La Chine aura produit, en matière de langage, une véritable révolution. Ce système, dit Nüshu (女书, écriture des femmes), de 600 à 700 caractères, a longtemps été pratiqué dans le comté de Jiangyong dans la province rurale du Hunan. Avec cette écriture codée, découverte dans les années 1980, la gent féminine partageait des pensées intimes en toute sécurité, dans une société encore, pour beaucoup, analphabète, et dominée par le patriarcat.
Le 27/10/2022 à 16:34 par Hocine Bouhadjera
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Publié le :
27/10/2022 à 16:34
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Dans une région montagneuse à 80 %, incisée de rizières, s’est développée, loin des grandes villes du pays du rêve dans le pavillon rouge, le Nüshu, utilisé par des femmes des ethnies Han, Yao et Miao. Ce système ne portait pas son nom actuel. À son apogée, il disposait d'une variété de dénominatifs, parmi lesquels « l’écriture de moustique », « parce qu’elle est un peu inclinée et tout en longueur », explique Ilaria Maria Sala, sur le site Quartz.
Selon certains chercheurs, cette langue réservée aux femmes remonterait à la dynastie Song (960-1279), et même pour certains à la dynastie Shang, il y a plus de 3000 ans. Les règles se transmettaient de mères à filles, et pratiquées entre sœurs et amies dans une société féodale où les femmes se voyaient refuser toute possibilité d’éducation. On l’apprenait en copiant les caractères, et naquit ainsi une culture féminine distincte qui a survécu jusqu’à aujourd’hui.
Plus fort encore : cette écriture est restée inconnue en dehors de Jiangyong jusque dans les années 1980. La dernière utilisatrice du quotidien de cet ancien langage écrit codé et « genré », est décédée il y a 18 ans, nous apprend BBC travel.
Un moyen d’expression
L’écriture phonétique, lisible de droite à gauche, découle de quatre dialectes du Jiangyong rural. Chaque symbole représente une syllabe écrite à l’aide de bâtons de bambou aiguisés et d’encre.
一岁女,手上珠 (Fille d'un an, mains avec perle), de Gao Yinxian 高银仙 (1902–1990). Alphabettes.
Dans le village de Shangjiangxu, « les jeunes filles échangeaient de petites marques d’affection amicale, comme des éventails décorés de calligraphie ou des mouchoirs brodés de quelques mots de bon augure », explique Ilaria Maria Sala. Plus largement, il était utilisé dans les quatre cantons et 18 villages les plus proches de l’île Puwei.
En parallèle, le Nüshu accompagnait des occasions plus formelles, comme sceller une relation de « meilleures amies », ou de « sœurs assermentées », groupes de trois ou quatre jeunes femmes non apparentées. Ces femmes, plus ou moins âgées, se promettaient amitié en écrivant des lettres et en chantant des chansons en nüshu les unes les autres, dans des rituels de socialisation féminins.
La plupart des chercheurs sur cette écriture y ont aussi vu un « langage secret », « utilisé, de préférence, pour communiquer leur douleur ». En effet, historiquement, il n’était pas socialement acceptable pour les femmes chinoises, dans cette société patriarcale, de parler ouvertement de regrets personnels, des difficultés de la vie agricole ou d'exprimer des sentiments de tristesse et de chagrin. Le Nüshu a ainsi permis aux femmes de faire face aux accrocs domestiques et sociaux, comme d'aider à maintenir des liens avec des amies dans les différents villages.
La création d’écoles Nüshu
Afin de sauvegarder cette connaissance, en 2000, une école Nüshu a ouvert ses portes sur l’île Puwei, accessible uniquement via un petit pont suspendu.
Elle enseigne cette écriture aux étudiants, en « apprenant à lire, écrire, chanter et broder le Nüshu », et propose des visites guidées du musée dédié, inauguré en 2007. Le choix de l’île de de 200 habitants a été motivé par les trois auteurs Nüshu découvert sur l’île dans les années 1980.
À LIRE:Des émoticônes bouddhistes, ou l'illumination pour tous
Ironiquement, une grande partie de la connaissance actuelle du Nüshu est due au travail d'un homme, Zhou Shuoyi. Pour ses recherches sur cet « artefact du passé féodal », il a été envoyé en camp de travail durant 21 ans, dans le contexte de la Révolution culturelle de Mao.
En 2006, le Nushu a été classé au patrimoine culturel immatériel national par le Conseil d’État de Chine.
Crédits visuel : Atlas of Endangered Alphabets
20 Commentaires
Toinou
27/10/2022 à 17:34
Petite observation : on ne peut parler de "locutrice" pour un système d'écriture.
Marie
28/10/2022 à 07:40
"Scriptrice"?
Quentin k
28/10/2022 à 11:19
On ne peux " PAS " ....sinon locutrices est valable...
Paix et amour
Toinou
28/10/2022 à 12:24
En fait, le "pas" est facultatif, la négation est marquée par le "ne".
Et non, ça n'est pas valable, puisque "locuteur" fait référence au fait de parler (du latin "loquor", parler). Or, on ne parle ici que d'un système d'écriture, pas d'une langue.
Mariea33
29/10/2022 à 13:06
Une langue n'est pas nécéssairement parler elle peut être juste écrite, voir juste visuel comme les langues des signes qui ne sont ni parler ni écrite mais qui son bien des langues ( changeantes selont le pays) avec leur grammaire syntaxe etc aprés pour le reste vous avez raison on ne peu parler de locuteur si on parle uniquement de l'écriture idem pour les langues visuel on ne parle pas de locuteur mais de "signeurs".
Gwen
31/10/2022 à 09:30
Le nushu est un langage qui était chanté, écrit, et dont chaque signe (ou caractère) représente un son (phonétique). Je ne fais ici qu'une synthèse de ce que je lis à ce sujet dans l'article. Donc j'en déduis personnellement que s'il était chanté, "l'auteur" de ces lignes pouvait aussi le parler.
Très bonne journée 🤗
mischa (ou je sais je suis casse pieds)
28/10/2022 à 10:12
Gent féminine (sans E)
Accrocs domestiques et sociaUX.
Et logiquement les étudiants sont des étudiantes non ?
Hocine BOUHADJERA
28/10/2022 à 10:37
Merci pour votre commentaire, c'est corrigé
Delacour
28/10/2022 à 10:43
Au-delà de l'écule, il y a la mer.
La leçon à retenir est que nous pouvons tous créer une écriture de notre langue parlée en vertu de notre faculté de codage. Nous pourrions par exemple associer une lettre et une seule à un de nos 36 phonèmes et créer une écriture parfaitement alphabétique.
Notre écriture est orthographique, et savoir que "a" conduit au son /a/ ne permet pas de lire équateur rayer, football, changer, manteau, etc.
Pour pouvoir lire notre écriture il faut la recréer à chaque génération et apprendre comment chaque mot s'écrit en s'appuyant sur quelques constantes inconstantes.
Voir le site "ecrilu" pour apprendre à écrire-lire le français.
Quentin k
28/10/2022 à 11:17
Après lecture ... je ne cesse de comparer cette forme calligraphique à de la sténographie et une petite puce me susurre à l oreille que bien que la sténographie ai été utilisé majoritairement par des femmes et souvent incomprise des hommes ( car celle ci demande un véritable apprentissage) il me semble ne pas percevoir un modèle scripturale dédié aux femmes pour échanger entre elle plus qu'elles ne l aurait fait avec le pinyin classique de cette époque...
Il n'en reste pas moins que cette forme d écriture ressemble effectivement à une transcription approximative du chinois écrit par les lettrés de ce temps et qu il est très probable qu'elle est eu un transmission matrilineais ... mais de la à dire que c est une écriture pour les femmes par les femmes et en plus secrète... je trouve ça un peu gros
Lyo
29/10/2022 à 23:39
Donc tu es un expert sur la question ?
Ce n'est pourtant pas la première fois dans l'histoire que des populations opprimées inventé leur propre code et même langage.
Eldelai
30/10/2022 à 11:45
Pourtant, on nous explique bien qu'ils étaient en très grande majorité analphabètes. Donc symboles = secret
Je te rappelle que la langue que t'es en train d'utiliser était aussi faite pour une certaine catégorie de personnes, donc "secrète" également, avant de devenir la majoritaire^^
Ioni
28/10/2022 à 19:13
La logique chinoise dans toute sa splendeur.
Ils détruisent volontairement une partie de leur patrimoine car héritage du passé féodal, pour ensuite le protéger et essayer de le faire revivre.
Loup rouge
31/10/2022 à 17:43
C'est un peu ridicule comme commentaire. Chaque État qui a tenté de se construire s'est posé des questions sur ses cultures, dont ses langues, et il en résulte généralement une violence. Par ex, L'État français qui a imposé le parisien comme langue nationale à travers les siècles et a brillamment écrasé toutes les autres langues et dialectes. Pour aujourd'hui les protéger plus ou moins (enseignement à l'école, parfois panneaux en deux langues...) selon les idéaux politiques du moment. Tout en continuant à se moquer des accents autres que le Parisien... La domination passe nécessairement par la langue.
Annie
30/10/2022 à 09:12
Je pense à la sténographie et à l'écriture par pictogrammes, au Braille...
La "séduction" est dans le fait que cette écriture est un code entre femmes 🙏💗🙏
Martine06
30/10/2022 à 09:37
J’avais déjà lu un livre sur le sujet, absolument passionnant !
azalée
31/10/2022 à 08:22
quel livre,svp?
VIANDE Geneviève
30/10/2022 à 15:55
Tres enrichissant
Marc Briere
05/11/2022 à 23:20
Y a pas qu'au Québec qu'on se bat pour garder sa langue. Chapeau au gens qui perpétuent cette connaissance.
NADINE
10/11/2022 à 14:17
Qu'elle soit féminine ou masculine donc, la gent ne portera jamais de «e» au singulier comme au pluriel.