À mi-chemin entre la performance et l'atelier d'écriture, l'autrice belge néerlandophone Saskia De Coster « s'expose » dans une boite de verre, au Musée Royal des Beaux-Arts d'Anvers. Pendant un mois, elle y écrira, pour terminer son prochain roman.
Le 02/02/2023 à 15:20 par Antoine Oury
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02/02/2023 à 15:20
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Fondé au début du XIXe siècle, le Musée Royal des Beaux-Arts d'Anvers (ou KMSKA) fait partie des institutions muséales les plus prestigieuses de la Belgique. Il abrite les œuvres de grands maitres flamands, dont l'influence sur la peinture fut considérable, mais aussi des pièces modernes et contemporaines.
Il dispose de sa propre salle de restauration, mais aussi d'un jardin, et mène une politique suivie de résidences d'artistes.
La performance de Saskia De Coster s'inscrit d'ailleurs dans un cadre proche : pendant un mois, depuis le 1er février et jusqu'au 28 de ce même mois, l'autrice prend place au sein de la salle des héros (Heldenzaal) — excusez du peu. Littéralement : elle déroule dans la pièce son sac de couchage, et s’asseoit derrière un bureau.
« The Author is Present », tel est l'intitulé de cette proposition. Et pour cause : Saskia De Coster passera le plus clair de son temps à écrire, dans cette salle, derrière un mur transparent. Isolée, elle n'adressera pas la parole aux visiteurs, tout en restant sous leurs yeux et en les observant, elle aussi, en retour.
D'ailleurs, le titre de la performance rappelle celui de Marina Abramović, The Artist is Present, dans laquelle elle fixait les spectateurs pour créer, parfois, un lien très fort.
Enfant, elle écrivait dans un coin de la cabane de jardin. Là, elle plongeait au plus profond de son imagination. Avec le spectacle The Author is Present, elle retourne à ses débuts, en poussant l'isolement un cran plus loin. Comment le processus d'écriture évolue-t-il lorsque l'écrivain se déconnecte de la société médiatique actuelle et bannit toute forme de communication ?
– KMSKA
Rendre la création littéraire visible reste une gageure, surtout pour les musées qui, lors d'une exposition, se retrouvent souvent face à des choix restreints. Réunir les éléments liés à la vie de l'auteur ou de l'autrice d'une part, ou montrer des manuscrits et autres documents de travail d'autre part. Dans le domaine de la littérature, il est évident que le texte reste central.
Si Saskia De Coster ne fera pas lire le sien en train de s'écrire, les visiteurs auront tout de même face à eux l'acte littéraire.
Le roman que De Coster y terminera traite de la manière dont nous en tant qu'êtres humains faisons face aux thèmes tels que l'inaccessibilité, la perte et la quête de liens.
– KMSKA
L'isolement de l'autrice est incontournable dans l'expérience. La résidence dans le musée, pour sa part, fait penser à la collection « Ma nuit au musée », des éditions Stock, qui propose à des auteurs de rendre compte de quelques heures passées, seuls, dans une institution.
Enki Bilal a erré dans les couloirs du Musée Picasso, Leïla Slimani s'est retrouvée à Venise, dans les collections d’art de la Fondation Pinault, quand Éric Chevillard a hanté la Grande Galerie de l’Évolution du Muséum d’Histoire naturelle de Paris, en novembre 2019. Bien d'autres se sont risqués à l'expérience...
Photographie : Saskia De Coster au Musée Royal des Beaux-Arts d'Anvers (capture d'écran YouTube)
Paru le 20/01/2021
151 pages
Stock
18,00 €
Paru le 19/01/2022
180 pages
Stock
18,00 €
6 Commentaires
jujube
03/02/2023 à 04:13
M'as-tu vue, c'est le cas de le dire!
Philippe
03/02/2023 à 09:32
Sacralisation outrancière de l'auteur, de l'acte d'écrire, du musée, d'un entre-soi pseudo intello qui atteint son paroxysme ! La culture se regarde fabriquer une pseudo-culture. Est-ce qu'on la verra faire caca sur les réseaux sociaux ? Est-ce qu'on l'entendra péter dans son duvet ? Cela fera sans doute l'objet d'une thèse en 2050. J'ai hâte.
tatou
03/02/2023 à 10:10
Pas très neuf tout ça, et même très réchauffé, puisqu'un tel projet avait germé dans la tête de l'homme d'affaire Eugène Merle qui par contrat avait proposé en 1927 à Simenon (alors connu sous le nom de Georges Sim) d'écrire en une semaine un roman, enfermé dans une cage de verre, au vu de tous, opération promotionnelle et de communication destinée à relancer une feuille intitulée Paris-Matin, dans lequel on pourra lire, sous le titre Le roman en cage, la prose suivante : "C'est un jeune auteur, M. Georges Sim, qui établira ce triple record, record de vitesse, record d'endurance, record de talent." Mais la faillite du journal compromit l'affaire. Comme quoi le ridicule n'est pas toujours au rendez-vous, ce qui risque donc de ne pas être le cas, à Anvers...
Laurent Robert
03/02/2023 à 12:17
J'avais pensé à la même chose immédiatement...
SamSam
05/02/2023 à 11:08
Performance spectaculaire marchande, qui ne dit rien sur l'acte d'écriture, sur la valeur du travail de l'auteur(e), sa nature, ses finalités...
Même pas original : Harlan Ellison, auteur états-unien de SF, avait fait la même chose, il y a 50 ans.
Philippe
05/02/2023 à 11:38
Comment, du coup, des institutions muséographiques en viennent encore à faire des propositions aussi creuses ? Les creux qu'ouvrent ces "performances" engloutissent le peu de sens, de poésie et de légitimité qu'il leur reste.
Mais c'est une fragilité qui touche toute la sphère contemporaine de l'art, non ?