreï Makine, Dominique Fernandez ou la secrétaire perpétuelle elle-même, Hélène Carrère d’Encausse, grande connaisseuse de l’Union soviétique, ont certes condamné « l’opération spéciale » russe. Leurs positions, avec d’autres, jugées trop « russophiles », ont tout de même été mises en cause, notamment par le magazine l'Obs.
Malgré les différentes affaires qui ont écorné son message, l’ancien roi d’Espagne Juan Carlos a par ailleurs été invité par l’écrivain, reçu par Xavier Darcos et Hélène Carrère d’Encausse.
Installé depuis 2020 aux Émirats arabes unis, l’ancien monarque a vu sa popularité s’effondrer dans son pays après une série de scandales. En cause : une plainte pour harcèlement d’une ancienne maîtresse, Corinna Larsen, des révélations sur son train de vie somptueux, et une chasse à l’éléphant au Botswana... Présent aussi, entre autres, un certain Manuel Valls.
En France, une tribune contre Llosa
Mario Vargas Llosa est controversé en Amérique latine pour ses positions droitières, dans une région où de très nombreux gouvernements sont de gauche. En France aussi, une tribune publiée en décembre 2021 dans Libération, signée par un collectif d’universitaires, dénonçait les positionnements politiques de l’auteur des Temps sauvages. Il lui était reproché en particulier son soutien à José Antonio Kast, candidat de la droite, défait à la présidentielle chilienne.
Les soutiens systématiques du Prix Nobel 2010 aux candidats de droite en Amérique latine sont avérés, et l’écrivain ne s’en cache pas : que ce soit en faveur de Keiko Fujimori, au Pérou, finalement perdante face au socialiste Pedro Castillo, ou encore du président colombien Iván Duque, qu’il a soutenu dans sa politique de répressions des mouvements sociaux dans son pays, qui ont fait au moins 70 morts.
Pour les signataires, « les prises de position extrémistes de Mario Vargas Llosa sont bien connues et suscitent depuis longtemps un fort rejet » et sa nomination « ternit l’image de la France en Amérique latine ».
La tribune n’oubliait pas également de rappeler l’évasion fiscale présumée de l’écrivain, révélée par les Panama, puis les Pandora Papers. En outre, les chercheurs signataires de la tribune ont accusé la Fundación Internacional para la Libertad (FIL), dont l’écrivain est président, de travailler en faveur de la « consolidation des réseaux de la droite et de l’extrême droite hispano-américaine ». Des polémiques qui semblent à présent bien lointaines.
L’Académie, institution chargée depuis 1635 de défendre la langue française et de rédiger un dictionnaire, compte 40 fauteuils.
Cinq sièges restent à pourvoir, après l’élection du professeur au Collège de France, Antoine Compagnon, et les échecs des dernières élections, faute de majorité absolue pour un candidat. Elles avaient vu s’affronter Frédéric Beigbeder et Benoit Duteurtre.
Crédits photo : Académie française (YouTube)
Paru le 09/09/2021
381 pages
Editions Gallimard
23,00 €
Paru le 23/05/2019
580 pages
Editions Gallimard
11,50 €
Paru le 11/02/2021
336 pages
Editions Gallimard
22,00 €
4 Commentaires
Reshad Nazroo
11/02/2023 à 05:07
Article révélateur de la francophilie de Llosa qui mentionne son dû à Flaubert, mais qui n'est pas sans rappeler un autre très grand écrivain de la même stature - malgré l'écart dans le temps et l'espace surtout - qui rendit hommage à la littérature française aussi et par ailleurs fut le premier à aider à faire publier les plus célèbres des écrivains de son époque, justement Flaubert, Zola et Maupassant, et ce tout en ne cachant pas son admiration pour Hugo : c'est le russophone Ivan Tourguéniev.
Mazon
11/02/2023 à 07:30
L'extrême droite se renforce à l'Académie Française avec l'arrivée de ce personnage sulfureux qui soutient tous les dictateurs en Amérique Latine.
C'est une honte pour l'Académie Française et tout ce beau monde, dont l'ex roi Carlos d'Espagne en exil aux émirats, finira à la table de Macron à l’Élysée.
Vous avez dit République ?
Tiempos Futuros
11/02/2023 à 07:48
Pôvre France, ton "acacadémie" fout le camp.
Merdre alors!
jujube
11/02/2023 à 17:12
Espérons que se réduisent les reportages sur ce peu sympathique personnage qui aurait dû ne pas être incorporé à l'Académie française pour des raisons claires déjà exposées.