#LireEnPoche22 – Roman qui devient livre de poche, le schéma est classique. Et particulièrement pour Michel Bussi, l’un des plus grands vendeurs de polars en France. L’univers de l’écrivain normand se décline en audiolivres, bandes dessinées, séries, films… Parfois au point de lui échapper. Ainsi, quand Maman a tort est diffusé sur Netflix, des années après l’adaptation sur France 2, il s’en étonne : « Je n’avais pas été informé… Je l’ai appris par des amis. Mais c’est une agréable surprise. »
Maman a tort était sorti en 2017 aux Presses de la Cité, et devint la première adaptation d’un roman de Michel Bussi : diffusée par France 2 en 2018, on avait confié à François Velle de réaliser la série. « Après la signature, je suis très peu intervenu : le réalisateur avait une carte blanche et beaucoup de motivation », nous raconte l’écrivain. « Jusque dans cette poursuite, où dans le roman, une voiture s’échappe en “volant” par-dessus l’écluse du port du Havre. C’était une séquence coûteuse, mais François la voulait impérativement. »
Voilà ce qu’apporte la fiction télévisuelle, « et ce que cherchent les producteurs : garder le piment que nos livres apportent ». Avec les contraintes que cela implique : « Prenez Maman a tort, dont de nombreuses séquences se déroulent dans la tête d’un enfant de quatre ans. Cet onirisme, dans le roman, fonctionne. Dans une adaptation, à moins d’avoir David Lynch aux commandes, la dimension semi-fantastique d’une peluche qui parle… ça n’a rien d’évident », s’amuse Michel Bussi.
Sollicité également pour des scénarios originaux, l’auteur a écrit pour France 2 L’Île prisonnière, qui sortira en 2023. Carte blanche, texte inédit… « Leur proposer une prise d’otage, sur une île bretonne, avec des terroristes armés de kalachnikovs, je n’étais pas certain de mon coup. » Devant l’enthousiasme, finalement, tout s’arrange : « En réalité, les producteurs cherchent nos univers. Et de mon côté, passer une année d’écriture avec un projet qui n’aurait qu’une chance sur dix d’aboutir, je ne cours pas après. »
L’essor des plateformes de streaming a d’autant plus participé à ce changement de mentalités : « D’un côté, les chaînes de télévision ont besoin de projets qui tiennent en haleine d’une semaine sur l’autre. Le cliffangher devient obligatoire pour capter l’attention et fidéliser. Écrire pour des Netflix et consorts n’implique pas de recourir à de pareils ressorts narratifs. On n’en a pas besoin, parce que les utilisateurs passeront leur dimanche après-midi pour regarder l’ensemble de la série. »
D’ailleurs, certaines productions pour la télé finissent même, dans cette nécessité de maintenir le lien, par trahir l’œuvre. « Sur TF1, l’adaptation de Le Temps est assassin s'est déroulé sur 8 épisodes. Mais ils ont quasiment révélé toute l’intrigue au quatrième — quand dans mon livre, tout était disséminé progressivement, jusqu’au twist final. J’avoue avoir été déçu. » Or, quand on est reconnu et consacré comme le roi du twist, cela devient d’autant plus désagréable.
« Je comprends bien la situation. Un twist, c’est faussement facile à porter sur écran : un livre dispose d’une structure spécifique dans sa construction dramatique. Les informations s'y glissent au fur et à mesure. Et c’est comme cela que je m’amuse le plus en écrivant : ménager le retournement de situation où tout se dévoile », détaille-t-il.
Presses de la Cité qui publie tous ses livres prend ainsi en charge tout contrat menant à adapter les romans (Pocket pour le format poche, Lizzie pour le livre audio). « Leur savoir-faire et leur implication, jusque dans le groupe Editis, me procurent un véritable confort. Je n’ai que les livres à écrire finalement. Surtout pour cette vision globale : ils travaillent les titres sur tous les supports, ebook, audiolivre, série… » Y compris à travers les bandes dessinées qui prolongent les romans.
« Moi, je suis un enfant de la BD. Je considère que c’est un art majeur des années 70. Que sans Goetlib, Les Nuls n’existent pas. Que Métal hurlant fut une référence pour nombre d’entre nous. Dans le polar, nous avons cela en commun : la bande dessinée a été une nourriture d’enfance qui nous porte encore », lance-t-il. « C’est magique de partager avec le scénariste et le dessinateur ces moments, quand le rush crayonné évolue, qu’on observe la progression au fil des pages. Même la contrainte du nombre de planches disparaît, puisque désormais, on publie aussi des BD de 120 pages. »
À l’opposé de l’économie de Netflix — où l’on évoque des centaines de milliers de visionnages —, la transformation de Nymphéas noirs en BD atteint des dizaines de milliers de lecteurs. « Pour moi, il y a la fierté de présenter un bel objet, pour des gens collectionneurs. On se défie moins de ce type d’adaptation, parce que la dimension commerciale s’estompe, contrairement à la série Netflix. »
Malgré cette pluralité de supports et de médiums, le romancier… reste romancier. « Imaginer les déclinaisons et les produits dérivés au moment de l’écriture, impossible. C’est tout l’inverse. Calibrer mon récit en projetant tel ou tel devenir, je n’y parviens pas. L’idée reste de s’amuser et de proposer des difficultés à ceux qui souhaiteront s’emparer des livres. »
Et de prendre l’exemple de Rien ne t’efface, dont Dominique Farrugia a acheté les droits. « Le twist majeur du livre est impossible à transposer. Alors, ils ont décidé de le supprimer. J’aime beaucoup, ces moments où les astuces littéraires se changent en casse-tête : ça les oblige à travailler différemment, et c’en devient passionnant. »
Rêveur, une seconde, il conclut : « Dans La Nouvelle Babel, j’utilise des outils de téléportations qui, pour l’audiovisuel, impliqueront des effets spéciaux, des investissements, des risques. Quelqu’un, devant l’ampleur et l’envergure du récit, aura peut-être l’envie. Pour cela, il faut vraiment une forte motivation. En fait, les réalisateurs ont besoin de tomber amoureux de nos romans pour s’y investir. »
Crédits photo : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
DOSSIER - Lire en Poche 2022 : Un autre monde
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
Paru le 15/06/2017
512 pages
Presses de la Cité
22,50 €
Paru le 04/05/2017
614 pages
9,50 €
Paru le 25/01/2019
140 pages
Editions Dupuis
29,95 €
Paru le 03/11/2022
160 pages
HC Editions
21,90 €
Paru le 27/10/2022
Lizzie
26,99 €
Paru le 19/04/2017
584 pages
Audiolib
22,90 €
Paru le 03/02/2022
518 pages
9,20 €
Paru le 03/02/2022
446 pages
Presses de la Cité
21,90 €
Commenter cet article