Des remises empoisonnées qui mettront les “librairies romandes à genoux”
Prendrait-on les libraires romands pour des canards sauvages ? Ou la clientèle des lecteurs pour des perdreaux de l’année ? Les diffuseurs français font pleuvoir les remises à destination des commerces, sur les titres de leurs catalogues. Et ce, alors qu’une plainte pour distorsion de la concurrence vise le groupe Madrigall, déposée par le PDG de l’enseigne Payot.
Le 05/10/2022 à 16:38 par Nicolas Gary
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Publié le :
05/10/2022 à 16:38
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On apprenait hier que Dargaud Suisse allait proposer aux librairies de Suisse romande une remise de 6,5 % sur l’ensemble de ses ouvrages. Une décision découlant des performances enregistrées ces deux dernières années, prise « malgré une situation tendue sur le front de l’énergie et une hausse générale des prix », soulignait le diffuseur-distributeur.
La fin des cartels...
Or, quelque deux semaines auparavant, Pascal Vandenberghe déposait devant l’autorité de la concurrence helvétique une plainte : s’appuyant sur la révision de la Loi sur les Cartels, entrée en vigueur au 1er janvier dernier, il entendait contraindre les diffuseurs à se mettre en conformité. Et par conséquent, obtenir un prix de vente auprès de ces derniers qui soit révisé à la baisse, significativement.
Il admet un surcoût de 15 %, qui intégrerait le volet de distribution, mais au-delà, « cela génère un bénéfice indu réalisé sur le dos du marché suisse, qui s’apparente, pour dire les choses clairement, à du racket », assurait le PDG. Pour mieux le comprendre, plusieurs données s’imposent : d’abord, près de 90 % des livres vendus sur le territoire romand proviennent des diffuseurs français.
ENQUÊTE: Suisse : plainte contre Gallimard pour distorsion de concurrence
Ensuite, ces derniers appliquent une réévaluation de 35 à 50 % du prix de vente proposé aux librairies. Ce qui aboutit, pour de nombreux ouvrages, à ce que le prix en francs suisses équivaille à près de deux fois le montant en euros.
Certes, le pouvoir d’achat de nos voisins est supérieur, mais cette tabelle — qui concerne tous les produits importés, quel que soit le secteur — finit par user les revendeurs. Et la révision de la Loi sur les Cartels visait donc à rééquilibrer l’ensemble, en interdisant « la limitation de la possibilité des acheteurs de se procurer à l’étranger, aux prix du marché et aux conditions usuelles de la branche, des biens ou des services proposés en Suisse et à l’étranger » (art. 7.g) Et avec un franc suisse dont la valeur est désormais supérieure à l'euro, les bénéfices enflent.
Une salve de remises
Auprès de la RTS, Simon Kummer, directeur général adjoint de Dargaud Suisse, nie tout lien avec la plainte déposée par Payot contre Madrigall, soulignant une « réflexion que nous menons en permanence. En fonction de l’évolution du taux de change, nous avons déjà par le passé régulièrement adapté nos prix de vente conseillés. En 15 ans, nos prix de vente conseillés ont baissé de plus de 25 %. »
Pourtant, Le Temps semble en savoir une de plus que le diable : en effet, la filiale de diffusion en Suisse de Madrigall, Cinq frontières, a dégainé un communiqué auprès des libraires pour indiquer qu’il suit le même mouvement. Évoquant des changements significatifs, Kamel Yahia, directeur export, indique d’une part, l’unification du taux de tabelle pour les ouvrages de Gallimard et de Flammarion, à 1,5 %.
Une baisse qui équivaudrait à une remise de 9 % pour les libraires achetant les titres, tout en maintenant les remises en vigueur. De l’autre, ce changement commercial interviendra au 1er novembre — comme pour Dargaud Suisse.
Il en va de même pour Servidis (filiale des éditions Slatkine et du Seuil), qui a annoncé une baisse de sa tabelle de 1,7 à 1,5 % – originellement prévue pour le 1er octobre, cette mise en oeuvre a été retardée. Des choix qui feront tiquer toutefois, de par leur étrange temporalité. Pas de nouvelles pour l’heure du côté de Interforum ni Hachette – des rendez-vous sont pris avec Payot, mais sans annonces de quoi que ce soit.
L'art de la communication
Si pour le directeur export de Dargaud Suisse, la plainte n’a pas eu d’incidence sur cette nouvelle politique commerciale, la Commission Concurrence a de son côté validé la démarche juridique de Pascal Vandenberghe. La ComCo a par ailleurs demandé des précisions sur différents points afin de compléter le dossier.
Selon le PDG de Payot, cette vague de communication relèverait plutôt du miroir aux alouettes. Rappelons en effet que l’association faîtière LivreSuisse, qui représente l’interprofession romande (Payot n’en est pas membre), a mobilisé ses troupes. Une campagne de boycott des représentants se rendant en librairies a été mise en œuvre depuis le 1er octobre.
« De notre côté, nous revendiquons une soixantaine de vitrines pour la mise en avant d’un livre, d’un éditeur, d’auteurs : les diffuseurs s’en sont rendu compte, quand nous leur avons rappelé », expliquait Olivier Babel, directeur général, à ActuaLitté. « Il nous paraît indispensable de continuer de travailler avec eux. Mais jusqu’à nouvel ordre et à compter du 1er octobre, les représentants des diffuseurs ne seront plus accueillis dans les librairies. »
Cette initiative, cumulée à la plainte, aurait alors terni l’image des diffuseurs français, analyse Pascal Vandenberghe. La démarche s’apparente plus à une stratégie de communication, avec pour conséquence « de mettre les librairies romandes à genoux, la baisse des prix ne s’accompagnant d’aucune compensation pour les libraires ». Les réponses qu’apportent les sociétés de diffusion flatteront le lectorat, tout en étranglant les commerces – les indépendants aussi bien que l'enseigne.
« On ne peut l’interpréter que comme une forme de représailles — sous couvert d’un “geste” envers les consommateurs — destinée à les rendre plus “dociles” face au diktat qui leur est imposé », conclut-il dans Le Temps.
Timeo Danaos et dona ferentes, disait l'autre...
mise à jour 17h37 -
L'association LivreSuisse vient de réagir officiellement à ces différentes annonces. Leur communication est ici reproduite dans son intégralité.
Le prix des livres français baissent, un premier acquis
Dès la baisse de l’euro au printemps, les librairies indépendantes réunies au sein de LivreSuisse ont interpelé les diffuseurs de livres français pour que cette baisse soit répercutée au plus vite sur le prix suisse.
Devant leur immobilisme, elles ont mis en place début septembre une action radicale vis à vis des diffuseurs, soutenue en cela par d’autres librairies de Suisse romande. Action qui commence à porter ses fruits. La plupart des diffuseurs ont réagi favorablement aux attentes des libraires : d’ici au 1er novembre, les prix d’une bonne partie des livres français vont diminuer en librairie de 6,5 à 11%. C’est le cas notamment de ceux des groupes Madrigall (Gallimard et Flammarion), Le Seuil, La Martinière, Dargaud, Auzou, Harmonia Mundi, Les Belles Lettres.
En période d’inflation c'est une première victoire nécessaire. Mais ce n’est pas suffisant.
La filiale du groupe Editis offre un soutien aux librairies mais sans abaisser les prix ce qui est jugé insuffisant. De son côté la filiale du groupe Hachette n’a pas jugé bon de réagir.
Les produits exceptionnels liés aux gains sur change doivent être mieux redistribués, afin de permettre aux libraires d’adapter au moins partiellement les prix sur les livres achetés avant la baisse de l’euro.
La baisse de chiffre d’affaires occasionnée par la baisse des prix doit être compensée par une amélioration des conditions d’achat faites aux libraires.
Le combat des libraires indépendants se poursuit.
Crédits photo : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
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2 Commentaires
François Baude
06/10/2022 à 09:18
Je tombe des nues : je distribue mes ouvrages (effectivement, en "petites" quantités) auprès des librairies suisses. Comme pour toutes les librairies françaises, je pratique la remise de 30% ET la formule Franco de port. Et ce d'autant plus que, pour la Suisse, nous bénéficions du tarif "livres et brochures" qui est moins onéreux que le tarif "lettre verte" France... et beaucoup beaucoup moins onéreux que pour les envois dans les TOM DOM (l'hexagone les considère toujours comme des peuples sauvages qui n'ont pas besoin de culture).
Rassurez-vous, les sanctions permettront à la bande des quatre de survivre... Leur disparition serait un choc... Leur taille leur permet d'être au-dessus des lois.
Gaillard Christophe
06/10/2022 à 10:52
En effet une baisse est une annonce visant d'abord la clientèle finale ( le lecteur ), pour les libraires elle doit s'accompagner non seulement d'une compensation sous forme de remise supplémentaire non seulement pour la perte de chiffre d'affaire, mais également pour la perte sèche de la valeur du stock existant. De même il faut préciser également quelles conditions s'appliquent sur la valorisation des retours ( ancien prix si achetés avant la baisse, ou nouveaux prix mais avec un montant de compensation négocié !!!! ) tout cela est très complexe, j'étais habitué à le faire en travaillant dans une grand groupe d'achat en Suisse, mais je ne suis pas sûr qu'une petite librairie soit capable d'estimer correctement ce qu'elle doit demander et obtenir de l'ensemble des diffuseurs qui vont chacun annoncer des baisses et des conditions de reprise différentes.... Bonne chance à toutes les librairies Suisses romandes.