« Aujourd’hui, pour les jeunes générations, je suis un homme du siècle dernier, un condensé du siècle d’anarchie révolutionnaire ; je n’intéresse qu’à titre de curiosité. Une momie dans son sarcophage voilà ce qu’est devenue la Barbe-bleue de sa province. »
Est-ce que D. A. F. Sade n’intéresse qu’à titre de curiosité comme l’écrit Marie-Paule Farina, philosophe et essayiste, auteure de ce livre publié aux Éditions des instants (avril 2022), Voilà comme j’étais.Autobiographie posthume de SADE ?
Sade (1740 – 1840) semble plutôt être un fait de société, et ce depuis les années 1760. La question qu’on ne lira pas dans ce livre, mais qui pourtant revient à toutes les pages est, pourquoi ?
Voilà comme j’étais, en plus d’être une autobiographie plus ou moins fictive remarquablement bien écrite, est un livre historique fort intéressant, qui, que l’on fasse partie des partisans ou non de Sade, pose d’excellentes questions ?
Qu’est-ce qui effrayait tant chez le marquis de Sade et effraie toujours ?
Le fait qu’il était un libertin notoire ? Je ne vous en dresserai pas la liste, mais ils et elles étaient nombreux et bien avant la naissance de notre homme.
Le fait qu’il aimait la jeunesse pour assouvir ses besoins ? Si aujourd’hui cela choque à juste titre, ça n’était pas le cas à l’époque et nos générations le savent. Louis XIV a été dépucelé par Catherine Bellier dite Cateau la Borgnesse à… 14 ans (l’âge adulte pour un roi). On organisait pour Louis XV des parties fines au tristement fameux Parc-aux-Cerfs à Versailles. Le Roi vieillissant y couchait avec des jeunes filles, 14 à 15 ans également, pas particulièrement par goût, paraîtrait-il, mais parce qu’il avait très peur d’attraper des maladies vénériennes. De façon générale, on estimait que dès qu’un enfant était pubère, il devenait adulte. Donc, hélas, ça n’est pas non plus pour cela que la mauvaise réputation de Sade n’est plus à faire.
Ces affaires de mœurs alors ?
L’Affaire d’Arcueil par exemple, où il arrêta une mendiante dans la rue, lui proposa de l’embaucher et au lieu de cela la força à se déshabiller et la fouetta. La pauvre réussit à s’enfuir, promit de ne pas parler contre 3000 livres en écus. La justice fut néanmoins saisie, la presse raconta l’histoire, puis l’histoire vécue seule au point où arrivée en province, Sade n’avait plus fouetté, mais lacéré Madame Keller et disséqué des femmes vivantes qu’il aurait ensuite enterrées dans son jardin. Thèse que reprend Michel Onfray pour affirmer que D. A. F. Sade était un meurtrier, mais hélas le philosophe omet de citer ses sources.
L’historien Maurice Lever en parle aussi, dans sa biographie récemment passée en format poche chez Tallandier, mais avec plus de prudence, au conditionnel : « Les ossements trouvés dans son jardin ? La Du Plan en avait orné un cabinet, par plaisanterie, et les avait ensuite déposés là. Sur ce dernier point, il ne ment qu’à moitié ; ces ossements servaient probablement de décor aux priapées de La Coste, afin de terroriser les fillettes : Sade se plaît à mêler le macabre et l’érotique, et ne déteste pas susciter l’effroi chez ses jeunes compagnes. » Il aurait également été un empoisonneur. À Marseille, il fut condamné par contumace pour avoir cherché à empoisonner une prostituée en lui donnant « des mouches cantharides ».
Si Sade a bien utilisé cette poudre de cantharide, ça n’était pas pour empoisonner la malheureuse, mais pour ses vertus, connues depuis l’Antiquité. C’est une nouvelle fois Maurice Lever qui nous éclaire grâce au docteur Pierre Flottes qui lui en expliqua le mécanisme : « cette molécule aux propriétés vésicantes [irritantes] et aphrodisiaques hautement toxiques » permettait de provoquer des spasmes au niveau des muqueuses urogénitales et anales. J’imagine qu’il n’est pas nécessaire d’expliciter ici que ça n’était pas l’empoisonnement de sa victime que recherchait Sade… Ce qui ne le rend effectivement pas nécessairement plus sympathique.
Mais est-ce cela que les sociétés d’hier et d’aujourd’hui lui reprochent ?
Faut-il vous rappeler qu’en 1757 (Sade avait 17 ans), Damiens qui avait tenté d’assassiner Louis XV et ne fit que l’égratigner fut torturé pendant des heures place de Grève devant une foule immense. Les balcons sont loués pour pouvoir voir le spectacle. Beau spectacle en vérité : seize bourreaux qui lui ont mis des tenailles aux tétons, aux bras, aux cuisses, sa main (celle qui tenait le couteau pour tuer le Roi) est brulée au feu et là où les tenailles étaient, du plomb fondu, de l’huile bouillante, de la poix, de la cire et du soufre sont coulés. Il ne s’agit pas là d’une histoire de torture sortie d’un des livres de Sade, il s’agit de la réalité.
Que dire aussi du martyre de Madame de Lamballe en 1792 : « Un perruquier du nom de Charlat, tambour des volontaires, lui ôta son bonnet du bout de sa pique et la blessa légèrement, tandis qu’un autre égorgeur lui jetait une bûche dans les reins. La princesse tomba et fut criblée de coups. On lui ôta ses vêtements ; elle resta ainsi près de deux heures exposée, nue, à la risée lubrique de la foule. On la traîna ensuite jusqu’à la borne située à l’angle des rues du Roi-de-Sicile et des Ballets, sur laquelle on appuya sa tête qu’un nommé Grison scia avec son couteau et mit au bout de sa pique. Le perruquier Charlat lui ouvrit la poitrine, lui arracha le cœur qu’il plaça au bout de son sabre, tandis que suivirent d’autres mutilations obscènes et sanguinaires » (Dictionnaire historique des rues de Paris de Jacques Hillairet — Ed. Minuit - Tome 2, p. 359, cinquième édition du Dictionnaire, impression mars 1973)
Ainsi je peux me tromper, mais je pense que ces personnes, qui se ruaient pour voir tomber les têtes, n’étaient pas tout particulièrement choquées par les tribulations de Sade, ni même par ses écrits… pour peu qu’elles sachent lire.
Aujourd’hui bien sûr les raisons des procès de Sade choqueraient, mais si Sade est bien connu pour ses livres, sa vie — et donc les affaires d’Arcueil, de Marseille ou encore celle dite « des petites filles » — est, elle, très méconnue.
Ce qu’on ne pardonne pas à Sade, et que Marie-Paule Farina laisse deviner dans ce livre, je le répète, magistralement bien écrit, c’est d’avoir mis tout cela par écrit : la pornographie ; la pédopornographie ; la violence dans l’acte sexuel pour ne pas dire la torture et qui porte aujourd’hui le nom de sado-masochisme ; le blasphème… et la liberté de penser.
Il a eu l’outrecuidance de mettre par écrit jusqu’où la nature humaine était capable d’aller dans la perversion. Demandez-vous pourquoi l’on rougit plus de lire une biographie de Sade en public qu’une biographie d’Hitler ?
Un livre à lire non pas pour réhabiliter et encore moins pour absoudre cet homme, mais pour essayer d’entrevoir comment une société peut « jouer » sur le psychique d’une personne. Un livre à lire enfin tout simplement pour la qualité d’écriture de son auteure !
Paru le 07/04/2022
280 pages
Editions des Instants
19,00 €
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