RNL22 — Premier rendez-vous des libraires français depuis le début de la crise sanitaire, les Rencontres nationales de la librairie 2022 seront notamment l'occasion de dresser un bilan de cette période particulière. Mais d'autres questions seront abordées, comme le tarif plancher des frais de port du livre, le marché de l'occasion ou encore l'empreinte environnementale des libraires... Anne Martelle, présidente du Syndicat de la librairie française, qui organise les RNL, a accepté de répondre à quelques questions.
ActuaLitté : Quels sont, pour le SLF, les enseignements des deux premières années de la crise sanitaire ? Quels ont été leurs effets sur la profession ?
Anne Martelle : Le SLF est tout d’abord très heureux de pouvoir de nouveau réunir plus d’un millier de professionnels du livre pour débattre et réfléchir sur les impacts de la crise sanitaire et les enjeux à venir pour la librairie et le livre.
L’un des principaux enseignements que nous tirons de la crise sanitaire, pour ce qui est de notre profession, est la robustesse du modèle des librairies indépendantes qui a tenu pendant la crise, grâce aux aides publiques naturellement, mais aussi à l’investissement des équipes et à l’engouement des lecteurs qui se sont massivement tournés vers les librairies malgré les périodes de fermeture. Les ventes des libraires sur internet se sont accrues montrant que leurs sites pouvaient être compétitifs. Parmi les points plus inquiétants, on peut citer la baisse du nombre de lecteurs même si celle-ci s’est trouvée compensée par une hausse du panier moyen en librairie.
La loi pour établir un prix plancher des frais de port sera appliquée en 2023. Comment ce prix unique du port permettra-t-il aux libraires d’être plus présents sur les ventes de livres en ligne ?
Anne Martelle : C’est simple. Si un libraire s’aligne, aujourd’hui, sur Amazon, pour être compétitif en termes de tarif, il sacrifie bien au-delà de sa marge, ce qui est une impasse financièrement parlant.
Le fait d’imposer à tous un tarif minimum supportable pour les clients permettra de mettre fin à ce dumping agressif d’Amazon qui vise à la fois à contourner le prix unique du livre et à renforcer une hégémonie sur les ventes en ligne de livres.
Quel est le bilan de la campagne de promotion du prix unique du livre mise en œuvre par le SLF ? D’autres campagnes sont-elles prévues dans les mois ou années prochaines ?
Anne Martelle : Nous sommes heureux d’avoir réussi à mener, avec des associations de libraires et des régions, la première campagne nationale de communication sur le prix unique du livre. C’est une action particulièrement bien reçue par nos clients et qui a vocation à s’inscrire dans le temps.
Au Québec, le recul des ventes dans les librairies a pu être limité à 2 %, grâce à une forte mobilisation du public : le SLF envisage-t-il des actions pour sensibiliser le public aux achats en librairie ? Comment réinvestir le public dans les librairies, alors que la crise sanitaire a introduit des habitudes d’achat en ligne ?
Anne Martelle : La situation est comparable en France où le public a également plébiscité les librairies. Si l’activité s’est ralentie depuis le début de l’année, nous restons à des niveaux supérieurs à ceux d’avant crise. Cet engouement récompense le travail singulier d’accueil, de conseil, de relation humaine, d’animation et d’assortiment qui caractérise les librairies.
C’est en améliorant constamment ces fondamentaux de notre métier, tout en renforçant leur présence en ligne, que les librairies garderont et développeront leur clientèle.
Des craintes ont été exprimées vis-à-vis d’un accès réduit au livre, et d’un détournement des clients vers le livre d’occasion. Quel est le regard du SLF sur ces craintes ? Le livre d’occasion deviendra-t-il un indispensable pour les libraires, au même titre que la présence en ligne ?
Anne Martelle : L’une des études que nous présentons aux Rencontres nationales de la librairie montre que le livre d’occasion progresse au même rythme que le reste du marché, ni plus ni moins. Il faut bien être conscient que les plus forts lecteurs utilisent tous les canaux à leur disposition, la librairie, mais aussi l’occasion ou le numérique.
À ce titre, je ne sais pas s’il est pertinent de parler de détournement. La problématique, pour les librairies, est d’analyser la manière dont ils peuvent répondre à cette demande croissante du public sans basculer dans un métier au fonctionnement très différent. Ce sera l’un des sujets des Rencontres d’Angers.
À ce titre, la Sofia travaille sur une étude consacrée au livre d’occasion, le SLF y participe-t-il ? Le SLF serait-il partisan d’une taxation des ventes de livres d’occasion, au bénéfice des auteurs ?
Anne Martelle : Le SLF est et sera associé aux réflexions au niveau de l’ensemble de la filière et se prononcera sur la base des résultats des travaux en cours et des recommandations précises qui pourraient en sortir.
L’État a justement proposé, dans la foulée de la crise sanitaire, une aide spécifiquement dirigée vers l’amélioration de la présence en ligne des libraires français : quel est le bilan provisoire de cette aide du point de vue du SLF ? Quelles sont les principales difficultés rencontrées par les libraires pour l’amélioration de cette présence en ligne ?
Anne Martelle : Il est difficile de tirer le bilan d’un dispositif en cours. Pour ce qui est du SLF, nous menons une étude visant à identifier les principaux freins à une présence accrue des libraires sur internet. Les premiers résultats seront également dévoilés à Angers.
Où en est la situation avec le distributeur MDS ? Les problématiques ont-elles été toutes résolues ?
Anne Martelle : Nos discussions avec MDS sont continues. Les délais se sont améliorés sans être néanmoins revenus à la normale. C’est au niveau de la facturation que les problèmes sont aujourd’hui les plus aigus, sur des questions de remises, avoirs et échéances, dues notamment à un changement de système informatique.
Deux groupes d’édition, Editis et Madrigall, ont décidé d’augmenter la remise accordée aux libraires. Comment cette revendication de longue date du SLF a-t-elle pu être obtenue ? Ce niveau de remise est-il jugé suffisant par le SLF ?
Anne Martelle : Ces annonces sont l’aboutissement du travail de la commission commerciale du SLF qui mène de manière constante des discussions avec les fournisseurs des libraires. Grâce aux études que nous menons, depuis plusieurs années, sur l’économie des librairies, nous avons réussi à démontrer qu’il n’y avait pas de viabilité possible en dessous de 36 %. Nous espérons que des groupes comme Hachette et Média Participations rejoindront le mouvement. Il s’agit d’une remise minimum, indispensable pour être juste à l’équilibre, mais insuffisante au regard de l’inflation actuelle ou de la nécessité de revaloriser les salaires en librairie.
Dans quelle mesure le rachat désormais effectif du groupe Lagardère par Vivendi représente-t-il une menace pour la librairie indépendante ? Quels sont les effets du phénomène durable de concentration de l’édition française sur l’activité des librairies ?
Anne Martelle : Le rachat n’est pas effectif puisqu’il doit encore être autorisé par la Commission européenne. Nous nous employons à faire échec à cette méga fusion qui, pour les libraires comme pour l’ensemble de la filière, présente à la fois des risques économiques et culturels.
Les promesses de développement du livre audio sont aujourd’hui clairement numériques : quel est le poids de ce format dans les librairies françaises ? La numérisation des habitudes peut-elle profiter aux libraires, dans les conditions actuelles ?
Anne Martelle : Le livre numérique et le livre audio numérique pèsent peu en librairie actuellement. Il est évident que c’est un segment que les libraires doivent occuper plus massivement pour répondre à la demande des lecteurs et ne pas laisser le champ libre aux seuls purs players. Remarquons tout de même que le développement du marché numérique reste dans des proportions limitées puisque GFK l’estime à 3 % des ventes totales de livres.
Une partie du programme des RNL s’intéresse au développement durable et à la réduction de l’empreinte carbone des librairies. Quels sont les principaux leviers identifiés par le SLF pour réduire cette empreinte ?
Anne Martelle : De plus en plus de librairies s’engagent dans des démarches écoresponsables. C’est une bonne chose, car chaque profession doit faire sa part de travail et d’amélioration. Mais, dans notre filière, 80 % de l’empreinte environnementale provient de la fabrication. C’est donc à ce niveau-là également qu’il faut agir.
Le dernier rapport de branche fait état d’une hausse de la proportion de libraires faisant état de moins de 5 ans d’ancienneté (51 %) : comment interpréter cette donnée ? Signale-t-elle un fort renouvellement de la profession, ou, au contraire, une précarisation de celle-ci ?
Anne Martelle : Si vous entendez par « précarisation », une accélération des fermetures des librairies, cela n’est pas du tout le cas, au contraire. Sur les douze dernières années, le nombre de librairies est stable. Et, actuellement, il progresse même nettement avec une vague inédite de créations.
Dossier : À Angers, les Rencontres nationales de la librairie 2022
Photographies : illustration, ActuaLitté, CC BY SA 2.0
DOSSIER - À Angers, les Rencontres nationales de la librairie 2022
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
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