Une fin de belle journée de printemps dans un bois près de Fontainebleau, à l’orée d’une clairière qu’il tente de peindre en recherchant le « jaune qui correspondait à cette heure » pour l’appliquer sur la toile qu’il peint. Auguste a entraperçu un homme qui s’est assis sur l’autre rive de la clairière et qui, bien qu’apparemment installé tranquillement pour s’offrir « une prise de tabac », ne manque pas de se retourner régulièrement « comme si un sanglier […] pouvait débouler dans son dos ».
À la recherche des derniers « confettis de lumière sur les feuilles des hêtres », le peintre ne peut que constater que le jour finissant le contraint à laisser son tableau en suspens et à ranger ses affaires pour regagner son auberge.
L’histoire ne dit pas lequel des deux a, le premier, adressé la parole à l’autre. En revanche, le peintre avec son attirail sur les bras et celui qui s’était présenté à lui sous le nom de Raoul, sans bagage, rentrent bientôt de concert, comme deux vieux amis alors qu’ils ont à peine plus de vingt ans et qu’ils viennent tout juste de se présenter l’un à l’autre, et échangent en chemin quelques banalités et histoires personnelles sans conséquence, bien loin de « la rumeur de la guerre qui menace ».
Alors que son père, Léonard Renoir, est tailleur d’habits, Auguste a appris « la vie à treize ans dans un atelier de porcelaine » de Paris où il était apprenti et où, « comme il était doué », il avait pu développer son talent : une aubaine qui lui avait ouvert d’autres portes quand celle de la boutique avait fermé ! Et surtout lui avait mis les deux pieds dans la peinture !
Raoul Rigault, lui dont le père était passé dans divers cabinets ministériels et de sous-préfecture, avait usé ses fonds de culotte sur les bancs de l’école pour devenir bachelier avant de délaisser la poursuite des études au profit d’une entrée en politique derrière Blanqui et, en parallèle, en journalisme dans des journaux dont les credo politiques lui avaient valu des années de prison. Ce dont il évitera de parler pour l’instant à Auguste au cours de ces quelques jours finalement passés ensemble, dans cette auberge de campagne, avant de rentrer vers Paris pour y suivre chacun son destin alors que les heures tragiques de la Commune de Paris pointent le bout de leur nez.
Il est possible qu’Auguste Renoir (qui a été considéré comme « le peintre du bonheur » et a été surnommé « le pape ») et Raoul Rigault (qui est devenu procureur de la Commune de Paris avant d’être tué sur les barricades du Quartier latin) se soient effectivement rencontrés (ou pas ?). En tous cas, Bernard Chambaz en a suivi l’hypothèse pour nous emmener dans le sillage de ces deux hommes qui, chacun dans sa vie, ont atteint des sommets.
Cette première rencontre fortuite dans une clairière où l’un cherche inlassablement la lumière et l’autre se « met au vert » pour reprendre son souffle avant de repartir aux combats de toutes sortes qui sont le moteur de sa vie, est un prélude pour amener d’autres rencontres ultérieures et faire pénétrer le lecteur dans les rues de la Commune dans ses derniers balbutiements. Sans y attacher pour autant une minutie d’historien émérite. Juste comme une toile de fond. L’auteur se contente d’ailleurs de relever certaines des nombreuses divergences qui contribueront, certainement, à mal asseoir le mouvement et à le ronger de l’intérieur malgré ses ambitions louables.
On voit donc Auguste chercher, parfois désespérément, les couleurs que la nature lui offre et que ses fournisseurs de tubes de peinture peinent à lui procurer : il semble passer au travers des évènements, même si sa proximité avec Raoul l’amène à pénétrer au cœur de ces journées historiques. Plus que les flonflons guerriers, c’est le jaune qui l’attire. Plus que le pouvoir, c’est la lumière naturelle qu’il recherche. Celle, notamment, que la peau du dos de la fille du capitaine de l’unité dans laquelle il a été affecté à Libourne, et à laquelle il lui avait été demandé de donner des leçons de peinture, « repoussait ». ?
On voit parallèlement Raoul, bien incapable de « comprendre que la peau [d’un] dos repoussait la lumière », s’évertue, dans l’ombre relative de son poste de « délégué à la police » puis de « procureur de la Commune », à faire avancer ses idées et donner vie et ambitions à cette Commune à laquelle il voue une foi immense. Avec des méthodes qui n’ont pas la douceur et la luminosité des couleurs qui attirent tant Auguste.
Passant alternativement de l’un à l’autre, Bernard Chambaz mène deux morceaux de biographies parallèles qui s’accrochent l’une à l’autre à intervalles irréguliers, pour de courts instants, avant de laisser à l’Histoire le temps de relancer les dés et de proposer de nouvelles situations dont chacun devra se débrouiller.
Tout cela est fait d’une écriture alerte et libre qui passe d’une sérénité tranquille devant les merveilles de la nature, de ses couleurs, de ses lumières, au tumulte et à l’effervescence d’une révolution en marche au milieu des hommes qui la font.
L’un est mort à 78 ans. L’autre à seulement 25.
Ils se sont, peut-être, réellement frôlés.
Bernard Chambaz en a fait les héros magnifiques, tellement opposés et tellement complémentaires d’un court livre étonnant et très agréable à lire, qui inscrit les personnages dans deux manières de traverser l’Histoire au milieu de laquelle ils ont vécu.
Paru le 19/08/2022
138 pages
Editions du Sous sol
17,00 €
Paru le 19/08/2022
359 pages
Points
8,20 €
Paru le 04/05/2022
142 pages
Flammarion
18,00 €
Paru le 27/08/2020
173 pages
Editions Paulsen
19,50 €
Commenter cet article