L'usage et le développement des outils d'intelligence artificielle se répandent, un peu partout dans le monde. Aux États-Unis comme en Europe, le droit est contraint de répondre à des questions relatives à la titularité des créations des IA, mais aussi à l'exploitation des œuvres par les machines.
Le 10/02/2023 à 10:13 par Antoine Oury
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10/02/2023 à 10:13
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La multiplication des outils utilisant des programmes d'intelligence artificielle, ainsi que la facilité d'accès grandissante à ces derniers suscitent des interrogations désormais bien connues. Qui peut revendiquer la titularité des droits d'auteur des contenus générés par des IA ? Les concepteurs, ou la personne « donneuse d'ordres » aux programmes ?
Et, puisque ces intelligences artificielles se « nourrissent » de créations préexistantes, dont certaines encore protégées par le droit d'auteur, leur usage est-il illicite en l'absence d'accord des ayants droit des œuvres utilisées ?
Aux États-Unis, l'usage a précédé le droit, en l'occurrence celui du copyright sur les œuvres. En septembre dernier, l'artiste new-yorkaise Kris Kashtanova se félicitait d'une reconnaissance de son copyright sur sa bande dessinée Zarya of the Dawn, par le United States Copyright Office, institution chargée de tenir à jour les registres en la matière.
Pour réaliser Zarya of the Dawn, Kris Kashtanova s'est adjoint les services d'un fameux programme de synthèse d'images, Midjourney. Autrement dit, une intelligence artificielle a participé à la conception de l'œuvre, en produisant des visuels.
En accordant un copyright à Kashtanova sur la BD, l'institution américaine semblait trancher : Zarya of the Dawn était bien sa création. Midjourney apparaissait alors comme un outil, à la manière d'un logiciel de dessin.
La situation est en réalité un peu plus compliquée : le Copyright Office a depuis précisé que l'implication de Midjourney n'avait pas été explicitée par l'artiste dans sa demande de copyright. Après le battage médiatique, l'institution a donc rouvert le dossier, « toujours en examen », selon les dernières informations.
Et pour cause : le Copyright Office est actuellement en litige avec l'ingénieur Stephen Thaler, créateur du système d'intelligence artificielle DABUS. Celui-ci — ou son invention — avait créé une œuvre, intitulée A Recent Entrance to Paradise, mêlant photographie et bruit graphique. Le dépôt du copyright avait été refusé, en 2019, ce que Thaler conteste à présent devant la justice.
Ce mercredi 8 février, devant une Cour de Washington, le Copyright Office persiste et signe : « [L]a protection du copyright ne s'étend pas aux auteurs non humains. » Si un futur changement de la loi sur le copyright n'est pas à exclure, l'état du droit, outre-Atlantique, semble prohiber l'attribution d'une œuvre à une intelligence artificielle.
La zone grise reste toutefois large, puisque le Copyright Office précise « qu'il ne recensera pas des œuvres produites par une machine ou par un système mécanique approchant, qui fonctionne de manière aléatoire ou automatique sans aucun apport créatif ou aucune intervention d'un auteur humain », rapporte PetaPixel.
Le devenir de la titularité de Kris Kashtanova sur Zarya of the Dawn reste donc incertain : le Copyright Office étudiera sans doute des preuves de l'implication de l'artiste dans la création de la BD. Sachant que le cas Stephen Thaler est particulier. Dans le dépôt de sa demande de reconnaissance du copyright, l'ingénieur aurait d'abord indiqué qu'il n'était nullement intervenu dans le processus de création, avant de la modifier, selon le Copyright Office.
À LIRE : Suède : la bibliothèque nationale, terrain d'entrainement des IA
La Cour de Washington doit désormais se prononcer sur les suites à donner à la plainte, avec des conséquences importantes vis-à-vis des questions relatives au copyright et à la création, assistée ou non, par les intelligences artificielles.
De l'autre côté de l'Atlantique, les législateurs s'emparent aussi des questions juridiques soulevées par les usages créatifs des intelligences artificielles.
En France, le sujet a fait l'objet d'un rapport du Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique (CSPLA), dès 2020. Cette instance indépendante, qui apporte son expertise au ministère de la Culture, avait estimé que le droit positif devait prendre en compte les réalisations culturelles de l'intelligence artificielle. Autrement dit, que les usages devaient être considérés par la loi, pour ne pas laisser un vide juridique favorable aux incertitudes et aux litiges.
Dans le droit européen, l'article 4 de la directive 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019, sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique, a mis en place une exception « fouille de données ». Dédiée aux usages de l’IA, et notamment à l'apprentissage basé sur des masses de données, cette exception peut toutefois être limitée par une opposition des ayants droit (un « opt out »).
Diverses initiatives européennes entendent désormais réguler les recours aux intelligences artificielles, pour y apporter plus de transparence et ainsi limiter au maximum les possibilités de dérives. En avril 2021, la Commission européenne ouvrait le chantier d'une législation communautaire sur l'intelligence artificielle.
Fin 2022, le Conseil de l'Union européenne a rendu publique son « orientation générale » vis-à-vis de cette législation à venir, procédant entre autres à une classification des systèmes d'IA, selon les risques pour les droits fondamentaux des citoyens.
L'intelligence artificielle revêt une importance capitale pour notre avenir. Aujourd'hui, nous sommes parvenus à atteindre un équilibre délicat qui stimulera l'innovation et l'adoption de la technologie de l'intelligence artificielle dans toute l'Europe, avec tous les avantages que cela présente, d'une part, et dans le plein respect des droits fondamentaux de nos citoyens, d'autre part.
– Ivan Bartoš, vice-Premier ministre tchèque chargé de la transformation numérique et ministre du développement régional
L'orientation générale du Conseil de l'Union européenne, la proposition de la Commission et la position du Parlement européen donneront lieu à des trilogues, des négociations, au cours de l'année 2023. L'idée étant de parvenir à une adoption avant la fin de l'année, alors que les usages et possibilités de l'intelligence artificielle évoluent rapidement.
Un collectif d'organisations d'auteurs et de créateurs, des secteurs de la musique, de l'audiovisuel et de la littérature, rejoint le débat en s'exprimant sur les garanties de transparence et de consentement contenues dans le texte européen.
En effet, « [l]es technologies d'intelligences artificielles s'appuient de plus en plus sur les œuvres d'auteurs et de créateurs pour “nourrir” et entrainer leurs applications, sans leur consentement ou à leur insu, en violation des droits des auteurs et des créateurs garantis par les lois internationales, européennes et nationales ».
Sans surprise, les organisations soulignent le besoin de protéger les œuvres des « détournements » et autres usages illicites. « Non seulement pour préserver leurs moyens d'existence, mais aussi pour informer les citoyens quant à l'usage d'œuvres originales par les applications basées sur l'intelligence artificielle. »
L'article 52 du projet de règlement de la Commission venait encadrer la génération artificielle d'images, de contenus audio ou vidéo, obligeant les utilisateurs d'un système d'IA à cette fin à préciser « que les contenus ont été générés ou manipulés artificiellement ». Curieusement, le texte n'évoque pas les écrits, que les intelligences artificielles peuvent pourtant produire de la même manière.
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Le collectif d'organisation d'auteurs s'inquiète toutefois de la proposition du Conseil de l'UE, qui introduit une exception aux obligations de cet article, « lorsque le contenu fait partie d'un travail ou d'un programme manifestement créatif, satirique, artistique ou de fiction, sous réserve de garanties appropriées pour les droits et libertés de tiers ».
La formulation « ambigüe et pernicieuse » semble préjudiciable aux droits des auteurs et créateurs, pour le collectif, au sein duquel se trouve le Conseil des écrivains européens (European Writers' Council, EWC).
Il appelle le législateur européen « à placer au cœur de toutes les initiatives liées à l'usage de l'IA les notions de transparence et de consentement des auteurs et des créateurs ».
Photographie : image d'illustration générée par l'outil Craiyon, basé sur l'intelligence artificielle
Par Antoine Oury
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3 Commentaires
L' albatros.
10/02/2023 à 11:08
Très intéressant.
L' IA -- ramene a l epoque du Moyen - Age , entre le 12 et 15 ieme siecle de l ' ère chretienne, le moment des Suites anonymes.
Par les copistes, par les troubadours, trouveres, et jongleurs qui reprenant des personnages et des situations célèbres , en variaient les aventures, et les développaient.
Suite anonyme ---- a qui l ' attribuait ?
--- les groupes de troubadours, trouveres, jongleurs se trouvaient liées à des cours, cour de France, cour d' Angleterre , cour d' Ecosse, cour de Champagne, cour d' Anjou, ...
On peut considérer que toutes ces cours, faisaient , en tant que groupe, fonction de société anonyme pour les créateurs- recitants lyriques.
La narration y était considérée comme collective , et ce qui en était fêté, était l' invention d' une variation, ou d' une suite, dignes d' etre reprises et continuees par d' autres.... !!!!
Liés à la concurrence ou rivalité des Cours entr' elles....
On pourrait en déduire, de manière contemporaine, que tout ce qui passe outre à l ' accord des créateurs initiaux soient fortement taxés, et que les sommes soient reversées aux maisons d' edition soutenant à leurs risques et périls une politique de Création Libre, par L ' Offre du Don à Lire....des Ouvrages Audacieux au Lectorat.
Quant aux autres, ceux qui auraient donnés leur accord, c est un peu comme le rapport a l image pour un film ou telefilm tournés.
A chaque fois qu ils sont Re - diffusés, tous les participants touchent un pourcentage.
Trouver un équivalent à ce système serait bienvenu et judicieux.
Car le vrai problème, ce n est pas ça.
Tout aussi passionnant et passionnel la pure création textuelle originale par IA.
Là, je crains que l ' on ne soit pas préparé, au choc culturel....malgré tout le verbiage sur le tout numérique, l informatique, le progrès technique, etc......
!!!!!!!
Mehdi Touzani
11/02/2023 à 08:22
Bonjour,
Il y a plusieurs erreurs dans l'article puisque le dossier a été rouvert uniquement parce que - justement - midjourney avait été mentionné comme auteur, or un outil ne peut pas avoir de droit d'auteur, comme un pinceau, Photoshop ou un appareil photo ne peuvent avoir de droits d'auteur.
L'autre erreur notable est que le Copyright Office n'est pas une juridiction et ne crée pas de « pprécédent". Seuls les Tribunaux peuvent le faire.
Les éditeurs n'iront pas au procès, car ils savent bien que ce sont des œuvres qui ne sont ni des plagiats ni des contrefaçons, et qu'ils ouvriront la boite de pandore de la cession de droits.
En effet, quand les sociétés créant les logiciels d'IA graphiques paieront des droits d'auteur (si jamais elles utilisent des images protégées), alors il y aura un droit de copie des artistes "originaux" , de la même façon que les banques d'images cèdent les droits commerciaux, ou les banques de son pour la musique.
Outre le fait que Zendaya, comme d'autres, sont de vraie œuvres originales au même titre que les BD réalisées à la main, il faut quand même dire que 90% des dessinateurs de BD sont de simples clones qui font "dans le style de..." qui dessinent mal, n'apportent rien à l'art graphique, et n'ont rien d'autre à raconter que des scénarios vu et revu mille fois.
Mais, le droit d'auteur ne s'attache pas au "mérite" et existe tant qu'il y a une création intellectuelle fut-elle minime ou de mauvaise qualité.
Si tel n'était pas le cas, il faudrait retirer tous droits d'auteur à des centaines d'artistes qui ne sont que des copies d'autres existant avant eux. Par exemple, ça ne gêne personne d'aller voir les impressionnistes russes, fussent-il des clones des impressionnistes français. Les IA ne font pas grand-chose d’autre : s’inspirer de la même façon que le font les humains.
Le « talent » n’a rien à voir, puisque le talent n’existe pas. Des Picasso, des van Gogh, des Moebius (jean Guiraud) ne sont pas né avec la science infuse et ont construit leur style lentement et à force de travail, de réflexion, et de nombreux échecs.
Des artistes vraiment originaux, il y en a une poignée par siècle, et ce ne sont pas toujours ceux-là qui sont reconnus de leur vivant, puisque le succès et surtout une affaire de marketing, de communication, de réseau, voire de soumission aux demandes du marché.
jujube
11/02/2023 à 17:37
L'usage de l'intelligence artificielle, en soi-disant littérature, est une plaie qui continuera de sévir et disparaîtra, sans doute, lorsque la grande majorité de ses lecteurs succombera sous la nausée.
En attendant, obligeons les autrices et auteurs humains actuels à maintenir haute la barre ou écrire encore mieux. (Sans oublier, hélas, que certaines maisons d'éditions publient n'importe quoi, pourvu que ça se vende. A nous d'ouvrir l'oeil, et le bon).