ABF2022 — L'Association des Bibliothécaires de France organise son premier congrès en présentiel, après deux années chahutées par la pandémie de coronavirus. Cette 67e édition, qui prend place à Metz, pose à nouveau une question qui fâche : « Les bibliothèques sont-elles indispensables ? » Début de réponse, voir plus, à l'occasion d'un entretien avec la présidente, Hélène Brochard, et le conseil national de l'organisation.
Le 02/06/2022 à 08:00 par Antoine Oury
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02/06/2022 à 08:00
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ActuaLitté : L'ABF questionne « Les bibliothèques sont-elles indispensables ? » à l'occasion de son congrès. Pour quelle(s) raison(s) l'utilité des bibliothèques semble-t-elle toujours être remise en cause, et doit-elle toujours être rappelée ?
Association des Bibliothécaires de France : En premier lieu, la récente période a prouvé l’engagement des bibliothèques et de leurs associations (biblio-covid, réflexion et recherches sur la quarantaine, participation aux discussions techniques et administratives de réaménagements et de réouverture…) afin de rester le plus ouvert possible et dans les meilleures conditions pour tous et toutes.
Hormis une courte interruption, les bibliothèques territoriales ont eu le droit d’ouvrir au public dès le mois de mai 2020, en cela, on pourrait estimer que leur utilité a été reconnue. Ce qui est certainement moins connu, et moins visible, c’est davantage la multiplicité de leurs services, la polyvalence et l’évolution du métier, leur place dans les politiques publiques, l’aménagement du territoire et leur rôle auprès des publics dans toute leur diversité, qu’ils soient étudiants, précaires, adolescents ou non francophones par exemple…
2021, c’est aussi l’année du vote de la loi Robert, une étape importante et inédite dans notre pays. Cette Loi définit non seulement les missions des bibliothèques territoriales d’une manière suffisamment ouvertes pour permettre toutes les évolutions qui seraient nécessaires afin de rendre un service adapté aux besoins des habitants, mais aussi sécurise l’accès libre aux bâtiments et aux activités, la pluralité des collections dans le cadre d’une politique documentaire porté à la connaissance des décideurs et prévient toute forme de censure.
La profession estime-t-elle que la politique du gouvernement pendant les mois les plus difficiles de la crise sanitaire a participé à cette remise en cause de l'importance des établissements ?
ABF : La profession regrette, dans l’absolu, le peu de visibilité des médiathèques dans l’espace public et médiatique. Alors que les médiathèques sont le premier service public culturel de proximité, on ne peut que remarquer qu’elles sont peu visibles et valorisées.
Concernant plus particulièrement la crise sanitaire, les bibliothèques n’ont pas été les plus touchées : parmi les premiers équipements à ouvrir en 2020 (pour les bibliothèques territoriales), puis autorisés à accueillir du public lorsque tous les autres équipements culturels étaient fermés. Cela s’est fait au prix d’efforts de la part des équipes, d’adaptations successives, rapides, mais nous avons su prouver que nous savions nous adapter et mobiliser les énergies pour poursuivre du mieux possible nos missions, les bibliothécaires sortent épuisés de cette période mais peuvent être fiers d’avoir tenu bon et avoir continué à accueillir du public du mieux possible depuis mai 2020.
L’instauration du pass sanitaire a été très difficile, nous avons eu le sentiment que la spécificité des bibliothèques n’était pas prise en compte, à l’inverse d’autres types de services, en l'occurrence commerciaux, et ce contrôle d’accès à l’entrée est apparu comme totalement antinomique avec la volonté de proposer des services libres, gratuits et ouverts à tous et à toutes. Pourtant, c’est bien ce service non commerçant, constamment ouvert, constamment réaménagé pour une meilleure offre possible compte tenu des circonstances, qui a continué à « ouvrir plus, ouvrir mieux » malgré le contexte.
Inscriptions perdues, organisation d'événements empêchée... La crise sanitaire a eu un impact assez lourd sur l'activité des professionnels et des établissements : comment l'ABF les accompagne-t-elle dans la reconquête des publics ?
ABF : Nous avons perdu du public, mais comme les cinémas ou les théâtres et c’est un nouveau défi à relever désormais.
L’association reprend ses actions, à l’échelon local et national, depuis quelques mois. Il faut nous remobiliser dans un premier temps, prendre le temps de nous retrouver, d’échanger et de partager des idées et des pratiques.
À l’échelon régional, les temps de rencontres ABF ou journées d’étude sont autant de moments où le sujet est abordé.
À l’échelon national il y a ce congrès pour commencer, le premier en présentiel depuis deux ans, et la poursuite du travail mené en lien étroit avec les différents partenaires, les associations... Il faut nous questionner, alimenter notre réflexion, partager nos interrogations et c’est grâce au collectif que les collègues garderont l’énergie nécessaire pour ce nouveau défi. En même temps, si l'issue de la crise sanitaire est une situation exceptionnelle, aller à la conquête des publics ne l’est pas vraiment pour les bibliothécaires, c’est une attention constante même en dehors de ce contexte particulier. Alors, le défi est peut être complexifié par ces deux dernières années, mais finalement pas si « nouveau » que ça…
L'élargissement des horaires d'ouverture des bibliothèques territoriales devrait, a priori, se poursuivre lors du deuxième quinquennat d'Emmanuel Macron : l'ABF a-t-elle obtenu des garanties de l'État quant au maintien des aides aux collectivités au-delà de la limite des cinq années prévues ? Sans ce maintien, l'effort sera-t-il soutenable sur le long terme ?
ABF : Il est encore tôt, dans le calendrier électoral, pour avoir des assurances sur les 5 ans à venir. Néanmoins, la question des horaires d’ouverture reste effectivement un enjeu pour les prochaines années.
Les aides ont permis à la fois aux bibliothèques de s’équiper en matériel (automates de prêts, boîtes retour...) et en accompagnement au niveau des ressources humaines. L’ABF reste favorable à un élargissement des horaires d’ouverture, mais vigilante sur les moyens nécessaires à leur mise en place, on connaît les difficultés RH traversées par de nombreux services, il serait contre-productif « d’ouvrir plus pour ouvrir moins bien » et cela ne doit pas se faire au détriment de la qualité du service public et des conditions de travail des collègues.
L'ABF milite pour une gratuité des services des bibliothèques : comment convaincre les collectivités réticentes ? Les obstacles sont-ils uniquement politiques ?
ABF : La gratuité des services en bibliothèque existe déjà pour l’accès aux locaux, aux services sur place et aux animations notamment. La bibliothèque est d’ailleurs le seul service public librement accessible et avec des horaires d’ouverture souvent assez larges en comparaison des autres. Cette gratuité d’accès a d’ailleurs été confortée par la loi Robert (articles 2 et 3).
Ce sur quoi milite l’ABF depuis longtemps c’est la gratuité d’inscription, c’est à dire la gratuité de disposer d’une carte permettant d'emprunter des documents ou des objets. C’est l’un des plaidoyers inscrits dans la feuille de route de ce nouveau mandat. Cette campagne d’advocacy, « La bibliothèque gratuite, on a tout à y gagner », commence juste et prendra toute sa dimension à l’automne. Nous aurons l’occasion d’en reparler. Les obstacles sont majoritairement auprès des décideurs (élus, direction culturelle ou direction générale) autour de deux axes principaux : ce qui est gratuit n’a pas de valeur et la nécessité d’apporter des recettes au regard du coût de la bibliothèque.
Tous nos arguments sont synthétisés ici, et nous pouvons apporter quelques premières réponses aux décideurs :
La gratuité… rend plus efficient le service public (plus de fréquentation et plus d’inscriptions pour les mêmes coûts fixes de fonctionnement)
La gratuité… ouvre et facilite l’accès de tou.te.s les habitant.e.s à l’information ainsi qu’à une offre culturelle riche et diversifiée. C’est plus de public et c’est moins discriminant en dépit des tarifications sociales parfois mises en oeuvre.
Dans un courrier au président, vous évoquez l'amélioration du maillage français en matière de bibliothèques : comment l'ABF imagine-t-elle le renforcement de ce maillage ? Faut-il construire de nouveaux équipements ou plutôt aménager des points de lecture publique dans des espaces préexistants et ainsi partagés ?
ABF : Il n’y a pas de réponse magique ou toute faite, le maillage doit être rendu plus efficace par la mise en réseau, mais chaque territoire est différent, chaque solution doit être proposée en regard du contexte, des publics, du maillage territorial existant...
Un rapport de l’Inspection des bibliothèques, datant de fin 2015 et qui pourrait être actualisé, a mis en lumière la nécessité d’améliorer ce maillage : « 55 % des communes, représentant plus de 11 millions de personnes soit 17 % de la population française, ne disposent d'aucun lieu de lecture publique. » Ce même rapport soulignait l'inadaptation criante de certains équipements existants soit sous-dimensionnés au regard de la population à desservir ou encore obsolètes à cause de l’évolution des services à rendre.
Même si des efforts ont été faits depuis 2015, la France a donc à la fois besoin de rénover certains équipements, mais aussi d’en construire de nouveaux, que ce soit en propre ou dans des espaces partagés avec d’autres services publics ou associatifs à condition que cela se fasse dans le cadre d’un projet coconstruit et partagé.
Le numérique en bibliothèque donne l'impression de faire du sur-place depuis quelques années : comment analysez-vous l'évolution de l'offre et des tarifs proposés aux bibliothécaires ? La crise sanitaire a révélé des problématiques de budget, sont-elles insolubles ?
ABF : Au contraire, les confinements ont fait exploser l’utilisation des ressources numériques et les bibliothécaires ont (enfin !) fait de la médiation numérique souvent de manière très innovante !
Ceci dit, les conditions d’accès par les éditeurs aux bibliothèques doivent pouvoir évoluer vers plus d’accessibilité et de “souplesse”, Réseau Carel y travaille !
Nous voyons également que les bibliothèques continuent de faire évoluer leurs offres de service: jeux de société, podcast, jeux vidéo, réalité virtuelle, Fablab, le panel est large.
De même, en développant l'éducation aux médias et à l'information, les bibliothèques contribuent à rendre les citoyens autonomes dans la société numérique, un rôle d'accès à l'information qui a été conforté là encore par la loi Robert.
Bénévolat et réforme des statuts des concours occuperont l'actualité des métiers des bibliothéques dans les prochains mois : quels sont les liens entre ces deux pôles, que l'on oppose parfois ?
ABF : Les bénévoles en bibliothèque sont un phénomène de la ruralité sur laquelle l'Inspection générale a récemment fait le point dans un rapport. Leur accompagnement, notamment en termes de formation, est important et essentiel, mais sans leur participation, bon nombre de petites bibliothèques rurales ne pourraient ouvrir.
Le salariat, par ailleurs, est plutôt en progression grâce à la coopération intercommunale en particulier dans les fonctions de coordination ou direction de réseau.
La réforme des statuts et concours, sur laquelle l’ABF est engagée et participe, est un dossier important des mois à venir, mais n’a pas de lien direct avec la question du bénévolat.
Dossier : Congrès 2022 de l'ABF : indispensables, les bibliothèques ?
Photographie : bibliothèque d'Ornans, Bourgogne-Franche-Comté (illustration, Lapichon, CC BY SA 2.0)
DOSSIER - Congrès 2022 de l'ABF : indispensables, les bibliothèques ?
10 Commentaires
koinsky
03/06/2022 à 07:02
Non mais sérieusement, vous avez déjà foutu les pieds dans une bibliothèque ? Ça sent la naphtaline, l'EPAHD et la couche à plein nez ! Personne dans les travées des romans. Les quelques personnes présentent sont réparties entre le rayon presse/magazines, le rayon DVD et le rayon mangas, donc a plus une bibliothèque mais un kiosque à journaux et une DVDthèque.
Quand tu rentres dans une bibliothèque, déjà C'est chiant : Les gens sont sérieux comme des papes, on a l'impression de franchir le pas d'un monastère rigoriste. Je sais pas moi, faites quelque chose, la bibliothèque est morte depuis longtemps car ses hôtes sont morts et ses visiteurs morts-vivants ou nouveaux-nés.
CaptainBN
03/06/2022 à 11:53
Totalement.
Dans celle ou je travaille, on n'organise jamais rien. Quelques dizaines de milliers d'euros d'animations par ans, tout au plus. Une journée thématique tous les mois, environ. Dernièrement sur l'histoire, les jeux vidéos, ou des mois entiers d'animations journalières sur des thèmes donnés.
Du reste, tous le monde est coincé. La moitié des bibliothécaires sont tatoués, on vois des T-shirts geek, des dock Martens, on entends du rap, de la techno et du métal au rayon CD-DVD.
Et les enfants ne viennent pas ! J'ai du arrêter une bataille d'eau dans les rayons l'été dernier et des cache-cache presque tous les mois et on fait des accueils de classe tous les jours en dehors de horaires d'ouverture.
Rien pour s'amuser, juste une ludothèque qui brasse de la centaine de personnes par jours le weekend. Un projet de proposer une offre de jeux vidéo.
Pas d'offre numérique en dehors de la quarantaine de PC publics dont la moitié est utilisé a tous moments et des imprimantes dans lesquelles on passe notre temps a remettre du papier.
Sinon, personne ne viens emprunter des livres : A peine cinq cent a mille prêts par jours !
Affolant. Les bibliothèques sont mortes !
Emerence
03/06/2022 à 12:00
Est-ce que votre commentaire est une blague ?? Je n'en crois pas mes yeux à vous lire, où vivez-vous ? Dans quelle ville se situe ce genre de bibliothèque aussi vieillotte ?
J'habite dans une petite ville de province, une nouvelle bibliothèque a été construite, elle est grande, spacieuse, lumineuse, les employées sympathiques, il y a de tout : magazines, espace enfants, romans adultes et jeunesse, BD et mangas, CD et DVD, et beaucoup de nouveautés, sans parler des ressources numériques auxquelles les abonnées ont droit. Il y a toutes sortes d'abonnés qui y viennent : enfants et adolescents, adultes en famille ou plus âgés.
À croire que vous voulez juste provoquez une réaction, ou peut-être n'y avez-vous pas mis les pieds depuis un certain temps …
Une bibliothécaire
03/06/2022 à 13:18
Peut-être que ça fait longtemps que vous n'êtes pas allé dans une bibliothèque... D'ailleurs on ne peut pas faire de généralités. Ce n'est plus "les bibliothèques" ou "les médiathèques", mais "des médiathèques" qui ont chacune leurs spécificités.
Dans la mienne, ça sent la lumière, c'est accueillant et on ne dit pas "chhhhht !" aux lecteurs en fronçant les sourcils derrière nos lunettes :)
Plus sérieusement, le sujet des bibliothèques est si vaste qu'il est impossible, comme pour beaucoup de sujets, de généraliser. Dire "faites quelque chose" c'est inutile : certains font, d'autres non. C'est la décentralisation qui veut cela.
rez
03/06/2022 à 14:41
2 choses qu'on découvre: vous avez compris que le facteur humain a fait faillite et vous n'allez jamais en bibliothèque (peut-être dans une très malheureuse).
rez
03/06/2022 à 14:42
jamais une remise en question... avec une ABF qui veut se positionner en syndicat en même temps, la manque de vocation métier et de qualité humaine ne sont jamais pointés du doigt. Et on se retrouve avec des moyens matériels et financiers que même si insuffisants, ne sont pas vraiment exploités.
Le hachoir
10/06/2022 à 11:15
Je ne prends pas au sérieux votre diatribe. De deux choses l'une : soit vous ignorez totalement les bibliothèques (qui s'orientent malheureusement vers le modèle des parcs d'attraction... au grand dam des publics), soit vous êtes un crypto-idéologue du "tiers lieu" qui, pour les besoins de sa cause, se complaît dans le dénigrement de ceux qui ne communient pas dans leur vision niaise et bobo des bibliothèques. Vous êtes navré de rencontrer un personnel sérieux ; vous désirez quoi : des GO de Galawinda, des animateurs de jeux télévisés, des agents d'ambiance, des DJ ? Quant aux commentaires des collègues qui se sont crus obligés de préciser qu'on n'impose plus le silence en bibliothèque, ils sont de la même race que vous : le silence, ce sont les publics qui le réclament, notamment ceux des banlieues, qui n'ont parfois que la bibliothèque pour travailler ou lire ou simplement être tranquilles. J'ai dit.
koinsky
10/06/2022 à 12:02
Continuez de "hacher" menu tout ce qui ne va pas dans votre sens, au final il finira par n'en rester qu'un, vous, vous seul, "poussérieux" au milieu des livres "poussiéreux" !
Vous vous refusez à regarder les choses en face et c'est ce déni qui vous empoussière.
Un peu comme les libraires, qui continuent d'entasser une surproduction de livres insipides que personne n'achète plus depuis belle lurette sur des tables en pin de Suède comme un boucher le ferait avec ses morceaux de viande et ses abats sur une table en Formica.
Prenez ceux du "tiers-lieu" comme des lanceurs d'alerte, bon sang ! Ouvrez-les yeux, faites face au réel plutôt que de vous obstiner dans vos conservatismes d'un autre âge.
Ce qui fait la différence entre vous et nous ? Le niveau de sérieux.
Nous, on rigole, car il y a une forme de jouissance un peu sadique je vous l'accorde à vous voir vous acharner à vouloir sauver un monde défunt.
Ce spectacle de l'inutile et de l'obstination à la fois nous désole et titille nos zygomatiques. J'ai dit.
nathalie
03/06/2022 à 07:57
"Cette campagne d’advocacy"
si on parlait pour le grand public et pas les seuls initiés, on dirait "plaidoyer" ,...
Aleph
07/06/2022 à 11:52
Autant d'interview de cette association syndicale... et pour ressasser les mêmes poncifs. On dirait une re-publication de celle d'y a deux jours, elle-même recopiée largement de celle d'y a cinq jours, etc.
Quand l'ABF évoquera clairement la formation à l'ENSSIB, ou les problèmes des mutations etc., alors on commencera à les prendre au sérieux.