« Sous Louis XIV, l’armée française n’a jamais perdu de bataille… ou personne ne s’en souvient. Certes, en 1656, Turenne lui-même a été lourdement battu devant Valenciennes, mais dans les années 1700, qui est assez vieux pour en avoir été témoin ? » Sauf que... « Tout change le 13 août 1704. »
Un des artisans de ce changement s’appelle John Churchill. Il est le sujet du docteur en Histoire, Clément Oury, qui vient de publier chez Perrin la biographie du « plus redoutable ennemi de Louis XIV ».
Un premier constat s’impose : John Churchill, duc de Marlborough, est assez peu connu. Plusieurs raisons à cela à commencer par sa réputation désastreuse d’opportuniste voire de traître qui lui colle à la peau. Son descendant, non moins illustre, Wilson Churchill a bien essayé de le réhabiliter dans une biographie (qui fait encore autorité aujourd’hui)… mais l’objectivité de l’ancien Premier ministre du Royaume-Uni reste sujette à caution.
Mais celui qui brouille le mieux les pistes est sans aucun doute John Churchill lui-même. « Séducteur, audacieux, brave, imaginatif, Churchill se construit une carrière par son charme et à la pointe de l’épée. » Il est souriant, affable, séduit immanquablement son entourage, mais du coup avec qui est-il sincère ? Comment savoir qui se cache derrière cet homme charismatique, mais ne se livre pas ?
À 15 ans, il devient page au service du frère du roi Charles II, Jacques Stuart. Il apprend son métier d’homme de guerre dans les troupes françaises sous Vauban ou encore Turenne. À 23 ans, il semble avoir été nommé colonel par Louis XIV lui-même.
Il sert pendant près de vingt ans le futur Jacques II, qui pour le remercier de sa fidélité « allait lui accorder toutes les faveurs, l’élevant aux plus hautes fonctions militaires et diplomatiques, assurant sa progression sociale et son avancement dans la hiérarchie des rangs. » Mais dans un pays protestant, Jacques Stuart, catholique, pose un sérieux problème. Il devra s’exiler en France, emmenant dans son sillage Churchill. Est-ce pour cela que John finira par se ranger du côté de Guillaume d’Orange, facilitant son accès sur le trône d’Angleterre et poussant Jacques II à se réfugier, de nouveau, en France ?
« Churchill n’était pas, loin de là, le seul dignitaire à avoir comploté contre son roi. Mais il était sans doute, de tous les conspirateurs, le plus proche du souverain. »
Il est certain en tous les cas que sa réputation d’homme fidèle prend du plomb dans l’aile.
S’il est bien une personne envers qui on ne peut l’accuser de duperie, c’est bien envers sa femme, Sarah Jennings. Entre eux, c’est une entente qui va durer plus de quarante ans. Un mariage d’amour, assez rare à l’époque pour mériter d’être mentionné. Intelligente, indépendante, amie intime d’une des filles de Jacques II, Anne, future reine, Sarah est indéniablement l’un des facteurs de réussite de Churchill sur le début de sa carrière. Ce couple est fort et quand Anne finira par entrer en disgrâce, le duc de Marlborough la soutiendra, et tant pis pour sa propre situation.
Il va servir cinq souverains qui ne partageaient pas tous les mêmes points de vue, il aura donc fallu à Marlborough s’adapter. Ce grand sens de l’adaptation peut évidemment faire jaser. Opportuniste, cherchant le pouvoir, la richesse et la reconnaissance à tout prix, voici des maux dont il était facile de l’accuser et dont son aïeul, Wilson, sera également « victime ». « Plus le pouvoir de Marlborough s’étend, plus il rencontre d’opposition ; et plus sa réputation d’ambition démesurée peut prendre corps. »
Rien de nouveau sous le soleil.
Cette biographie met surtout en évidence que cet homme, qui possédait indéniablement un génie militaire — que lui reconnaîtra d’ailleurs Napoléon — se battra surtout contre ses « amis ». Que cela soit au sein de son pays ou encore avec les pays alliés à l’Angleterre contre Louis XIV. N’est-ce pas eux d’ailleurs qui signeront la paix d’Utrecht le 11 avril 1713 avec la France, mettant fin à la guerre de Succession d’Espagne en accordant à la France bien plus que Marlborough ne souhaitait laisser ?
Portrait De John Churchill, 1er Duc De Marlborough (1650-1722) Vers 1702 Peinture à l'Huile
Alors oui, il voulait continuer la guerre pour mettre définitivement la France à terre, oui peut-être en avait-il fait une obsession, mais « de fait, l’opinion politique britannique fut elle-même stupéfaite d’un tel revirement : certes, les Anglais voulaient la paix, mais devait-elle être aussi généreuse pour les Français ? » Que faire ? En outre, à cette date, John n’a plus de pouvoir, sa femme a perdu l’amitié de la reine Anne et fin 1711 cette dernière écrivait à John Churchill pour le démettre de toutes ces fonctions. Enfin il attendait d’être jugé pour détournement de fonds. Accusé par 276 voix contre 165, il ne sera pourtant pas mis en accusation.
Le but n’était pas tellement de mettre en avant qu’il avait détourné de l’argent, c’était alors un sport national, mais plutôt de se débarrasser de cet homme trop brillant… trop dérangeant. De s’en débarrasser et… de prendre sa place. Le couple part alors aux Pays-Bas où ils sont acclamés.
Les opposants à Marlborough finiront par décevoir, la reine Anne finira par mourir, ainsi va la vie… mais le peuple anglais n’avait pas oublié l’ancienne gloire passée de son armée, le couple rentre triomphalement au pays, à 66 ans Marlborough est une fierté nationale certes, mais aussi un homme fatigué par ses incessantes luttes. « Les dernières années de sa vie le voient circuler entre Holywell, Marlborough House et Blenheim Palace. » Il s’éteint à 72 ans, le 16 juin 1722.
Son titre finira par passer à son neveu, Charles Spencer, aïeul de Lady Diana, « les héritiers du trône d’Angleterre descendent donc, par Anne Churchill, du premier duc de Marlborough ».
Marlborough divise encore, mais cette biographie, en s’appuyant sur des sources multiples comme l’énorme correspondance du duc et évidemment toutes les autres sources qui ne manquent pas sur cette période extrêmement étudiée, permet de cerner l’homme et son époque.
Les longs chapitres sur les stratégies militaires et diplomatiques, ceux sur la politique interne à l’Angleterre, les conflits entre Tories et Whigs, loin de faire fuir le lecteur, permettent de mieux appréhender toutes les complications que dû affronter Marlborough. Cela n’en fait pas un saint pour autant, mais permet au moins de mettre à mal cette légende noire qui accompagne son nom.
Insondable, l'homme charme encore, plusieurs siècles après sa mort !
Paru le 19/05/2022
680 pages
Librairie Académique Perrin
24,00 €
Paru le 03/02/2022
700 pages
Editions Tallandier
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Paru le 12/03/2020
528 pages
Editions Tallandier
25,90 €
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