À Saint-Saturnin, monsieur Piquet, horloger de métier et dont la boutique se situe juste en face du salon de coiffure tenu par la fameuse Annie, est introuvable. La disparition pour le moins suspecte de ce vieil homme acariâtre réputé pour être regardant sur les dépenses (à part s’il s’agit de nourrir les chats du village), demeure nimbée de mystère. Au point de pousser Annie à s’en mêler : elle découvre alors auprès de son neveu que l’harpagon de service aurait en fait hérité d’une considérable somme d’argent convoité avidement par la descendance susmentionnée. Les révélations vont dès lors se succéder jusqu’à révéler une bien sordide machination.
Le 13/09/2022 à 12:12 par Jean-Charles Andrieu de Levis
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13/09/2022 à 12:12
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Ce deuxième volume des dessous de Saint-Saturnin permet de retrouver la faune sympathique et farfelue déjà croisée dans le premier tome, Le bistrot d’Émile, où Annie tenait déjà un rôle important. Bruno Heitz poursuit ainsi les chroniques de cette charmante commune rurale où règne une ambiance relativement passéiste, presque surannée et pourtant tout à fait moderne. Survivance autant que témoin d’une France profonde pleine de vie qui dépoussière les faits divers ou autres poncifs narratifs véhiculés par des fictions tièdes telles que Louis la Brocante ou autres émissions folkloriques comme L’amour est dans le pré. Loin de ces inepties condescendantes de piètre qualité, Bruno Heitz met en scène un thriller palpitant peuplé de personnages hauts en couleur.
Le dessinateur vauclusien possède en effet l’art de dresser comme personne des portraits profondément humains. Il met ainsi en scène une population dont chaque habitant saura émouvoir par de nombreux détails infimes et anecdotiques, mais qui les incarne véritablement. Il traque et décrit avec délectation les petits travers de chacun ou plutôt toutes les manies qui singularisent un individu et racontent déjà une histoire en soit. Cette justesse des descriptions se trouve d’autant plus accentuée que le mystère de la disparition agit sur chacun des habitants en catalysant ce qu’ils ont de plus malsain en eux. Il précipite et révèle les défauts de tous, les porte aux yeux de chacun, le lecteur en premier.
Ce plaisir évident pour ses personnages de papier engage l’auteur à ne laisser aucun rôle secondaire. Tous sont brossés avec le même investissement, la même gourmandise, la même tendresse, et tout le monde peut être amené à jouer un rôle dans l’histoire (à l’exemple de la femme du facteur qui peut sembler discrète, on l’aperçoit uniquement le temps de quelques cases au cours du récit avant de venir conclure l’album en bienfaitrice de l’héroïne).
La multiplication des personnages (suffisamment dosée pour que le lecteur puisse bien suivre le récit) implique un récit mené à bâtons rompus. Nous passons de rebondissement en rebondissement avançant dans l’intrigue à pas de géant. Inépuisable, l’auteur semble sans cesse inspiré et sait toujours nous surprendre : impossible d’anticiper la multitude de péripéties qui s’enchaînent sans cesse ! Nous nous laissons donc porter sans bouder notre plaisir dans cette enquête rurale qui prend des accents d’affaires de mœurs.
Car contrebalançant avec l’ambiance doucement champêtre et presque frivole qui semble présider à cet univers brossé à l’aide d’une ligne agile et fragile, le drame contient son lot de sordide. L’éclaircissement de l’énigme conduit à des dénouements violents où les désirs sexuels (dont certains malsains et criminels) culminent et se trouvent étalés sur la place publique. Cette dualité entre une atmosphère chaleureuse et insouciante et la cruauté assoit l’idée d’une fable prenant pied dans une réalité bien connue de l’auteur, le quotidien des villages de campagne (à l’image du Roman de Renard dont le ton badin contraste avec la violence dont peut faire preuve le goupil et qui peut se lire comme un reflet de l’époque). L’aspect bucolique cet environnement champêtre détonne avec la brutalité et la morbidité des lieux.
Comme d’habitude, le dessin de Bruno Heitz est enlevé et plein de vie. Le dessinateur allie une grande précision dans la représentation à une forme de schématisation qui dynamise les images. Chaque case est dessinée avec une grande justesse et traduit la bonne humeur de l’histoire qui permet également de dédramatiser la brutalité de certains retournements.
Bruno Heitz fait partie de ces rares dessinateurs qui ont traversé les années et les milieux éditoriaux avec toujours autant de réussite artistique. Aussi à l’aise dans l’édition jeunesse (où il a majoritairement travaillé) que dans la bande dessinée, sa bibliographie impressionne par son étonnante capacité à se renouveler tout en préservant des pierres de touche qui témoignent de ses centres d’intérêt. La campagne en fait évidemment partie (nous nous souvenons de l’excellente série Un privé en cambrousse) et les titres consacrés au petit village de Saint-Saturnin ne pourront que ravir les amateurs de polars bien ficelés.
Tiff’Annie est une lecture vivifiante portée par une écriture originale et légère, incarnée par un dessin aérien et plein de vie : un album qui fait du bien !
Par Jean-Charles Andrieu de Levis
Contact : jeancharles.andrieu@gmail.com
Paru le 08/06/2022
100 pages
Editions Gallimard
14,00 €
Paru le 26/05/2021
97 pages
Editions Gallimard
14,00 €
Paru le 10/01/2019
64 pages
Editions Gallimard
6,10 €
Paru le 21/04/2011
336 pages
Editions Gallimard
21,30 €
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