Politiquement engagée, féministe, Laurence Biava est aussi et peut-être d’abord essayiste et romancière, comme en témoigne une production variée, abondante, et originale. Née en 1964, chroniqueuse pour divers médias (dont ActuaLitté), coach littéraire, animatrice d’ateliers d’écriture, Laurence Biava a notamment créé le prix Rive gauche à Paris en 2011. Par Étienne Ruhaud.
Brève, percutante, cette nouvelle fiction met à l’honneur l’Américain Tennessee Williams, comme l’annonce le titre. Actrice imaginaire, divorcée, un peu perdue, la belle Anita Deevers y adapte Doux oiseau de jeunesse, en un remake italien, sous le fascisme. Hélas, tout ne va pas se passer comme prévu…
ActuaLitté : Pouvez-vous nous parler de votre rencontre avec Tennessee Williams ? Quand avez-vous commencé à le lire ?
Laurence Biava : Les pièces de Tennessee Williams étaient dans la bibliothèque familiale et j’ai vu mon père acteur/amateur et amateur de théâtre le lire. Des amis écrivains aussi me l’ont fait lire et relire, tout comme ma mère bibliothécaire, mais personnellement, je m’y suis intéressée assez tôt, vers mes 25 ans. Je savais qu’un jour, j’allais lui consacrer un livre car presque tout me lie à cet écrivain.
Sa mélancolie, sa bohème, sa façon d’être autant que son œuvre. Et il était temps de lui rendre cet hommage appuyé. C’est ma façon de dire « In mémoriam ». Oui, merci pour tout. Merci pour ce que vous avez apporté au théâtre, au cinéma, et aux rôles féminins que vous avez suscités et qui ont été campés par les plus belles actrices.
Vous avez consacré plusieurs essais à des auteurs, comme François Mauriac. Pourquoi avoir cette fois choisi la forme romanesque (pour évoquer Tennessee Williams, donc) ?
Les textes dédiés à François Mauriac et Jean-Marc Parisis que vous mentionnez ci-dessous n’étaient pas des essais mais des duettos imaginés par l’éditeur Dominique Guiou dont la maison d’édition, sauf erreur de ma part, a disparu. Le Duetto, qui était une très belle idée consistait pour un écrivain à en évoquer un autre, cher à son cœur. C’était en quelque sort un relativement court exercice d’admiration assumé, qui permettait à des gens comme moi d’évoquer un style et une œuvre. Tout simplement. Dans ce roman-ci, c’est très différent.
Il fallait nécessairement une longue fiction pour tendre vers cet hommage que je souhaitais rendre à Williams. Son œuvre si riche, si diverse et si touchante, se raconte et se rencontre au travers de l'itinéraire d'Anita. J’assume les références nombreuses aux textes de Tennessee, à leur aspect poétique, profondément humain, un peu désespéré et plein de nostalgie, inséparables des noms de Vivien Leigh, Elizabeth Taylor, Richard Burton, Paul Newman, Ava Gardner ou Marlon Brando. J’ai beaucoup travaillé. Et j’ai surtout voulu respecter la quintessence de l’œuvre du dramaturge.
En 2018, vous avez également consacré un essai à l’écrivain contemporain Jean-Marc Parisis. Vous sentez-vous proches de certains auteurs actuels ? Et si oui, lesquels ?
J’utilise certains de leurs textes en ateliers d’écriture. Ce sont mes paradigmes littéraires et je connais leur œuvre sur le bout des doigts (l’inverse n’est pas vrai, il est sans doute inutile de le préciser. Ah, tant pis, c’est fait).
Sinon, bien sûr, j’aime les auteurs du XIXe et au-delà. Les écrivains mélancoliques de la Rive gauche à Paris, les existentialistes, les surréalistes, quelques essayistes. Quelques psychanalystes. Dans le désordre, Hamsun, Balzac, Flaubert, Tchekov, Sartre, Lévinas, Freud, Jean-Jacques Schuhl, J.D Salinger, Fitzgerald, Hemingway, Eric Holder, Valéry Larbaud, Paul Jean Toulet. J’ai une tendresse particulière pour Jaccard et Noguez qui nous ont quittés ces dernières années. Le premier a fait partie du Prix Rive gauche à Paris, le second a failli être Président d’Honneur..
Votre roman est tout entier tourné vers le cinéma. Est-ce un milieu que vous connaissez ? Auriez-vous désiré être réalisatrice ? Ou actrice ?
Non, en vérité, je ne connais pas grand-chose au cinéma, je continue de me contenter d’être spectatrice de films, et comme tout un chacun, je reste en priorité séduite par l’affiche et la distribution. Pour ce livre, il fallut que je pivote un peu et pour rentrer dans le vif du sujet, que je me renseigne beaucoup. Rencontrer des scénaristes et des producteurs, et recevoir maints conseils pour éviter de raconter des choses qui auraient démontré que j’étais à côté de la plaque, que je ne m’étais pas saisi de mon sujet, ou plutôt d’un de mes sujets.
Hors de question de décrire des instants qui n’auraient jamais pu être imprégnés d’un certain réalisme. Évidemment, il fallait que mon propre scénario tienne la route en respectant l’oeuvre de Williams – mon fil rouge - autant que mes velléités de faire de l’actrice principale une réalisatrice. Je n’ai pas beaucoup improvisé, je n’ai pas ce talent. Et non, je ne caresse en rien le rêve de devenir réalisatrice ou actrice, il est de toute façon beaucoup trop tard.
Anita Deevers, l’actrice-héroïne, est bien un personnage de fiction. Qui vous a inspirée ? Quels autres acteurs (réels), ont pu vous inspirer ?
Pour ce rôle, j’ai pensé à nombre d’entre elles contemporaines. Les plus de 50 ans en gros, sans exception. J’ai voulu parler de toutes les actrices en une. J’ai voulu parler de ce qui navigue et se meut en elle, aux côtés de tous les autres protagonistes. Ces gens sont en mouvement perpétuel.
Avec eux, on est entre gloire et galère, entre les fêtes données autour du film, les problèmes qui jaillissent au quotidien, les éventuels conflits, ou les journées de pause au bord de mer. Sur un plan plus personnel, cette Anita me ressemble car je l’ai voulu affranchie et libre comme moi.
Pourquoi le personnage (fictif) d’Anita Deevers, l’actrice-héroïne, choisit-il de transposer Doux oiseau de jeunesse dans l’Italie fasciste ?
Je l’ai dit, j’ai surtout voulu respecter la quintessence de l’œuvre du dramaturge. La plupart des décors de films tirés de ses œuvres ont ce point commun : la chaleur du Sud de son enfance tout autant que l'hôtel Costa Verde au Mexique, l'appartement romain de Mrs Stone ou la grande maison près d'Amalfi de Mrs Goforth (dans le film Boom ). Le drame de Soudain l'été dernier se joue dans une station balnéaire Cabeza de Lobo située peut-être elle aussi au Mexique ou dans un pays latino-américain réel ou imaginaire.
Palaces, stations balnéaires avec plages à perte de vue, jardins luxuriants ou terrasses au chaud soleil. On retrouve un peu tout cela dans la région de Rimini chère à Fellini avec en plus le passé monumental de l'Italie. Il fallait aussi trouver dans l'histoire de l'Italie une période qui rappelle une certaine tension ou même une violence dans les rapports humains tels ceux du Sud Profond : le fascisme de l'entre-deux-guerres était donc une période à privilégier. Le remake de la pièce Doux oiseau de jeunesse narré dans le livre va avoir pour cadre l'Italie (la Côte Adriatique et Rimini) qui n'est pas étranger à l'univers de Williams qui aimait beaucoup ce pays.
Il y a écrit certaines de ses œuvres (Les Jeux de l'été nouvelle à l'origine de la pièce La Chatte sur un toit brûlant) et l'a choisi pour cadre dans un de ses rares romans Le Printemps romain de Mrs Stone. Il faisait de fréquents séjours notamment à Rome et demeurait lié à Anna Magnani qui avait été aussi l'interprète de deux de ses films (comme La Rose tatouée). L'Italie exerçait sur lui une certaine fascination. J’ai choisi cette pièce en particulier car elle fait écho aux propos de mon héroïne sur la peur de vieillir et permet d’explorer le filon autour de « la jeunesse éternelle »
Anita Deevers devient productrice. Or vous soulignez, précisément, quelle était la difficulté des femmes de l’époque à exercer ce type de fonction. Par ailleurs, vous êtes féministe et avez publié Les voix féministes (éditions Le Lys bleu, 2021). Quelque chose de Tennessee est-il un roman militant ?
Ce roman est parfaitement militant et féministe. L’héroïne s'isole quelque temps à Nice pour faire le point sur sa vie, son parcours et tous les gens importants qui en ont marqué les étapes. Son besoin intérieur est motivé par la peur de vieillir inexorablement, mais aussi par la crainte d’être déconsidérée de manière fort sexiste ou insidieusement critiquée pour toujours choisir les mêmes rôles… justement.
Ma première idée est de dire que le cas de cette Anita est similaire à tous ceux des actrices d’aujourd’hui : ne s’en sortent les femmes qui prennent en main leur destin. C’est l’une de mes fécondes motivations, et je pense avoir réussi à œuvrer dans ce sens très féministe. J’ai également voulu m’attarder sur ce thème de la fragilité de l’être. Deux sentiments reviennent chez Tennessee : la solitude, conséquence directe du thème de la fragilité de l’être, et la séduction liée à la culpabilité sans doute héritée de son éducation puritaine.
Deux sentiments que l'on va retrouver dans les protagonistes de Quelque chose de Tennessee, dans ce milieu du cinéma où on est souvent seul et où le métier vous porte à séduire ; c’est le paradoxe du comédien - être à la fois très entouré et se sentir seul comme Tennessee l'a été dans sa vie. Sans doute les milieux du cinéma et du théâtre lui plaisaient parce qu’elles lui permettaient de séduire ces si grandes stars qui ont interprété les rôles qu'il avait créés.
Vous avez également consacré un livre à Emmanuel Macron (Emmanuel Macron, mon futur antérieur, éditions Le Lys Bleu, 2019). Pensez-vous que l’écriture soit nécessairement engagée ?
Un livre n’est pas forcément militant, mais une écriture, comme tout acte de résistance, vous engage, oui. C’est bien le moins qu’on puisse attendre d’elle. Précision : « engagée » ne veut pas dire nécessairement politique. (j’ai écrit deux livres sur le Président de la République. Celui que vous citez, et En Marche, une histoire française avec 40 militants des années 2016/2017 Voila un livre militant, engagé, ET politique par excellence !)
Votre roman est très lisible, et le style en est limpide. Par ailleurs, le titre est inspiré par la fameuse chanson de Johnny Hallyday, que vous citez en exergue, aux côtés de Françoise Sagan, que vous semblez apprécier. Pensez-vous que la littérature doit-être accessible, et s’adresser au plus grand nombre ? Désiriez-vous écrire un roman populaire ?
Que signifie un livre « lisible » ? Oui, j’ai voulu associer Johnny/Michel Berger et bien sûr, Françoise Sagan que je connais bien et qui était une amie de Williams. C’est bien la moindre des choses de la citer a minima deux fois à des endroits différents du livre. On lui doit l’adaptation de la fameuse pièce Doux oiseau de la jeunesse au Théâtre de l’Atelier à Paris.
Si la littérature n’a qu’une mission, c’est bien celle-ci. Comme vous le dîtes, justement. : s’intéresser au plus grand nombre, capter tous les publics, sans restriction aucune. Je n’ai pas particulièrement envie d’écrire un roman populaire ou grand-public. On me le reproche assez. Je ne suis pas douée pour cela. C’est la raison pour laquelle je n’écris que des livres plus confidentiels, enfin, en apparence.
Jérôme, l’acteur principal, meurt dans un accident et finalement le film ne peut se faire. Le roman est donc relativement pessimiste. Cela reflète-t-il votre état d’esprit ? Estimez-vous que la littérature puisse apporter de la joie ? Écrire vous rend-il heureuse ?
Le roman est mélancolique, pas pessimiste. Je voulais une fin mélancolique, saganienne, très empreint de Bonjour Tristesse et totalement dans l’état d’esprit de Tennessee Williams. Aussi. Je ne pouvais imaginer une autre fin. Ce Jérôme qui meurt, c’est comme un signe du destin. Je ne voulais pas que, d’une façon ou d’une autre, mon héroïne succède à ces actrices sublimes de l’âge d’or hollywoodien. Je ne souhaitais pas que leur image soit flétrie, ou qu’on leur vole indirectement la vedette.
Je trouvais cela plus habile : une actrice/réalisatrice qui s’échine à monter un projet qui finalement ne se fait pas. La littérature apporte de la joie, de l’intérêt, distille une envie permanente de s’élever, de s’enrichir, elle attise l’envie, la curiosité. Je ne connais de plus important que de se nourrir des fictions des autres. Cela m’est vital. Donc, oui, écrire des romans me rend profondément heureuse. J’ai le sentiment d’être en vie et de résister. Impossible d’interagir autrement par les temps qui courent.
Paru le 10/11/2021
288 pages
Le Lys Bleu
25,00 €
Paru le 01/10/2017
576 pages
Les éditions Ovadia
20,00 €
Paru le 13/01/2022
113 pages
Mercure de France
8,50 €
Commenter cet article