Michel Bussi : “Dans 10 à 30 ans, nous aurons une dette à payer envers les immigrés”
À Darnétal, dans l'Eure, le jeune Adama Ballo risque l'expulsion du territoire français. Arrivé en France en 2018 en fuyant la guerre au Mali, il reçoit aujourd'hui le soutien d'une grande partie de la population, mais aussi d'élus et d'habitants plutôt célèbres de Darnétal, dont Michel Bussi. Pour l'auteur, qui porte, depuis plusieurs années, un fort engagement en faveur de politiques plus favorables à l'accueil des réfugiés, la situation spécifique d'Adama est « incompréhensible ».
Le 10/06/2022 à 18:02 par Clémence Leboucher
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Publié le :
10/06/2022 à 18:02
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Adama Ballo, jeune Malien de 20 ans a fui, après un long périple, un pays en guerre pour rejoindre la France. Recueilli par les services sociaux, il voyagera jusqu'à Rouen, avant de s'installer à Darnétal. Après un apprentissage dans une boucherie, son patron, Irwin Lafilé, l'engage en CDI. Bien installé, intégré, Adama reçoit pourtant, début mai, une OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français).
À LIRE: le jeune Malien Adama Ballo menacé d'expulsion
Selon la préfecture, la situation du jeune homme n'est pas correctement régularisée – une demande de visa au long cours devant s'effectuer à partir du pays d'origine, et son acte de naissance étant, d'après les services administratifs, contrefait. Adama doit donc retourner au Mali pour effectuer cette demande et espérer, en cas de réponse favorable, une installation à long terme en France. Toutefois, son départ met en danger la survie de la boucherie : son patron, Irwin Lafilé, s'est donc engagé, grâce à des pétitions et appels dans la presse et aux élus locaux, à aider son employé à rester en France.
Une situation qui rappelle celle de Laye Fodé Traoré, apprenti boulanger guinéen qui avait également reçu, en 2021, une OQTF : son patron, Stéphane Ravacley, avait alors entamé une grève de la faim pour soutenir son apprenti.
Une situation "absurde"
Si la boucherie d'Irwin Lafilé est bien connue des habitants de la commune, elle l'est aussi de Michel Bussi, écrivain à succès dont les nombreux ouvrages caracolent régulièrement en tête des ventes. « Je le voyais régulièrement en boutique. Les habitants de Darnétal connaissent bien Adama. Quand nous avons appris la nouvelle, nous sommes tombé des nues », nous explique-t-il par téléphone.
Si Adama avait, selon l'OQTF, jusqu'au 8 juin pour quitter la France, son avocat a interjeté appel, le tout conjugué à une mobilisation de la Métropole de Rouen. Un délai de 3 mois, avant un nouvel avis du tribunal administratif, donne donc un sursis au jeune Malien et à la boucherie. Pour le romancier, la situation est ambivalente : « Adama coche toutes les cases de l’intégration : il a toujours été dans la légalité. Il a reçu de l’aide des services administratifs, est en CDI, il paye ses impôts. Forcément, il lui manque des papiers : quand il est arrivé, il était mineur, il n'allait pas embarquer un dossier complet avec lui. »
Le blocage administratif serait caractéristique de ce genre de situation, avec des services étatiques plus ou moins tatillons : « Cela concerne la condition générale des migrants : c’est toujours très compliqué administrativement », explique-t-il à ActuaLitté. L'objectif, à ce jour, est que la situation d'Adama soit régularisée sans qu'il ne décolle de France, permettant au commerce de poursuivre son activité mais aussi, comme l'écrit Nicolas Mayer-Rossignol dans un courrier, de résoudre une situation « absurde ».
Une bruyante rhétorique anti-immigration
L'auteur de Nouvelle Babel (Presses de la Cité) n'en est pas à son premier soutien médiatique envers les réfugiés : dans On la trouvait plutôt jolie, paru en 2017, Michel Bussi contait l'histoire de Leyli, incarnation de toutes les femmes et de tous les hommes prêts à risquer leur vie pour s’échouer sur les rives faussement séduisantes de l’Europe. Dans Nouvelle Babel aussi, on voyage : Rio, Kazakhstan, Himalaya, Birmanie... Pourtant, selon lui, le cas d'Adama diffère de ses engagements politiques : « Ici, même ceux qui ne sont pas favorables, en temps normal, à ce genre de politiques, devraient être en accord avec nos revendications. C'était un mineur isolé : il y avait, en France, un devoir de protection. Heureusement, là-dessus, il n'y a pas de débat ! »
Toutefois, de manière plus générale, l'écrivain se dit en désaccord quasi-constant avec les politiques gouvernementales actuelles en matière d'immigration. Donateur caricatif régulier pour l'Association SOS Méditerranée, qui agit pour mettre fin aux naufrages en pleine mer, il assure « ne pas comprendre qu’on puisse entraver leur action ».
« Je pense que dans 10 à 30 ans, nous aurons une dette à payer envers l’histoire et envers les immigrés. Comment peut-on tolérer les noyades, ruiner les espoirs de ceux qui espèrent simplement une vie meilleure ? », questionne-t-il, ajoutant d'ailleurs que le plus gros succès de l'histoire du cinéma, Titanic, est aussi un film sur des migrants, européens cette fois. « Mais l’opinion publique, de plus en plus marquée contre l’Islam, ne facilite pas des politiques favorables à l’immigration. »
S'il n'a pas prévu, pour le moment, d'autre ouvrage portant sur ce sujet « très clivant », Michel Bussi oppose régulièrement la vision médiatique portée sur l'immigration et les cas plus personnels. « Je ne connais personne qui, s’il faisait face à une personne en train de se noyer, s’empêcherait de lui tendre la main afin de la sauver. Mais la peur est alimentée par la vieille rhétorique, "On ne peut pas accueillir toute la misère du monde". Il faut quand même rappeler que 80% des migrants partent dans des pays pauvres, et près de chez eux - ils ne viennent pas tous en France… »
L'auteur rappelle d'ailleurs que les économistes ont prouvé, à de nombreuses reprises, que l'arrivée de migrants en France est bénéfique pour l'économie. « Parfois, il faut aussi savoir être rationnel. Dans tous les cas, on ne pourra jamais tuer l'espoir, leur espoir, qui sera toujours présent dans la nature humaine. »
Du côté d'Adama, en tout cas, l'espoir va bon train pour que sa situation soit régularisée en France. Dans l'attente du jugement du Tribunal Administratif, qui sera donc rendu en septembre, son histoire a été largement partagée par les médias normands et nationaux. De quoi rassurer les habitants de Darnétal, mais aussi, comme le souhaite Michel Bussi, de « commencer à réfléchir pour organiser les choses autrement - et conjuguer humanité, protection et soutien ».
Crédits : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Nouvelle Babel
Paru le 03/02/2022
446 pages
Presses de la Cité
21,90 €
On la trouvait plutôt jolie
Paru le 04/10/2018
544 pages
8,50 €
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5 Commentaires
David
10/06/2022 à 22:26
La commune de Darnétal se situe en Seine-Maritime.
SamSam
11/06/2022 à 10:56
Deux raisons pour moi de commenter...
J'adhère aux propos de M. Bussy, d'autant plus que l'indignation actuelle n'a rien de hasardeux, ni de réellement populaire. Elle fait partie de cette transformation médiatique aux forceps qui nous impose des médias d'extrême-droite, à l'instigation des milliardaires qui les possèdent, eux-mêmes au travail idéologiquement pour l'Occident.
Occident était le nom, dans les années 70, d'un groupuscule néo-nazi violent, une sorte d'Azov français. Ce monde de l'extrême-droite (néo) nazie, français ou ukrainien, a des tropismes invariants. Notamment la détestation des immigrés et du communisme. Ce n'est donc pas un hasard si l'indignation contre les arabes, et autres basanés envahisseurs, y est bruyante et permanente. Comme la russophobie, qui est la même chose exprimée en termes carrément belliqueux, avec les discours anciens du fascisme antique - "la fleur au fusil" - , qui reviennent, encore et encore, contre les sous-hommes, barbares et envahisseurs, hordes russes menées par un fou mégalomane. Essence répétée sans cesse sur le tapis de propagande de haine/guerre nommé BFM, Cnews, LCI, FranceTVInfo...
Deuxième raison, je connais Darnétal, banlieue anciennement ouvrière, où le déclin se calfeutre derrière derrière les murs gris et les devantures closes.
Aradigme
11/06/2022 à 11:57
L'auteur écrit: "« Je pense que dans 10 à 30 ans, nous aurons une dette à payer envers l’histoire et envers les immigrés".
C'est une constante de l'histoire. Les peuples qui ont mené une invasion avec succès, quelle que soit la méthode, ont toujours ensuite exigé des taxes, des excuses et des marques de soumission de la part des peuples envahis qui n'avaient pas su défendre l'accès à leurs terres.
Considérez par exemple les Saxons qui n'avaient pas su rejeter à la mer les troupes de Guillaume le Conquérant en 1066. Des siècles, plus tard, la distinction entre Normands et Saxons demeurait vive dans la société et les Normands occupaient tous les postes importants en Angleterre. Cette distinction s'est même marquée dans le language. En anglais, le porc qui vit dans les prés se nomme "pig", un vocable saxon, tandis que le porc dans l'assiette se nomme "pork" un vocable français, langue des Normand. Cela démontre bien les relations qui existaient entre envahisseurs et envahis. Les Saxons gardaient et engressaient les porcs que mangeaient les Normands. Robin des bois est avant tout un héros qui a pris la défense des Saxons opprimés, près de deux siècles après la bataille de Hastings.
Yahin BRUIH
13/06/2022 à 14:34
Vous seriez tellement urbain si vous aviez l'exquise amabilité de bien vouloir me transmettre les références de l'ouvrage, ou tout du moins les sources, qui attestent et prouvent l'existence historique de Robin des bois.
Auriane
13/06/2022 à 20:26
C'est un étrange exemple que vous choisissez pour soutenir vos théories. Les Saxons, peuple germanique, sont originaires des alentours du Jutland (encore qu'ils venaient évidemment d'ailleurs avant cela, comme toute population humaine.) Avec d'autres peuples germaniques, des populations saxonnes se sont par la suite installées en Grande-Bretagne où vivaient les Bretons insulaires, des celtes romanisés, qui se sont alors installés, entre autres, en Bretagne.
Mes sources (rien de très prestigieux, trois articles de Wikipedia) laissent donc deviner des identités culturelles complexes et des mouvements de population constants. Mais puisque pour vous les migrations causées en général par la nécessité sont des invasions, peut-être devriez-vous vous résigner à ce que l'histoire est partout une succession d'envahisseurs.
Par ailleurs, un autre article Wikipedia explique que le personnage fictif de Robin des Bois est devenu un rebelle saxon dans la littérature du XIXe siècle.