Le recours contentieux du Comité pluridisciplinaire des artistes auteur (CAAP) et de la Ligue des auteurs professionnels contre l’État avait comme une odeur de soufre. L’affaire opposait les organisations d’artistes-auteurs au ministère de la Culture, autour de la rémunération des créateurs. Une audience proportionnelle, quoique, mais surtout, eminement peu appropriée.
Le 17/10/2022 à 22:11 par Nicolas Gary
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17/10/2022 à 22:11
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Quelle splendeur que le Conseil d’État : boiseries, tentures rouges et moulures dorées, le tout sous l’œil d’une allégorie du Droit, ou La Justice, telle que l’a incarnée le tableau de Benjamin Ulmann de 1876. Soit 85 ans après que l’initiative de Beaumarchais a abouti, un 13 janvier 1791, lorsque l’Assemblée constituante adopta la première législation au monde destinée à protéger les auteurs et leurs droits. Ironie ?
Le Syndicat national de l’édition avait dernièrement écrit aux organisations d’auteurs ainsi qu’à la rue de Valois, pour signifier qu'avaient pris fin les négociations autour de la rémunération. Ces dernières furent émues de l’apprendre de la sorte. Elles attendaient cependant l’audience de ce 17 octobre au Conseil d’État : ce dernier examinait en effet la qualité de la transcription en droit français la directive européenne Droit d’auteur d’avril 2019.
Dans l’ordonnance que produisit en mai 2021 le ministère de la Culture, manquait en effet une notion de taille : si l’auteur se voyait bien reconnaître le droit à une rémunération proportionnelle, Valois oubliait expressément celui, pourtant inscrit dans la directive, à une rémunération appropriée. De là le recours en excès de pouvoir qu'ont porté le CAAP et la Ligue.
Malicieusement, certains avaient saisi une autre juridiction, plus linguistique : sollicitée, l’Académie française considère bel et bien que les deux termes, approprié et proportionnel, ne sont en rien synonymes. L’oubli de l’un au seul profit de l’autre introduirait alors un biais, au détriment des artistes-auteurs.
Pour autant, seul le Conseil d’État pouvait trancher définitivement – les Sages du Conseil ayant prévalence sur les Immortels en matière de droit. Comme quoi...
Deux options se posaient : la première validerait la transposition et l’ordonnance tels que – et l’on attendra désormais qu’il soit expliqué à des auteurs que 1 % de droits représentent une rémunération proportionnelle, donc appropriée. La seconde conduirait la rue de Valois à revoir sa copie, octroyant une véritable victoire aux artistes-auteurs.
Une question, que nul n'évoquera en ces lieux, demeure : pourquoi, quand l’Europe a renforcé le droit des auteurs, quant à leur rémunération, la France a soigneusement écarté un rééquilibrage en faveur de la partie faible des contrats ?
En tant que défenseur de l'administration, difficile de demander au rapporteur d'aller contre l'ordonnance produite par Valois – autrement dit, la n° 2021-580 du 12 mai 2021 « portant transposition du 6 de l’article 2 et des articles 17 et 23 de la directive 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE ». Et pourtant.
Plusieurs points d’achoppement étaient désignés par le CAAP et la Ligue : l’article 5 de l'ordonnance, qui introduit dans le CPI plusieurs nouveaux éléments. Notamment le fait que les organismes de gestion collective soient en mesure de négocier et conclure des accords professionnels, au nom des artistes-auteurs, au même titre que des organisations d’auteurs. « Comme si l’on expliquait à des salariés qu’ils seraient défendus par un syndicat qui compte dans ses rangs des représentants du patronat », illustrera Me. Delamarre, avocat du CAAP et de la Ligue.
Une incongruité qui n’aura pas frappé le rapporteur, puisqu'il omettra même de l’évoquer lors de son intervention.
Or, de cette situation résulte une atteinte à la liberté syndicale et au droit à la négociation collective, estimait le recours. L’argument a déjà été entendu : comment un OGC disposerait de la légitimité suffisante, quand certains sont des structures paritaires intégrant éditeurs et auteurs ? En outre, l’OGC n’est pas un syndicat auquel on se rallie, mais une structure à laquelle il faut adhérer si, auteur, on veut percevoir les droits liés à la gestion collective.
Ainsi, les demandeurs souhaitaient que le OU de l’article L131-5-2 soit au minimum remplacé par un ET. De même, que les organisations syndicales ne puissent pas être exclues de la négociation d’accords professionnels.
Sur la question de la rémunération, là encore, les articles 4,9 et 12 de l’ordonnance se voient reprocher une transposition incomplète – et passablement inexacte de la directive. De fait, son article 18 introduisait un « principe de rémunération appropriée et proportionnelle ».
Comme ActuaLitté l’avait relevé, les artistes-interprètes obtiennent bien cette double notion, mais aucune disposition légale ne l’explicite pour les auteurs. L’exigence d’une rémunération “proportionnelle” ne suffit toutefois pas à garantir aux auteurs les droits reconnus par la directive. Une rémunération ”proportionnelle“ signifie uniquement que la rémunération est déterminée en rapport avec un autre élément, rappellent le CAAP et la Ligue.
Dès lors, cette rédaction ne suffit pas à garantir une rémunération appropriée, laquelle correspondrait réellement « à la valeur économique réelle ou potentielle des droits octroyés sous licence ou transférés ».
Ainsi, nul besoin d’attendre la fin de la lecture pour saisir que l’ensemble des requêtes allait être balayé — mais, beau joueur, on reste jusqu’à la fin. Remettant en question systématiquement les demandes qu’avaient formulées le CAAP et la Ligue, le rapporteur estimera même que si le Code du Travail régit des relations économiques, celles entre auteurs et éditeurs y échappent — car de nature distincte, manifestement.
Aux problématiques réglées à coups de serpe et d’articles du Code de la Popriété Intellectuelle, a succédé la question de l’oubli ? « Le pouvoir exécutif a fait le choix de gommer le terme “approprié” », relèvera en fin d’audience Me Delamarre.
Mais le rapporteur ne l’a pas entendu de la sorte : citant la transposition traduite dans différentes langues des pays de l’Union, il souligne bien que dans chaque cas, les deux termes se retrouvent. Pour autant, le texte de l’ordonnance française n’aurait rien à se reprocher, même si un seul des deux termes fut retenu. Se perdant en conjectures sur la traduction la plus juste (appropriée ?) des termes, il soutiendra, de toute manière, qu'un mot en vaut un autre en la matière.
D’ailleurs, la notion de « approprié » se retrouve dans l’article 20 de l'ordonnance, reprendra-t-il, et même si le terme n'est pas utilisé, l'article 4 de la directive en reprend l'esprit. On y lit, glose le rapporteur, que les « États membres doivent veiller à ce que les auteurs de best-sellers obtiennent une rémunération appropriée et juste si celle perçue est trop faible en regard de l’exploitation de l’œuvre et de revenus générés ». De quoi faire frémir les plaignants : seuls les meilleurs vendeurs seraient fondés à revisiter leurs revenus, sous l'unique prétexte qu'ils vendent plus. Pour les autres, eh bien, circulez, on a des palettes à écouler.
« Nous sommes très attachés au modèle actuel et nous n’avons pas envie de revenir dessus », assurait récemment le directeur général du SNE, Pierre Dutilleul aux Échos. De fait, le ministère de la Culture et le rapporteur ont de toute évidence reçu le message.
Il faudra une ultime intervention de Me Delamarre pour chercher à corriger le tir : « Le pourcentage de droits d’auteurs perçus sur les ventes est en effet proportionnel — puisque reposant sur une notion de somme reversée à partir d’un montant découlant du pourcentage », lance-t-il à la cour. « À ce titre, 0,5 % de droits d’auteurs est proportionnel. Mais peut-on considérer que la somme qui en découlera est appropriée en regard du travail réalisé ? »
Un silence gêné s’est installé. Il sera à rompre d’ici quelques semaines, lors de la décision.
Crédits photo : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
1 Commentaire
Actualisant
18/10/2022 à 09:08
La collusion éternelle entre le Conseil d'Etat et le ministère de la Culture se démontre une fois de plus. C'est joliment noté ici, que le rapporteur doit défendre la voix de son maître, et que pour rien au monde il ne la mettrait en péril.
Allez-vous publier les conclusions ?