Vie privée et quête d’identité : quand écrire se fait de façon anonyme

Ils sont nombreux les prétendants à vouloir connaître le succès littéraire pour se faire un nom dans le Panthéon des lettres françaises. Pourtant, à travers les siècles, d’autres ont fait le choix d’une forme d’anonymat. La posture d’auteur, et la revendication de la paternité d’une œuvre ne vont pas toujours de soi.

Le 08/06/2022 à 10:22 par Victor De Sepausy

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08/06/2022 à 10:22

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Quand on pense à l’art, on pense souvent à éternité. Écrire, comme peindre ou exceller dans d’autres arts, serait une façon pour l’être humain de défier le temps. Le genre du tombeau poétique a connu de beaux jours, en s’inscrivant dans cette veine. La célèbre Ballade des pendus de François Villon serait à ranger dans une longue série, même si l’œuvre se signale par une grande originalité. 

Et, parfois, la disparition d’un grand poète a donné lieu à la publication d’un recueil de poèmes. C’est ainsi que le Tombeau de Théophile Gautier réunit plus de quatre-vingt poètes, dont Victor Hugo ou encore Anatole France. Il s’inscrivait dans une longue tradition, dans laquelle on retrouve le recueil Tombeau de Marguerite de Navarre, avec des grands noms de la Pléiade qui signe là quelques belles pièces. 

Prendre la plume pour louer quelqu’un est une façon pour l’écrivain d’entrer dans un jeu de miroir où chacun peut bénéficier de l’aura de l’autre. Si l’écrivain peut être quelque peu inconnu et s’effacer derrière le grand nom célébré, le contraire peut aussi se présenter. Et la Laure de Pétrarque ne doit d’être conservée dans la mémoire collective que parce qu’elle a été chantée par le poète italien…

Alors qu’on serait marquée par une volonté de tous d’accéder à une certaine gloire, avec un culte de la mise en avant de soi, l’anonymat est-il en voie de disparition ? Rien n’est moins certain. Avec le développement massif d’Internet, l’anonymat est aussi recherché par certains. Cela peut passer par l’usage de VPN, tel surfshark.com, que l’on se sente une âme d’artiste ou pas. Mais, les stratégies sont plurielles. Dans un univers où la transparence semble absolue, des succès de librairie sont attribués à des plumes dont on ne sait pas grand-chose. 

Ce fut longtemps le cas d’Antoni Casas Ros, qui vivrait aujourd’hui à Barcelone. Après avoir été défiguré à la suite d’un accident de voiture, il a décidé de s’enfermer dans une certaine solitude. Son premier roman, à teneur autobiographique, Le théorème d’Almodovar, a connu un grand succès. Mais l’écrivain a su rester presque anonyme, fuyant l’exposition médiatique. 

L’ouvrage publié en France sous le titre Le Livre sans nom a aussi beaucoup fait couler d’encre. Publiée d’abord sur une plateforme d’auto-édition, l’œuvre a attiré l’œil d’éditeurs traditionnels. Sorti en 2010 en France chez Sonatine, ce curieux roman policier fantastique a connu un certain succès. Pourtant, l’identité de son auteur reste toujours très mystérieuse… 

Entre anonymat, quête d’identité ou de gloire, la création littéraire oscille à travers le temps. Se revendiquer auteur d’une œuvre n’est pas toujours allé de soi. Il s’agissait souvent de s’inscrire dans la suite d’une longue lignée, dans le cadre d’une inspiration collective, dans des travaux de réécriture. De nombreux auteurs du Moyen Age ne nous sont donc connus que par un prénom, voire une ville qui leur est associée. Et Chrétien de Troyes, malgré sa célébrité reste bien mystérieux, même si l’on tire de son œuvre parfois un peu facilement des éléments biographiques. 

Au XVIIème siècle, quand on appartient à la noblesse, il n’est pas de bon ton de se revendiquer publiquement auteur d’une œuvre littéraire, quand bien même cette dernière connaîtrait un vif succès. Pensons aux critiques que Molière, dans Le Misanthrope, s’amuse à mettre dans la bouche d’Alceste face à Oronte venu lui demander son avi sur un sonnet de sa composition : « Et qui, diantre ; vous pousse à vous faire imprimer ? / Si l'on peut pardonner l'essor d'un mauvais livre, /Ce n'est qu'aux malheureux, qui composent pour vivre. » Un gentilhomme ne doit pas s’abaisser à faire le vil métier d’écrivain. Et Madame de Lafayette publia toutes ses œuvres de façon anonyme. 

Dans la galaxie littéraire, on aime d’ailleurs à se trouver un nom de plume, plutôt que d’utiliser le sien propre. Il suffit de citer Molière, Voltaire, Céline, Stendhal pour en avoir le cœur net. En même temps que l’on invente des mondes nouveaux, un style inimitable, on se forge donc une identité distincte de celle de la trivialité du quotidien. 

On peut même changer de nom selon l’inspiration et les publications, comme le fit Romain Gary, usant de nombreux pseudonymes, arrivant même à être célèbre aussi sous le nom d’Émile Ajar. Nabokov, qui navigua entre le russe, l’anglais et le français, changea aussi d’identité selon les langues de publication. 

Crédits illustration Pexels CC 0

 
 
 
 

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