Surprenant premier roman : enfermés dans un monde souterrain surveillés par une mystérieuse milice, plusieurs hommes et femmes parviennent à s’échapper, et sillonnent le désert à bord d’une jeep. Apocalyptique, effrayant, le livre se situe à mi-chemin entre le roman de science-fiction et le récit poétique. Galien Sarde, quarante-six ans, agrégé ès lettres, y déploie une langue riche, en une sorte de lyrisme sombre, sinon apocalyptique. Deuxième ouvrage publié par Fables fertiles, la toute jeune maison de Guylian Dai, Échec, et Mat, loin des grosses machines littéraires et des prix de la rentrée, tranche par son originalité, sa force onirique. Propos recueillis par Étienne Ruhaud.
Le 10/11/2022 à 11:36 par Auteur invité
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10/11/2022 à 11:36
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ActuaLitté : Échec, et Mat est votre premier livre publié. Écriviez-vous, avant ? Pouvez-vous nous parler de votre parcours d’auteur ?
Galien Sarde : Oui. J’écris depuis toujours — depuis l’âge de quinze ans. J’ai d’abord conçu des poèmes qui se sont affranchis par degrés des formes fixes pour aboutir à des textes en prose des plus libres. Le roman est venu ensuite, aux alentours de vingt-cinq ans. J’ai souhaité, grâce à lui, confronter mes idéaux aux maux du monde.
Échec, et Mat décrit un monde cruel, apocalyptique, effrayant. Cela correspond-il à votre vision de l’avenir ? Êtes-vous pessimiste ?
Aucunement. Échec, et Mat est né d’un rêve qui m’a offert une esthétique immédiate, qui échappait à toute vision visée de l’avenir. Ce n’est qu’en l’écrivant, en traversant ses fragments par des fils narratifs, que ce rêve a engendré un monde post-apocalyptique. Autrement dit, c’est en me mettant à l’écoute d’images oniriques que la dystopie a surgi, sans intention préalable. Par ailleurs, je suis plutôt optimiste par nature.
S’agit-il d’un roman d’anticipation ?
Non et oui. Oui, car il dépeint, de fait, un état futur possible pour la Terre où nous vivons, suite à des catastrophes qui évoquent celles qui menacent notre époque. Non, car l’essentiel du roman est ailleurs, dans ses dimensions initiatiques et odysséennes, ainsi que dans les mots qui le portent, et qui échappent. L’avenir d’Échec, et Mat est irrigué, du reste, d’éléments antiques.
Quels auteurs vous ont influencé ? Lisez-vous essentiellement de la science-fiction ?
Les auteurs qui m’ont influencé viennent d’horizons différents. Citons Baudelaire, Simon, Butor, Duras, du côté des auteurs français ; Auster et King, du côté des auteurs américains, sans aucune exhaustivité. Quant à la science-fiction, non, je n’en lis pour ainsi dire jamais. C’est plutôt du côté du cinéma qu’ont pu venir certains des éléments futuristes qui tissent ma fiction.
Jean-Paul Sartre estime que toute écriture est nécessairement engagée. Partagez-vous ce point de vue ? Pensez-vous que votre roman ait un message à délivrer, d’ordre politique, social ?
En dernière instance, oui. Toute écriture émane d’un être désirant qui s’exprime pour se transformer et transformer le monde, même s’il ne s’assigne aucun objectif politique en particulier. Disant cela, je songe à Nietzsche, à son concept de « volonté de puissance », qui s’inscrit dans la sphère de la création. D’un autre point de vue, on peut tracer une ligne entre les œuvres qui projettent une vision politique du monde explicite, manifeste, et celles qui font la part belle à d’autres dimensions de la vie humaine. Il reste que cette ligne est arbitraire, dans la mesure où toute fiction se rattache au monde dont elle émane pour en fournir une lecture subjective.
En ce qui me concerne, je dirai qu’Échec, et Mat est le lieu d’un engagement littéraire. Mon but premier a été d’offrir au lecteur une expérience esthétique prenante, sidérante, à travers un style enfiévré comme une caméra embarquée à bord d’une jeep en plein désert. Néanmoins, ce roman pose sans conteste des questions politiques brûlantes et dispense des idées au sujet de la notion de fiction même, en lien avec celle du désir. In fine, il suggère des moralités.
Malgré la noirceur du propos, on est frappé par le lyrisme, la poésie qui se dégage, au détour des pages. Les descriptions de lieux sont ainsi très travaillées, et le roman offre une série de tableaux. Vous sentez-vous également poète ? Lisez-vous de la poésie ?
Échec, et Mat relève, entre autres, d’une esthétique du contraste. Celle-ci se répercute à tous les niveaux du roman. Ainsi, à la noirceur du propos correspondent des stases de grâce, sinon d’extase. Les deux s’aimantent, au demeurant, tout comme l’horizontalité de la Cité appelle la verticalité du désert. Tout compte fait, ce livre est un livre lumineux, pour ne pas dire éblouissant. La poésie s’y trouve pour exhausser l’ensemble des contrastes qui le structurent tant sur le plan sensuel que sur le plan émotionnel. J’en lis d’ailleurs assez souvent pour atteindre au cœur battant du langage.
Les héroïnes (Eurydice, faiseuse d’oracles, Doris et Phèdre), portent des noms tirés de la mythologie. Plusieurs allusions à l’Antiquité, à la culture antique, parcourent l’ensemble. Nous savons que vous êtes agrégé ès Lettres. Quelle place, pour la culture classique, dans Échec, et Mat ? Lisez-vous encore les Anciens ?
J’ai lu et lis encore, parfois, ceux qu’on peut appeler les « Anciens ». Homère en tête. La mythologie gréco-latine nourrit mon imaginaire littéraire en profondeur, dans un souci de force et d’universalité, notamment. C’est un outil d’écriture grâce auquel j’ai doté Échec, et Mat d’une profondeur de champ temporel qui fait écho à l’ampleur cosmique que ce roman convoque.
Le récit est également marqué du sceau de l’onirisme. On se demande toujours si on n’est pas dans un songe, ou plutôt dans un cauchemar. Notez-vous vos rêves ? Dans quelle mesure vous influencent-ils ? Vous intéressez-vous, par ailleurs, au surréalisme ?
C’est juste. Et essentiel. L’esthétique d’Échec, et Mat procède d’un rêve, dont il m’importait de rester au plus près des harmoniques picturales. Un effet de tremblé parcourt la fable, propre à sonder les notions de « réel » et de « fiction », et, parallèlement à elles, celles de « vérité » et de « mensonge » — ou encore d’« illusion ». Ce qui forme au fond un moyen d’interroger la fiction romanesque, comme je l’ai dit plus haut. J’essaie, par ailleurs, de retrouver la force des rêves dans les textes que j’écris, pour procurer à mes lecteurs les visions les plus fortes possible.
S’agissant du surréalisme, en tant que résurgence d’un certain romantisme, oui, je m’y intéresse — ou, tout du moins, je m’y suis intéressé par le passé. Le souffle de liberté dont ce mouvement a été synonyme a ouvert, à la suite des recherches freudiennes, des pans nouveaux, dont la radicalité a régénéré en profondeur certaines lignes de l’aventure littéraire. Pour n’être pas surréalistes à strictement parler, Char et Apollinaire me sont essentiels.
On se demande également si les personnages ne sont pas dans la caverne décrite par Platon, soit dans le monde de l’illusion, ou, si on veut, dans la matrice, pour faire référence au célèbre film des Wachowski (Matrix, 1999). Pouvez-vous nous en dire davantage ? Lisez-vous de la philosophie ?
Ces deux références sont pertinentes. En descendant dans les souterrains, en s’évadant dans le désert en quête du dernier océan, Mat et Théo entreprennent un retour à la source et veulent toucher la vérité au-delà des apparences promues par la Cité. Cependant, contrairement au message que véhicule le mythe de la caverne platonicienne, l’essence des choses, dans mon roman, tient d’abord à leur présence sensible, avant que celle-ci fasse signe vers des forces transcendantes. Aussi bien, la philosophie s’invite souvent dans mes lectures, qui m’aide à creuser les idées auxquelles mes fictions donnent forme.
Dans un article, Anne-Catherine Blanc évoque la dimension théologique du roman, dimension incarnée à travers le patronyme même du héros, qui s’appelle donc « Théo ». Ce même héros aurait, selon elle, une dimension christique. Adhérez-vous à ce propos ?
En réalité, Anne-Catherine Blanc n’évoque pas le Christ, mais seulement une figure de sauveur et elle l’accole au personnage de Mat, non à celui de Théo. Pour autant, le nom de ce dernier n’est pas anodin et ouvre bien une dimension théologique dans l’œuvre. Je reviendrai bientôt sur la signification — ou plutôt, sur l’une des significations possibles — qu’il revêt.
Qu’il suffise de dire ici qu’il recèle, en filigrane, une part essentielle du sens que le récit libère, en rapport avec la vie, le cosmos, la part de création qu’ils induisent respectivement. Y concevoir une dimension christique n’est pas impossible — la croix que dressent les dimensions verticale et horizontale du roman l’autorise même, si l’on veut. Mais il faut remarquer, alors, que le salut et le rachat se diffractent dans Échec, et Mat, qu’ils ne sont pas le fait d’un seul. Mat est doublé par Eurydice dans sa mission de sauveur, et Théo plus qu’assisté par Junie, Doris et Phèdre dans sa fonction rédemptrice, à laquelle touche encore son voisin de palier, ravi par la Milice.
Paru le 03/04/2022
168 pages
Editions Fables fertiles
17,00 €
3 Commentaires
Veronique Coquard
10/11/2022 à 15:33
Excellent article, qui éclaire parfaitement l’œuvre de Galien Sarde, un véritable chef d’œuvre au sens traditionnel du terme. Voici un livre qui ouvre de très nouvelles perspectives pour la réflexion et la créativité. Une lecture passionnante et indispensable à tout esprit assoiffé de régénération. Un grand merci. J’applaudis.
Galien Sarde
10/11/2022 à 21:02
Disant cela, vous êtes au coeur d'Echec, et Mat. C'est la soif que vous évoquez qui m'a fait écrire ce roman, trouver les formes qui y résonnent de l'incandescence du désir. Merci à vous.
Joëlle Pétillot
10/11/2022 à 16:32
J'ai bien sûr lu cet entretien en tant que lectrice, sans autre point de vue que celui-ci. Il est toujours passionnant de voir que les regards croisés auteur/lecteur peuvent se complémenter, s'opposer, interférer d'une façon ou d'une autre, tant il est vrai que le lecteur, d'un certain point de vue "retisse" l'histoire. Pour avoir vu ce livre comme un road movie, une écriture à la fois cinématographique et d'une grande poésie, je suis heureuse de retrouver une sorte d'écho à mon ressenti dans cet échange. Même s'il y a, aussi, des choses, notamment par rapport au personnage de Théo, qui ne me sont pas apparues du tout telles que dites ici. Mais c'est le jeu.