Spécialiste du Portugal où elle a vécu une bonne partie de sa vie, Suzanne Chantal (1908-1994) a notamment publié une Histoire du Portugal (Hachette, 1965), que précédait La vie quotidienne au Portugal après le tremblement de terre de Lisbonne de 1755 (Hachette, 1962). Vers la fin de sa vie, elle publiera un roman historique (Ervamoïra, éd. Olivier Orban, 1982), qui raconte, autour de l’évolution d’une famille sur six générations, l’histoire du vin de Porto, avec ses luttes, ses négociants, ses propriétaires, etc. Par François Ouellet
Le 05/06/2022 à 09:00 par Les ensablés
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05/06/2022 à 09:00
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Dans les années 1930, Suzanne Chantal est rédactrice en chef de la revue Cinémonde. C’est l’époque où elle fait la connaissance de la romancière Josette Clotis dans les bureaux de l’hebdomadaire de gauche Marianne, où celle-ci est critique littéraire. Immédiatement, elles deviennent intimes. Dans un essai, Le Cœur battant(1976), Suzanne Chantal a retracé la liaison de son amie avec André Malraux (avec qui elle eut deux fils) pendant une dizaine d’années, jusqu’au décès tragique de Clotis à l’âge de trente-quatre ans, en novembre 1944. Je parlerai de Josette Clotis prochainement.
Au printemps de cette année 1944, Suzanne Chantal publiait aux Éditions de la maison française, à New York, un premier roman, Dieu ne dort pas (il sera édité ensuite chez Plon). Ce roman se déroule à Lisbonne, en 1940, pendant les mois de l’invasion nazie dans les pays de l’Europe central. Un roman ambitieux nourri par l’expérience de l’exode. En mai 1940, Suzanne Chantal avait quitté précipitamment Paris pour Lisbonne. Elle y découvre une ville « envahie par les réfugiés » cherchant à prendre un bateau pour Rio ou New York. « Les consulats sont pris d’assaut, les services de police submergés. » C’est cette atmosphère de dérèglements et d’angoisse dont rend compte Dieu ne dort pas.
Le roman n’a aucune intrigue, si ce n’est l’accumulation des misères et difficultés de la vie quotidienne des émigrés de passage à Lisbonne, où ils arrivent par convois, en attente d’une vie meilleure outre-Atlantique. L’auteure anime son roman d’un certain nombre de personnages qui vont et viennent au fil des chapitres : ils disparaissent pendant quelques dizaines de pages avant de faire retour, parfois se croisent, développent des liens d’amitiés, de solidarité. La structure du roman est un peu lâche, changeante, à l’image des relations fragiles et passagères que nouent les personnages. Ce n’est pas un défaut, et on prend d’ailleurs à tout ce va-et-vient un assez vif plaisir, malgré un début peut-être un peu laborieux.
Néanmoins, un personnage se démarque, sert un peu de fil d’Ariane dans ce dédale d’un temps où les familles sont séparées, les vies brutalement rompues, les signes distinctifs des classes sociales effacés par le dénuement soudain et la déroute de l’exil. Il s’agit d’une jeune fille d’une vingtaine d’années, Liouba : elle ouvre et termine le roman. Orpheline, élevée par une tante, elle a vécu un peu partout en Europe, avant de redécouvrir ses origines estoniennes quelques années avant la guerre.
À Lisbonne, elle se met au service d’un médecin portugais, Abel Sequeira, qui a renoncé à ses ambitions professionnelles pour se dévouer auprès des réfugiés qu’il accueille dans son cabinet. Liouba, assez superficielle, qui a toujours vécu replié sur son « petit égoïsme », se sent utile pour la première fois de sa vie. Elle rêve d’amour, d’avenir, ce qu’elle pense trouver auprès d’un jeune Polonais avec qui elle aura une brève relation avant que celui-ci, comme bien d’autres, ne quitte la ville pour Rio.
À son arrivée à Lisbonne, Liouba s’est liée d’amitié avec Pierre Hirczon, un réfugié né à Riga mais qui, comme elle, a choisi de s’exiler après avoir vécu à Paris. Ils ont le privilège d’avoir une chambre dans le même immeuble, alors que nombre de réfugiés n’ont pas d’endroits où se loger et arrivent à peine à se nourrir. Journaliste, Pierre apprend rapidement à se débrouiller, faisant des interviews avec les réfugiés notoires de Lisbonne ; il travaille souvent avec Roger, un photographe professionnel qui, à Paris, s’était fait un nom dans le reportage illustré, la photo publicitaire. Roger a abouti à Lisbonne après avoir été blessé sur la ligne Maginot.
D’autres personnages ont droit à leur « tranche de vie », deux femmes principalement : la jeune Madeleine Desmets, ex Miss Bruxelles, et Florence Cousin, une actrice Française qui s’est fait un nom dans la comédie et les pièces de boulevard. Ce sont de beaux personnages, attachants, et le récit de leurs aventures donnent à lire des pages très réussies. Mais si Madeleine et Florence viennent de milieux différents, l’expérience de l’exil leur réserve le même destin.
La première se trouvait à Ostende avec un bijoutier qui la courtisait, mais qu’elle méprisait, au moment où les nazis envahissent la Belgique en mai 1940. Coincé avec cet homme, Ruben, par les circonstances, ils fuient ensemble vers la France, puis arrivent à Lisbonne. Si Madeleine a toujours su résister aux sollicitations de Ruben, elle doit bien désormais accepter de coucher avec lui, sinon elle n’aurait ni argent ni endroit pour dormir.
Quant à Florence, elle habite avec sa mère dans le même immeuble que Liouba. À Paris, elles ont longtemps vécu dans un milieu populaire misérable, avant que la carrière de Florence ne les sorte de l’indigence. Madame Cousin, qui supporte difficilement la pauvreté à laquelle la guerre la renvoie, exhorte sa fille à accepter les faveurs d’un riche portugais, Paolo. L’arrivée à Lisbonne d’un producteur de cinéma Français, Lukas, un homme élégant et séduisant qu’elle soupçonne de l’avoir déjà désirée, lui permet d’espérer se tirer de cette mauvaise situation. Mais les choses ne se passent pas comme elle le souhaite, et le jour même où Lukas, lui-même ruiné, s’embarque pour les États-Unis, Florence se résigne à coucher avec Paolo, lequel l’installe dès après dans une garçonnière.
Autre personnage attachant, qui survient presque à la fin du roman : celui d’Eva, qui par amour fait bénéficier la clinique d’Abel du soutien financier de ses nombreux contacts. Cependant, Eva échoue à convaincre Abel de partir avec lui pour New York ; elle le quitte en le laissant dans l’ignorance qu’elle est enceinte. Peu après, c’est enfin au tour de Liouba de partir, départ qui signe la fin du roman.
« Le roman de Lisbonne, 1940 » : tel était le slogan publicitaire de Dieu ne dort pas au moment de sa parution. C’est à vrai dire beaucoup mieux que le titre du roman, dont on a d’ailleurs besoin de connaître la phrase mise en exergue, au tout début, et qui est une expression populaire portugaise, pour le comprendre : « Paciencia… Deus nao dorme ». Autrement dit, Dieu finit toujours par triompher, enfin c’est comme ça que je l’entends. Après la pluie, le beau temps, si l’on peut dire. Même la guerre finira par passer. Le beau temps, même s’il se fait attendre, il est évidemment en Amérique, vers où se tournent les espoirs des Juifs que les Allemands persécutent.
Un roman de tranches de vie, je l’ai dit, supporté par une technique : la multiplication des points de vue, qui réunit dans un ensemble homogène ces existences que la guerre a sauvagement renversées. J’ai pensé à Sartre en lisant Suzanne Chantal, car on sait que le romancier a fait reposer la composition des Chemins de la liberté, écrit à la même époque, sur une technique similaire. L’approche est plus fragmentée, plus diluée, chez Suzanne Chantal, ce qui génère par moment une certaine frustration : au moment où le lecteur s’attache à un personnage, celui-ci lui est retiré, et sans promesse de retour. Coupé dans ses élans, le personnage peine à devenir consistant. C’était, de la part de la romancière un pari risqué, mais que, dans un sens, elle a su relever.
Car la réussite du roman, elle est surtout dans la reconstitution d’une ambiance, dans la fidélité à la marche du monde, dans un certain art du portrait, dans la brutalité implacable des relations humaines, dans la jeunesse résiliente dont Liouba est l’image souveraine, avec sa joie de vivre encore maladroite, mais à qui sourit la promesse d’un monde meilleure. Un beau talent d’écrivain.
François OUELLET — Mai 2022
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20/02/2023, 09:56
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La célèbre série jeunesse Les souris du Buisson-aux-Mûres de Jill Barklem, connue pour ses illustrations à l’aquarelle, revient en librairie le 13 septembre 2024 avec un nouvel opus dédié à l'automne. Déjà réédités, les tomes Le Printemps et L'Été replongeaient dans ce monde plein de détails champêtres et d'événements joyeux comme un mariage ou la première neige de l’année.
14/09/2024, 11:12
Paris… mais pas tout à fait. Un futur proche, ou peut-être pas tant que ça. Ici, c’est la Nouvelle-Archologie, où « le rêve d’un pays prestigieux semble encore possible » : la mode gouverne tout, bien plus que la politique n’aurait pu espérer le faire. Glamour en pagaille, strass et paillettes à l’envi… tandis qu’en parallèle, l’Ouvert est une coquille artificielle dans laquelle la majorité de l’humanité vivote à peine. Et, au milieu de tout ça, il y a Vic.
13/09/2024, 15:21
La rentrée vaut pour tous les adolescents, même ceux qui ne sont pas sérieux parce qu’ils ont 17 ans. Les Cahiers de Douai et leurs poèmes (chez Hatier, proposés également en audio), prennent la première place des ventes, avec 27.240 exemplaires. Un engouement pour Rimbaud ? Pas tout à fait : il est en revanche très profitable de figurer au programme des 1ères générale et technologique…
13/09/2024, 12:39
Le manga Gambling School, également connu sous le nom de Kakegurui, est une série qui captive par son intrigue fascinante où se mêlent jeu, psychologie et manipulation. Plongeons ensemble dans cet univers où les enjeux ne sont jamais simplement matériels, mais souvent profondément psychologiques.
13/09/2024, 12:10
Olivier Truc c’est notre frenchy devenu l’ami des rennes et des Lapons : il vit depuis de nombreuses années en Suède, à Stockholm, où il a été correspondant pour Le Monde. C’est la série La police des rennes (une sorte de police rurale de l’ethnie Sami) qui a placé cet écrivain en haut de nos étagères de polars. Aujourd’hui sur les traces de ce Premier renne, Olivier Truc nous emmène à Kiruna, la plus grande mine d’Europe.
12/09/2024, 12:45
Vous êtes à Belle-Rose, au fin fond de la Savoie. Si ce nom de village peut vous inspirer une douce promenade bucolique sous un soleil clément, méfiez-vous. Car les apparences sont trompeuses, ici comme ailleurs : si il est facile de croire que ce petit coin de montagne est un lieu de sérénité, loin des tumultes des grandes villes et de leurs dangers, vous vous trompez. L’Eau Rouge, rivière qui se glisse entre les hauteurs, est devenu le berceau d’un meurtre.
11/09/2024, 18:33
Rentreelitteraire2024 — Lors d’un déjeuner familial dominical, Géraldine assiste, impuissante, à l’effondrement soudain de sa grand-mère, presque centenaire. L’arrivée précipitée des pompiers confirme le diagnostic : il s’agit d’un AVC.
11/09/2024, 13:07
En 2015 paraissait Les Jeunes de banlieue mangent-ils les enfants ? de Thomas Guénolé – analyse sociologique et politique qui vise à déconstruire les stéréotypes véhiculés sur les jeunes issus des banlieues françaises. 2024, l’auteur reprend son bâton de pèlerin, cette fois avec une bande dessinée documentaire. Mais le projet demeure inchangé.
11/09/2024, 11:01
Définitivement, Black Science est un chef-d'œuvre dans le domaine de la SF : l'ambition narrative de Rick Remender, déjà savourée (car savoureuse) dans les premiers tomes, se conjugue avec le trait de Matteo Scalera, pour de nouvelles aventures. Goûtues.
11/09/2024, 09:20
RomansRentree2024 – Rentrée littéraire de l’imaginaire. En fidèle lectrice de la collection Épik des éditions du Rouergue, il m’était impossible de résister à l’appel d’un premier roman chaudement recommandé par Marine Carteron, qui loue « un univers à la croisée du Royaume de Pierre d’Angle et de Game of Thrones ». Face à ces deux mastodontes de l’imaginaire, la promesse d’une nouvelle plume inoubliable : Nena Labussière.
10/09/2024, 17:29
Rentreelitteraire2024 — Devenir-sœur : Repères dans un siècle de féminismes polonais est une exploration des mouvements féministes en Pologne, compilant 14 textes inédits datant de 1907 à 2020 qui n'avaient jamais été traduits en français.
10/09/2024, 13:42
Confinement, technopolice, surveillance automatisée, IA, épuisement des ressources, émeutes, violences policières, ghettoïsation... mais aussi, et malgré tout, les aspirations à une société plus égalitaire, plus solidaire, plus joyeuse et émancipatrice, développant de nouvelles sensibilités.
10/09/2024, 12:21
Vinícius de Moraes, principalement connu pour avoir inventé la bossa nova avec son ami Antônio Carlos Jobim, était également poète, un des plus grands du Brésil même. Les éditions Seghers lui rendent hommage avec ce recueil titré Je te demande pardon pour t'aimer tout à coup (trad. Jean-Georges Rueff).
09/09/2024, 16:29
Après Vincent qu’on assassine (Gallimard) et Un instant dans la vie de Léonard de Vinci (Gallimard), Marianne Jaeglé a fait paraître en mars dernier cet époustouflant roman historique qui fut récompensé depuis par le prestigieux Prix Orange du Livre : L’ami du prince (Gallimard, 2024).
09/09/2024, 16:11
La région des Appalaches et les états que traverse la chaîne, comme la Géorgie ou les deux Caroline (Nord et Sud), nous ont généralement valu pas mal de bons bouquins, souvent des « romans noirs ». Pas plus tard que cette année, le Britannique R. J. Ellory nous y invitait avec l’excellent Au nord de la frontière (trad. Fabrice Pointeau).
09/09/2024, 12:12
Dans un monde où la personnalisation et la créativité s'invitent dans tous les domaines, les bibliothèques ne font pas exception. Loin d’être de simples rangements pour les amateurs de livres, elles deviennent des espaces de vie, empreints d’inspiration et de magie.
09/09/2024, 11:13
26 femmes se racontent librement. Dynamisme, ténacité, compétence, créativité sont leur marque de fabrique. Une écriture agile à savourer pour découvrir l’universalité de la vie de ces 26 femmes. Un kaléidoscope coloré, teinté de sociologie, qui se lit comme un roman. Diversité culturelle, énergie, passion, expertise… un véritable cocktail littéraire !
07/09/2024, 08:00
Dix mille exemplaires de différence entre le livre de Freida McFadden, numéro 1 des ventes de la semaine avec La femme de ménage (trad. Karine Forestier, J'ai lu) et le 10e : Tillie Cole, Mille baisers pour un garçon tome 2 : Mille morceaux de coeur brisé (trad. Charlotte Faraday, Hachette roman). Cette 35e semaine (26/08 au 1er/09) réserve cependant quelques étonnements.
06/09/2024, 11:17
#RomanMilan — Charlie se retrouve soudain dotée d’un superpouvoir qu’elle ne maîtrise pas, mais alors pas du tout : elle se met à parler un langage incompréhensible ! Reste à découvrir pourquoi... Un livre qui inaugure la nouvelle collection Roman Milan 7+.
05/09/2024, 17:11
Les éditions Fleuve noir ont eu l'excellente idée de lancer une série livresque dérivée de la désormais mythique série Le Bureau des Légendes. Un spin off, comme on dit pour faire genre : de quoi ravir les nombreux fans de la série tv. Et pour ce premier épisode intitulé Les mouettes, la réalisation a été confiée au journaliste-écrivain Thomas Cantaloube, un reporter de guerre qui connait bien les Balkans et le Sahel et que l'on connait déjà pour ses thrillers géopolitiques comme Requiem pour une République ou encore Frakas.
05/09/2024, 16:11
Victime pas vraiment colla†érale, le commissaire Jim Gordon a subi plus qu'à son tour les farces mortelles du Joker. Et le scénariste James Tynion IV, reconnu pour son travail sur Batman et Something is Killing the Children, s'emploie à confronter les deux personnages. Quête morale, horreur psychologique et instincts meurtriers : souriez, le clown est là.
05/09/2024, 11:26
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