« À quoi bon ? » Philippe Delerm a vingt ans lorsqu'il découvre À la recherche du temps perdu lors de ses années de licence. Une question l'obsède : « Comment écrire après ça ? » Cinquante ans plus tard, il publie le 4 novembre prochain Proust Instantanés (Éditions Points), dans lequel il commente une soixantaine d'extraits de la somme romanesque avec sa marque de fabrique : des textes courts.
Le 07/10/2022 à 11:55 par Noé Megel
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Publié le :
07/10/2022 à 11:55
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#LireEnPoche22 – Invité ces 8 et 9 octobre dans le cadre du salon de Gradignan, Philippe Delerm sera présent sur le stand de la librairie Mollat et prendra part à deux événements – dont une conférence ce 8 octobre à 17h, « Une vie : de multiples croisements ».
Or, longtemps, Philippe Delerm s'est couché de bonne heure en espérant retrouver, le lendemain, sa boîte aux lettres pleine de manuscrits acceptés « comme si le bonheur allait en sortir ». Pour l'auteur, ce « longtemps » est quantifiable. Pendant dix ans, il a envoyé des manuscrits, tous refusés par diverses maisons d'édition. Ce sont finalement les éditions de Rocher qui vont faire le bon pari en publiant son roman La Cinquième saison en 1983. Le néo-romancier avait appris la bonne nouvelle... par téléphone. Preuve qu'on ne peut pas prévoir le succès.
Suivent alors quinze ans de publications dans cette même maison, avec peu de ventes mais « une grande satisfaction ». Pendant toutes ces années, Philippe Delerm ne rêvait paradoxalement pas du succès, mais « du format poche » avec lequel il a approché la littérature. « En tant que consommateur de livres, je les ai toujours adorés avec ces couvertures un peu impressionnistes, assez saisissantes. Avec mon épouse, Martine, on n'a jamais été très fans des nervures de la pléiade dans notre bibliothèque. Mais bien davantage des tranches des livres de poche. »
C'est en 1996, grâce au roman Sundborn ou les jours de lumière (lauréat du Prix des libraires la même année), que l'auteur connaît l'émotion de sa première parution poche, chez Folio. Une reconnaissance pour celui qui a longtemps bataillé, pour celui qui vient d'écrire « peut-être, mon seul roman réussi ». Il sera également présent au salon Lire En Poche dont l’édition 2022 aura lieu ce week-end à Gradignan. Tout un symbole.
Pourtant, si le nom de Philippe Delerm est aujourd'hui connu, ce n'est pas pour les deux ouvrages précédemment cités. Ni même pour des romans. C'est bien grâce à La Première Gorgée de bière, et autres plaisirs minuscules (Gallimard, 1997), un recueil de textes court qui trouve paradoxalement son origine chez Proust, romancier connu pour ses multiples subordonnées. Sa phrase la plus longue — dans Sodome et Gomorrhe, quatrième volet de La Recherche — ne compte pas moins de 823 mots.
En 1969, le jeune Delerm entre à la faculté de lettres de Nanterre et se met « sans trop de raison » à lire Du côté de chez Swann. Des les premières phrases, qu'il porte d'ailleurs sur sa montre au poignet, il est chamboulé par une formulation. « “La pensée qu'il était temps de chercher le sommeil m'éveillait”, cette phrase-là, je l'ai pensé tellement de fois et je pense que tout le monde a déjà éprouvé ça. Mettre ça dans un livre ça a vraiment été un déclencheur. C'est l'autorisation absolue. Toutes les choses les plus infimes, intimes, peuvent faire écho chez les autres. Plus l'aiguille est mince, plus ça rentre dans la peau. »
Mais il a fallu du temps au jeune lecteur pour se lancer dans l'écriture. « À quoi bon ? À quoi bon écrire après ça ? » s'interroge-t-il dans la préface de son dernier recueil. « À l'époque, j'avais un professeur qui parlait beaucoup de l'aspect romanesque et balzacien de La Recherche, du milieu noble et aristocrate du quartier Saint-Germain jalousé par la grande bourgeoisie. Moi, je voyais plutôt ça comme des textes courts, très poétiques et qu'on peut presque isoler. Ce que j'allais faire plus tard finalement. »
Si écrire sur Proust est presque un passage obligé pour tout écrivain qui se respecte, la démarche de Philippe Delerm est tout autre. « C'était important pour moi de rendre compte de ce phénomène spécial. » C'est ainsi que naît Proust Instantanés, un recueil d'extraits de La Recherche commentés par l'écrivain qui sortira le 4 novembre aux éditions du Points dans la collection — qu'il dirige — Le goût des mots.
L'ouvrage est composé de soixante extraits, tous suivis des remarques de l'auteur. Parmi eux, on peut retrouver des passages plus ou moins connus comme celui des vertèbres, une erreur de retranscription du manuscrit qui a la vie dure. Puisque s'il a été prouvé que Proust avait écrit « véritable », des éditions conservent le texte original, bien qu'inexact, dans une foi aveuglante.
Peut-on alors dire que sans Proust, pas de Philippe Delerm ? En tout cas, pas comme on le connaît. « J'aurais pu totalement passer à côté. Lorsque je l'ai ouvert pour la première fois, je ne comprenais rien », se souvient l'artiste, sûrement attiré par les couvertures du livre en format poche, dans la bibliothèque de ses parents. Son grand hommage, il aurait aussi pu le faire à Alain-Fournier, tant ce dernier l'a accompagné. De sa première lecture du Grand Meaulnes en sixième, un dimanche un peu mélancolique de novembre alors que ses parents sont allés voir des amis, à son mémoire de master, qu'il lui consacre. « C'était aussi une piste d'écriture pour moi, mais d'écriture romanesque. Si je n'avais pas lu Proust, j'aurais en tout cas échappé aux textes courts. »
Autre auteur, autre influence. Difficile de ne pas voir du Francis Ponge dans le recueil de poèmes en prose et dans le minimalisme du quotidien de La Première Gorgée de bière. « S'il m'a moins marqué que Proust, j'ai aussi une grande admiration sur ces textes comme l'éponge ou le savon que j'ai pu étudier au lycée. Simplement, c'était sur un ton scientifique, clinique, presque un œil de chirurgien. Il y avait une certaine froideur alors que je voulais y mettre de la chaleur humaine. »
Questionné par des journalistes sur la possibilité de faire des textes sur des choses négatives, moins belles, voire même « dégueulasses » comme des crottes de nez, il répond catégoriquement non. Il préfère prendre la plume sur les espadrilles qui se mouillent en été, son déclic dans l'écriture de petits textes, ou sur la dynamo sur le pneu d'une bicyclette, ses madeleines de Proust. En ce sens, il se reconnaît pleinement dans l'essai de Rémi Bertrand, Philippe Delerm et le Minimalisme Positif (Éditions du Rocher, 2005).
Justement, le passage de la petite madeleine, comme on pouvait s'y attendre, est bien présent dans le recueil. « L'expression est passée dans le langage commun pour désigner un souvenir. Je crois qu'on réduit trop ce phénomène. Ce qui compte, c'est bien plus le présent que le passé. Ce passage nous montre aussi quelque chose de cruel, il n'y a que la mémoire involontaire qui existe. Si on croit Proust, cela n'a aucun sens d'écrire ses mémoires puisqu'on ne peut pas commander mécaniquement la mémoire comme on raconte une histoire. Il faut attendre que cela tombe par hasard. Comme je pratique la religion Proustienne, je n'en écrirais pas. » Reste à voir s'il tient sa promesse...
Crédits photos : ©Hermance Triay/©Jean-Pierre Dalbéra (CC BY 2.0)
Par Noé Megel
Contact : contact@actualitte.com
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1 Commentaire
mp.mac
08/10/2022 à 09:41
Philippe Delerm est bien assez prétentieux pour écrire ses mémoires, les paris sont ouverts...