Jeanne Seignol, mieux connue sous le pseudonyme Jeannot se livre, anime depuis 5 ans une chaine YouTube consacrée aux livres et à la lecture. Ce samedi 19 novembre, elle a diffusé un documentaire, À la page, qui se penche sur les pratiques de lecture des 7-25 ans, loin de fantasmes volontiers alarmistes.
Le 21/11/2022 à 11:11 par Antoine Oury
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21/11/2022 à 11:11
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« Aujourd'hui, les jeunes ne lisent plus. » Ce lieu commun quelque peu réactionnaire, Jeanne Seignol n'y a pas échappé. Elle-même lectrice, elle a voulu « comprendre ce qu'il y avait derrière ce constat, pourquoi il était formulé ainsi et s'il était justifié par les chiffres ». YouTubeuse spécialisée, elle a donc décidé de réaliser une vidéo sur ce sujet, d'un format encore inhabituel pour sa chaine, où les publications oscillent entre 7 et 20 minutes.
À la page se présente ainsi comme un documentaire de 35 minutes sur le sujet, « qui correspond à ma formation initiale, plutôt journalistique, et à une envie de raconter des choses sur un temps un peu plus long ». Précédemment, la chaine Jeannot se livre avait mis en avant les librairies du 93 et alerté sa communauté sur l'impact des activités d'Amazon dans des épisodes plus étendus.
Pour passer la croyance au crible des chiffres, Jeanne Seignol s'est en premier lieu appuyée sur l'étude « Les jeunes et la lecture », du Centre national du livre et de l'institut Ipsos, qui, en mars dernier, remettait quelques pendules à l'heure. Selon ses résultats, 93 % des 7-25 ans déclaraient lire des livres et 84 % signalaient adorer ou aimer cette activité.
Finalement, « la principale source pour établir le constat alarmiste semble l'étude Pratiques culturelles des Français, réalisée tous les dix ans par le ministère de la Culture », souligne Jeanne Seignol. « Or, à des fins statistiques et notamment pour pouvoir comparer les résultats d'une édition de l'étude à l'autre, les données ne prennent pas en compte la lecture de bandes dessinées ou de mangas. Les chiffres me semblent donc un peu obsolètes : on ne lit plus aujourd'hui comme on lisait hier. »
Des études quantitatives qui procèdent à des jugements qualitatifs ? Nicole Robine, chercheuse en sociologie de la lecture, avait déjà observé ce biais dans Lire des livres en France (Éditions du Cercle de la Librairie, 2000) qui se penchait sur les pratiques de lecture entre 1930 et 2000 et fait partie des sources de Jeanne Seignol pour À la page. « Elle relevait que la lecture de revues et de magazines était très pratiquée par les classes sociales populaires, mais n'était jamais considérée comme de la lecture dans les études à ce sujet. Le fait que les pratiques des classes sociales les moins favorisées ne soient pas valorisées ne me semble pas anodin », remarque la YouTubeuse.
En plus de ce travail de documentation, le documentaire donne la parole à différents intervenants. Régine Hatchondo, présidente du Centre national du livre, revient ainsi sur l'étude du CNL et les efforts de l'institution pour entretenir ou susciter le goût de lire chez les jeunes. Perrine Baschieri, directrice marketing des éditions Glénat, apporte le point de vue de l'édition, quand Laetitia, alias IACB, autrice de fan fictions, « permet de faire un focus sur ce genre de textes qui ne sont pas du tout pris en compte et représentent pourtant autant de lectures ».
Laetitia, alias IACB, répondant aux questions de Jeanne Seignol (capture d'écran YouTube)
Jeanne Seignol a aussi tenu à interroger Karine Labous, directrice du réseau des bibliothèques de Sevran, « d'abord parce que j'ai passé une grande partie de ma vie à Sevran, mais aussi parce qu'elle voit sur le terrain la fréquentation de la bibliothèque par les jeunes ». Par ailleurs, « elle explique dans le documentaire que pour de nombreuses familles, dans ce département, le livre est secondaire, car la priorité reste de pouvoir nourrir correctement ses enfants ».
Idée reçue autant que constat à l'emporte-pièce, le constat du « C'était mieux avant » constitue aussi un éternel retour, d'une époque à l'autre. « Le documentaire montre aussi que les jeunes n'ont pas tant changé que ça. Par exemple, la lecture d'un manga, en épisodes, rappelle celle du roman-feuilleton à une autre époque. Une archive de l'INA des années 1970, reproduite dans le documentaire, montre aussi un journaliste interroger des enfants sur leurs lectures. Ils citent des illustrés ou Tintin, et on leur demande s'ils lisent des titres “plus compliqués”. Aujourd'hui, Tintin fait partie des classiques. »
Derrière la mesure quantitative des lectures pointe ainsi, souvent, une critique qualitative sur les lectures des jeunes et la volonté, parfois, d'exercer un contrôle plus important sur ces dernières. Volonté qui s'exprime de manière réactionnaire, de temps à autre, à l'instar d'un amendement proposé par un député frontiste pour interdire l'achat de mangas avec les crédits du Pass Culture...
Le terrain de la lecture n'est pas pour autant dénué d'ornières. Les intervenantes du documentaire de Jeanne Seignol et la YouTubeuse elle-même constatent une tendance à la fragmentation de l'attention, « qui n'est toutefois pas propre aux jeunes », et qui génère une certaine friction avec la lecture. « Bien sûr, me concentrer sur la lecture d'un classique reste plus compliqué que d'aller regarder une vidéo de 30 secondes sur TikTok », admet Jeanne Seignol.
L'enjeu de promotion de la lecture identifié par le Centre national du livre, et auquel le documentaire de Jeanne Seignol fait écho, porte sur l'idée d'associer livre et plaisir. « L'école et la famille peuvent créer ce rapport plus fun avec la lecture. À l'école, il me semble ainsi important que toutes les lectures ne soient pas systématiquement évaluées et que la lecture d'un classique elle-même soit étudiée, expliquée. Finalement, répondre avant tout à la question : pourquoi est-ce important de lire ce livre ? »
À LIRE: Le phénomène BookTok : entre tendance, recommandation et promotion
La récente polémique autour des réactions épidermiques et parfois verbalement violentes d'aspirants bacheliers après la lecture d'un texte de Sylvie Germain représenterait ce fossé qui se creuse facilement entre les étudiants et l'objet de leur étude. « S'il y a des réactions aussi vives, il faut avant tout s'interroger sur leurs causes », rappelle Jeanne Seignol tout en condamnant la violence à l'égard d'une autrice. « Comme de nombreux jeunes, j'ai pu m'éloigner de la lecture au collège, au lycée, et je ne me retrouvais pas forcément dans des textes qui me paraissaient éloignés de ma réalité, de mon quotidien d'adolescente. »
Susciter la rencontre avec un texte particulier — ce fut La vie devant soi de Romain Gary pour Jeanne Seignol —, introduire l'un aux autres pour que les apprenants apprivoisent le texte doivent préoccuper autant, sinon plus, que l'évaluation de la compréhension de l'écrit.
Cofinancé par le Centre National du Cinéma, le documentaire visible sur la chaine Jeannot se livre a aussi vocation à être diffusé dans d'autres structures, à d'autres occasions, espère sa créatrice, accompagnée par des amis pour sa réalisation.
Jeanne Seignol prévoit un format similaire, prochainement, consacré à l'influence du réseau social TikTok sur la lecture et la promotion des livres. « Je m'interroge notamment sur l'impact de vidéos aussi courtes sur le partage de l'expérience de lecture. » Des intervenants du groupe Hachette permettront aussi de comprendre la manière dont l'industrie utilise ce nouvel outil de mise en avant de l'écrit par les images.
Photographie : Jeanne Seignol, créatrice de la chaine YouTube Jeannot se livre
6 Commentaires
L'albatros.
22/11/2022 à 00:40
Une confusion sémantique sur le terme de -' Lecture '.
Lire, étymologiquement, c est lier, faire gerbe, associer.
Le terme accroche historiquement des mots, mis en phrases , par d'autres ,autres que soi , dans un rapport aux mots.
Exposer, ou alors raconter pour faire eprouver des sentiments, des émotions, ou des idees, ou user des mots pour faire - ressentir, bouleverser, ou suspendre l' emprise du quotidien, regroupés dans un volume manuscrit, puis imprimé , nommé livre.
Un livre : un recueil de mots reliés entre eux.
Deux registres de livres:
1) le théorique. Rapport a la Science ou au Savoir.
2) le rapport à la Fiction romanesque ou à la poésie, c est a dire à l' Expression langagiere -- ecrite, en premier lieu: un sujet materialisé formellement en une suite de mots, agencée.
Lire : entrer en contact avec une série d' agencements de mots, agencements et mots ruminés intérieurement, alimentant -- et une sensibilité et une pensée, indissociables, faisant subjectivité.
La bande dessinée, l' album graphique, le manga : c est éprouver, etre sous l' impact visuel sensori- perceptif, modulé par des mots aussi, au métre court ou limité.
Être plongé au- dedans, en une expérience immersive , captivante, au sens fort.
Pris dans la caverne du fond comme support à la figuration graphique aliénante, et a la coloration - saturee-- emotionnelle.
C est la préhistoire de la Realite modifiée et augmentée, parallele au cinema.
Pas tout a fait pareil que lire des mots qu' on peut illustrer par interprétation materialisante graphique et plasticienne aussi.
Les mots, c est abstrait semantiquement. On bute dessus. Ce n ' est pas toujours clair, ce qui a pour effet de rompre le charme de la capture pour - comprendre le sens ou la signification, de ce qu' on lit, et le sens ou la signification de la forme ou de l' agencement pris par la suite des mots en rapport avec le sens ou la signification de ce qui est raconté, évoqué, ou démontré.
Lire : un raccord constant des Sens et des Significations , un raccord complexe de rapports, ouvrant un champ au suspens de l' indéfini à caractériser.
Ce qui n est pas se laisser conduire par l' image.
On peut lire des prospectus, des publicités, ou des notices pharmaceutiques.
Ce qui est lire, bien sûr, mais par abus d' emploi du terme.
IMPROPRE, comme l' on disait ou annotait , il y a longtemps.
Si les mangas, les bd, les magazines sont la denrée courante de la jeunesse, autant dire alors ---- qu ' ils ne lisent pas, effectivement.
Assez d' impropriete sémantique, d' abus sémantique, par négligence d' attention, concentrons nous, précisons, caracterisons, déterminons davantage !!!!
Nous irons mieux.
mp.mac
22/11/2022 à 06:37
« Aujourd'hui, les jeunes ne lisent plus. » cet article commence hélas par cette affirmation généraliste fausse. Pour qu'ils lisent, encore faut-il faire l'effort éducatif suffisant et pour amener les jeunes génération à la lecture et ça commence dès le plus jeune âge. Éduquer ses enfants c'est un effort continu et aussi un plaisir, ce n'est pas le laisser faire n'importe quoi "d'aujourd'hui..."
Aradigme
22/11/2022 à 10:19
Jeanne Seignol nous explique que la lecture ne concerne pas seulement les livres, mais aussi les mangas, les BD, les magazines...
Pourquoi s'arrêter en si bon chemin? Elle pourrait ajouter à sa liste les circulaires d'entreprise, les formulaires administratifs, les panneaux indicateurs et publicitaires, les enseignes de magasin, les tickets de parking et les étiquettes de supermarché pour ainsi arriver à la conclusion que , contrairement à une idée reçue, tout le monde lit...
Ours
22/11/2022 à 11:44
Un manga, une bd, raconte une histoire. Je ne crois pas qu'un formulaire CERFA le fasse. C'est à mon sens la narration qui crée la démarcation. Deux poids, deux mesures.
Nour
17/12/2022 à 12:54
Allez en bibliothèque de lecture publique, vous serez surpris.
L'albatros.
22/11/2022 à 12:42
( 2) --
En ayant derivé le sens du terme Lecture , on a créé cette situation de galvaudage.
Lire : c est buter et avancer , en un dechiffrement suivi, mot à mot, phrase à phrase, et longuement.
Parcourir une B-D ou un manga : c est etre saisi , impregné, par l' efficace graphique et plasticienne d' une image , c est -- Percevoir, en étant happé.
Lire : une interruption de l' espace / temps du quotidien , par le corpus textuel qu il faut - clarifier , mot à mot, pas à pas.
Percevoir : l' enchainement , l' attachement subjectif à l' image, meme réduite à deux d , continue la capture hypnagogique constante de l' imagerie dans laquelle la subjectivite humaine se trame, par les 5 sens , dont la Vue!!!!
Aucune rupture.
Ceci n est pas une critique de l' art de l' Image - graphique , plasticienne, cinematographique, ou " vidéale " de realite augmentée, par rapport à une celebration de l' Ecrit langagier textuel.
Simplement une differenciation des modalités de formation subjective, de leur régime, ou un mode ou régime, en aucun cas, ne peut se substituer à un autre, et être considérer l' egal d' un autre, ou valoir pour un autre.
La bd, le manga est aussi un art comme le cinéma, et cine-roman, d' une époque revolue.
Le débat porte sur la culture, de fait :
Se cultiver par la lecture ou se cultiver par le visionage, et que s' y passe t il pour le devenir du sujet humain ?