John Muir (1838-1914) est aujourd’hui considéré comme un précurseur des mouvements écologistes modernes. Fils du calvinisme austère, spiritualiste et méthodique, et du transcendantalisme américain des Thoreau et autre Emerson, l’Écossais devenu américain est d’abord un exégète du sacré dans les éléments. Plus connu pour sa vie et ses hauts faits, il n’en fut pas moins un narrateur avisé et sensible de ses aventures, souvent solitaires, en bordure de la vie. Stickeen est l’une de celles-ci, avec en prime, une magnifique rencontre entre un homme et un chien, aussi pudique que délicate.
Le 22/06/2022 à 12:28 par Hocine Bouhadjera
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Publié le :
22/06/2022 à 12:28
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« Chut, n’aie crainte mon petit, lui disais-je, nous allons franchir cet obstacle ; nous nous en sortirons, même si ce n’est pas la peine. On n’arrive à rien aisément ici-bas. Il nous faut risquer notre vie pour la sauver. Au pire, nous ne pouvons que glisser, et si cela devait survenir, notre tombe ne sera-t-elle pas grandiose ? En définitive, nos vieux os bonifieront cette moraine. »
Un récit véritable et beau entre une grande figure américaine et un petit chien. Nous avons tous des angles morts à notre sensibilité. Le mien, comme pour beaucoup, est avec les chiens. Les récits d’amitié, de compagnonnage, entre un homme et son fidèle animal m’apparaissent d’une émotion rare. L’histoire du chien Hatchi en est une des plus emblématiques, quand du côté félin, on peut citer le roman, Rrrou, de Maurice Genevoix, ou le second poème du chat de Baudelaire.
Personnellement, Mon Chien Skip, adapté du roman éponyme de Willie Morris, est l’une de mes plus grandes émotions de jeunesse. Dans ces récits s’expriment toujours la loyauté absolue, et la perte qui se dessine. Et reviennent à l’esprit des regards, entre naïveté, naturel et absence de dérision.
Le « petit philosophe flegmatique »
Ce court texte allie tout ce qui fait un bon récit du genre : un homme, en l'occurrence John Muir lui-même, un animal, Stickeen, et face à eux, un grave danger où la mort n’est plus une métaphore. L’écrivain a 42 ans quand il part pour l’Alaska sauvage des années 1880, accompagné d’indiens de la région et du révérend S.H. Young, à cette époque simple missionnaire.
L’un des participants à cette expédition est venu accompagné d’un petit chien noir, râblé et métissé. Muir est d’abord définitif : emporter une bête de cette carrure, c’est la condamner. Ce petit toutou se distinguera alors par sa vaillance et sa singularité. Il est même franchement farouche, pas banal pour un chien. Indifférent, il est comme cette nature qui n’aspire qu’à l’harmonie. Une fois seulement, le « petit philosophe flegmatique » sera submergé par la peur…
Baptisé Stickeen du nom de la tribu indienne installée jusqu'en Alaska dans ces années 1880, il en est un symbole. Les séracs entérineront sa confirmation. Il est également la rivière qui remonte vers sa destination ou redescend vers son embouchure. En féal discret, il accompagne John Muir, parti seul, dans l’une de ces plus périlleuses aventures : la traversée des glaciers de l’Alaska sous les intempéries et le danger des crevasses d’où l’on ne revient plus...
« Ce petit sphinx », avec ses « yeux ancestraux », semble parfois relever plus de l’apparition que de l’animal. Une présence supra-terrestre, l’âme anthropoïde de John Muir qui l’accompagnerait de l'extérieur ? L’ange gardien du naturaliste, alors que dans la plupart des traditions, le chien est celui qui guide les défunts vers l’autre monde ? Si je peux sembler par trop « my(s)thifiant » ici, je ne suis que le reflet d'un récit qui n’est que l’expression du regard spirituel, tout en restant toujours très concret, de John Muir, sur la nature et tout ce qu’il lui arrive. « C’est par les supplices, que les chiens, comme les saints, atteignent à la perfection. »
Le préservationniste John Muir
Cette édition, portée par la maison Bartillat, offre également une cinquantaine de pages où Lucien d’Azay brosse le portrait de cet aventurier et grande figure panthéiste de l’Amérique du XIXe siècle. L’occasion d’en apprendre plus sur celui qui fut à l’initiative de la création du Parc national de Yosemite, dans les montagnes de la Sierra Nevada, ou du Sierra club, première organisation non gouvernementale écologiste de l’histoire. Elle comporte aujourd’hui environ deux millions et demi d'adhérents.
Ce borderline épanoui aurait pu être millionnaire, comme le montre Alexis Jenni dans son texte sur l’écossais, mais il aura préféré vagabonder, des chaleurs étouffantes de la montagne californienne au froid polaire des terres nordiques du continent. Kersauson résume bien la chose dans son De l'urgent, du presque rien et du rien du tout : « Le danger, c’est se confronter à la possible destruction. C’est pas automatiquement réjouissant, c’est une question de nature. »
Constructeur génial, ce sont les grandes figures du transcendantalisme américain, H.D. Thoreau et R.W. Emerson, ou des auteurs comme Thomas Carlyle, qui lui révèleront sa radicale aspiration vers l’aventure, outre sa rencontre avec les grands espaces américains. Alliage d’individualisme de la débrouille et d’un regard joyeux sur les événements. Une tradition qui se prolonge jusqu'aux mouvements hippies et beat.
Le texte est à l’image de son éducation presbytérienne : sobre en surface et exalté à l’intérieur. Les dernières pages sont d’une grande émotion, et tout le récit se lit dans la filiation des histoires de Jack London, Mark Twain ou Rudyard Kipling. De la littérature du vécu, qui n’est pas dupe de son médium. Son style est précis, non dénué de lyrisme et sans une once de prétention. Comme tous les écrivains de cette trempe, c’est également un professeur de courage et d'abnégation.
Un caractère de force tranquille, qui explique a posteriori, au sujet de cette aventure où il a frisé la fin : « Nous avons poursuivi notre chemin contre les intempéries. C’est ainsi qu’a commencé le plus mémorable de toutes les journées que j’ai passées dans les contrées sauvages. »
Mais avant tout, ce récit est celui d'une belle rencontre entre deux êtres singuliers.
Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com
Paru le 09/06/2022
116 pages
Bartillat
14,00 €
Paru le 14/04/2022
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Paru le 14/01/2009
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1 Commentaire
Forbane
25/06/2022 à 13:23
Merci pour cet article et cet hommage au grand John Muir.