#PenuriePapier – L’année 2022 aura lourdement pesé sur les industries puisant leurs ressources, voire leur existence, dans la fibre de bois. Les organisations professionnelles, au niveau européen, multiplient les rencontres : sortir par le haut de la pénurie devient un impératif. À l’initiative de la Fédération européenne des éditeurs, les représentants des fabricants de papier et des imprimeurs tentent d’agir de concert…
Le 17/12/2022 à 15:23 par Nicolas Gary
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17/12/2022 à 15:23
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Dès juillet 2021, nombre d’éditeurs français alertaient ActuaLitté des difficultés grandissantes à produrie leurs ouvrages. Des délais préoccupants doublés de coûts en hausse menaçaient les structures éditoriales. À cette époque, le terme de pénurie était honni : les professionnels privilégiaient la diplomatique expression « crise d’approvisionnement du papier ».
L’euphémisme ne leurrait toutefois personne et sur 2022 pesaient alors de lourds nuages gris. Genre anthracite...
La multiplication des alertes a fini par résoudre à l’évidence : en mars dernier, la Fédération européenne des imprimeurs (Intergraf) reconnaissait l’état d’urgence pour leur profession et leurs clients éditeurs : « Les prix du papier ont enregistré une explosion de 45 % en moyenne au cours des 6 derniers mois [septembre 2021 à mars 2022, NdR], voire de 80 % sur la matière utilisée pour produire des journaux. »
L’énergie, l’inflation, la guerre en Ukraine s’ajoutaient aux éléments structurels déjà très ancrés : entre 2016 et 2021, l’Europe avait perdu 25 % de ses capacités de production de papier graphique. L’unique solution résidait alors dans l’arrêt, du moins la réduction drastique, des exportations de pâte à papier (ainsi que de papier) vers des pays hors Europe.
En outre, une grève dans les papeteries nordiques aggravait sur le court terme l’approvisionnement, tant en papier qu’en cartons. Les stocks des imprimeurs commençaient à ressentir des sueurs froides. Et bien entendu, le fait que des papetiers aient privilégié la production de carton d'emballage, plus rentables, au papier graphique, n'arrangeait rien.
Le conglomérat Copacel, réunissant les industries carton, papier et cellulose abondait : « Le secteur livre est en bonne santé, mais pas dans une situation idéale : en 2019, il suffisait d’appeler son imprimeur pour réserver une commande. Aujourd’hui, la logistique devient bien plus complexe et contraint à une organisation bien plus rigoureuse », assurait son président Philippe d’Adhémar à cette période.
« L'industrie graphique traverse une pénurie de papier comme elle n'en a jamais connu », jurait Intergraf en mars, dans l'espoir d'une amélioration. L’inflation n’a pas pris de vacances durant l’été, et à la rentrée, les mêmes causes, accentuées, envenimaient la situation. Cette fois, la crise énergétique en rajoutait une couche, avec effet double peine : la flambée des coûts des matières premières prenait diaboliquement les sociétés en étau.
Le secteur graphique européen est composé de quelque 112.000 imprimeries (dont 95 % de PME), qui emploient 640.000 personnes. Le tout pour un chiffre d’affaires cumulé de 82 milliards d’euros – les 27 pays de l’Union européenne, ainsi que Royaume-Uni, Suisse et Norvège).
Début octobre, ces mêmes imprimeurs européens soulignaient que toute la chaîne souffrirait, « des manuels scolaires […] aux emballages de toutes sortes. Sans parler des nombreux produits imprimés qui sont vitaux pour la démocratie et la société de la connaissance en Europe, comme les livres, les journaux et les magazines ».
Thierry Breton, Commissaire européen au marché intérieur, avait détaillé à cette période les dispositions prises. Elles réduiraient les impacts cumulés de l’énergie et de la matière première « affectant l’industrie de l’imprimerie et mettant en danger la disponibilité de ses produits essentiels ». Éclairant, pas réchauffant pour autant.
Les éditeurs européens ont pourtant eu récemment l’occasion de se réjouir : présentant en cette fin d'année 2022 les résultats de l'an passé, l'édition cumulait 23,6 milliards € de chiffre d’affaires (déclaratif remonté des 29 associations nationales membres de la FEE). Un rebond de 22,2 % en regard de 2020 et une réussite à laquelle la crise du papier donnait un goût amer.
« La crise du papier aura un impact sur le secteur pour les années à venir », prophétisait gravement la FEE. Cassandre ? Peut-être bien… Car la crise du papier, désormais appelée pénurie ouvertement, aura plus que bruissé au fil de l’année. Pour 2023, on prend les mêmes et ça empire ?
Les pouvoirs publics, tant au niveau français qu’européen, ne manque pas de sollicitation, suggestions à l’appui pour venir en aide à l’ensemble de la filière. Ces autres maillons de la chaîne du livre (papetier, imprimeurs), d’ordinaire tenus à l’écart par manque de sexytude, deviennent les soldats Bryan à sauver impérativement.
Mi-octobre, les députés européens qui n’avaient pas reçu de valises de billets promettaient de réfléchir au sujet. Et d’évaluer « la portée, l’ampleur et les perspectives potentielles de ces problèmes dans la chaîne d’approvisionnement ». Toucher du bois ne suffit plus : passons aux pattes de lapin et autres fers à cheval, donc.
De son côté, la CEPI (fédération des fabricants de papier) adressait une déclaration aux autorités européennes. Rappelant que l’industrie forestière représente 4 millions d’emplois sur les territoires, elle soulignait qu’une entreprise manufacturière sur cinq en Europe est liée à ce secteur.
« Aujourd’hui, les usines de pâtes et de papier doivent prendre de délicates décisions : arrêter temporairement ou réduire leur production dans toute l’Europe », notait le courrier d’octobre dernier. Derechef, énergie, matières premières, transport et approvisionnement en matériaux y étaient déroulés dans un inventaire à la Prévert : « Une inaction entraînera une perte permanente d’emplois sur toute la chaîne de valeur, particulièrement dans les zones rurales. »
Aux décideurs politiques de prendre conscience : soit annuler la publication de leur prochaine et indispensable autobiographie, soit « empêcher l’effondrement complet d’investissements, cruciaux pour l’innovation dans notre secteur ».
Comment la Commission et les États membres amortiront-ils alors « l’impact de l’explosion tarifaire énergétique et les pénuries de matières pour les industries travaillant à partir de la fibre de bois » ? La question reste encore en suspens.
2023 ne laisse pas de place au doute : les livres connaissent des hausses de prix, répercussion logique des coûts en amont de la production. Des aides aux entreprises — le bouclier énergétique en France pour exemple — seront prolongées l'an prochain. La logique du “quoi qu’il en coûte” se maintient, repoussant un peu plus loin les conséquences économiques.
En avril, les solutions de Bercy apportaient une brève respiration, sans régler les crispations structurelles. Le gouvernement a accordé « de négocier au niveau des branches comme des entreprises le recours au dispositif d’activité partielle de longue durée ». Et d’autres mesurettes afin de « renforcer la résilience des approvisionnements et des chaînes de valeur, ainsi que pour soutenir les projets qui concourent à l’autonomie stratégique dans des secteurs clés ».
L’eau sera parmi les prochaines matières à connaître des hausses — et son lien avec la pâte à papier n’est pas négligeable. L’Europe a déjà avancé un devis de 100 milliards € avec des mesures pour traverser l’hiver qui se profile.
Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne ne brosse pas un tableau idyllique des prochains mois — à l’instar de ce que l’Agence internationale de l’énergie a dévoilé dans un récent rapport concernant le gaz.
L’industrie du livre, toujours prompte à relativiser les tensions, évoque une « permacrise » pour la pénurie de papier, alors que la consommation de papier graphique a diminué de 52 % depuis 2007. Le Syndicat national de l’édition craint aussi « des perspectives de nouvelles augmentations des coûts du fait du Pacte Vert pour l’Europe ».
Si éditeurs et imprimeurs réaffirment tous l’importance et la pérennité du livre papier, il faudra que les réflexions autour du développement durable aboutissent rapidement.
Crédits photo : Intergraf
DOSSIER - Pénurie de papier : crise et tensions dans le monde du livre
5 Commentaires
Eric Dubois
19/12/2022 à 09:27
Et si on passait partiellement aux livres numériques ou epub ou pdf ?
Aradigme
19/12/2022 à 11:20
Bonjour Erice Dubois
En réponse à votre suggestion, je paraphraserai une reine bien connue:
"Ils n'ont pas de brioche? Qu'ils mangent du pain."
Rurumumu
23/12/2022 à 06:12
Oui,c'est ça, on détruit tout ce qui est physique et tout désormais est numérique. Quel monde exécrable.
Aradigme
19/12/2022 à 11:19
Pourquoi cette crise? Elle est dûe à un manque d'énergie à bon marché et à des difficultés d'approvisionnement en matières premières (le bois).
Pourquoi un manque d'énergie à bon marché? Parce que la pensée écologiste en vogue depuis des décennies s'est acharnée à interdire les sources d'énergie à bon marché (le pétrole, le gaz, le nucléaire) et à promouvoir l'éolien et le solaire qui ne permettront jamais de les remplacer car intermittents, insuffisants et peu rentables.
Pourquoi un manque de bois? Parce que la pensée écologiste s'est acharnée depuis des années à empêcher l'exploitation rationnelle des forêts, par ses commandos d'activistes et ses campagnes de dénigrement.
L'écologisme ambiant, à présent très répandu dans la population, se trouve à la source de ce problème comme de bien d'autres qui causeront un appauvrissement notable des populations européennes, lequel a déjà commencé.
Mox Fulder
21/12/2022 à 11:00
La "pensée écologiste" a bon dos. Dans le cas présent, le phénomène est multifactoriel et pour partie d'ordre conjoncturel (baisse de la demande en papiers graphiques, crise logistique post-Covid), mais la part structurelle est plus problématique : les papetiers sont peu nombreux, concentrés et tentés parfois de prendre des décisions étonnamment simultanées... De là à dire qu'il pourrait y avoir une forme de concertation oligopolistique douteuse, hein. Ce qui est sûr, c'est que les prix demeureront hauts et les références graphiques plus "rares" des suites d'un mouvement stratégique des papetiers vers l'emballage. Plus rentable, moins cher en traitements divers et moins affecté par une baisse tendancielle de la demande, les conversions d'unités de production vers le Papier Pour Ondulé (PPO) ne doivent rien au hasard. C'est à la fois rationnel sur le plan économique et c'est choisir sciemment de ne pas servir complètement le marché, précipitant donc les difficultés dans les secteurs du livre (mais aussi de la presse, notamment).