Législatives2022 — Dans moins d'une semaine, le premier tour des élections législatives donnera un aperçu de la composition de l'Assemblée nationale pour les cinq ans à venir. Une initiative, lancée par plusieurs militants et syndicalistes, entend engager, grâce à une Charte démocratique, un processus constituant dans tout le pays. Statut des artistes-auteurs, culture, service public : les revendications, nombreuses, serviront de socle commun à cette force politique constituante.
Le 07/06/2022 à 12:27 par Clémence Leboucher
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Lors des élections régionales de 2021, près de 66,7 % des Français se sont abstenus : jamais la Ve République n'avait connu un si grand désintérêt pour un tel scrutin. Et si, aux présidentielles et législatives de 2017, le taux de participation se situa aux alentours de 70 % — ces élections étant les plus mobilisatrices —, les chiffres suffisent à prouver, pour nombre d'analystes, la nécessité d'une prise de position publique contre les institutions et politiques actuelles.
En décembre 2021, Gérard Mordillat, romancier, poète, et cinéaste français, lance une initiative de taille : le boycott des présidentielles 2022. Un appel à la lutte, suivi par plusieurs signataires, comme Vincent Présumey (animateur d'APLutSoc et syndicaliste FSU) ou Pierre Zarka, ancien directeur de L'Humanité.
L'initiative est détaillée sur un site internet : « Si l’abstention est un acte individuel trop souvent confondu avec le silence et la passivité, le boycott dûment motivé est un acte collectif puissamment politique. »
L'objectif : favoriser un boycott « constituant » et remplacer le régime de la Ve République par un système bien plus favorable à la démocratie, à l'instar de ce que propose Jean-Luc Mélenchon. Le régime actuel et ses élections étant une « illusion démocratique absolue », le projet naît d'une colère forte et constante — qui a notamment surgi lors des mobilisations des Gilets jaunes.
« Le boycott était une initiative fondamentale », explique Gérard Mordillat, contacté par téléphone. « Il est temps de remettre l’imagination au pouvoir, et de donner à la culture la place qui devrait être la sienne. » L'auteur de Vive la Sociale ! (Mazarine) l'assure : le rôle des écrivains est d'alerter sur la situation. « La culture est inexistante, à droite comme à l’extrême droite. Elle est invisible dans les programmes. Et pour cause : cette inexistence est caractéristique de ce type de pensée. Un citoyen abêti est un citoyen obéissant. »
Finalement, la logique d'appareil politique et le verticalisme prégnant dans les élections présidentielles ont ralenti l'initiative. Peu importe : « Il faut passer à un autre stade : une constituante. Mais pour cela, toutes les forces intellectuelles et sociales doivent être mises en œuvre. » Citant notamment l’exemple du référendum de 2005 sur la Constitution européenne, le cinéaste se dit « admiratif du travail que chacun avait fait sur ce texte pourtant illisible. L’intelligence populaire s’était déployée ; tout ce qui en est ressorti n’était que du positif. Et finalement, ce fut le plus grand déni démocratique de l’Histoire. » Rappelons que le « non » l'avait emporté (54,68 % des voix), mais que le traité de Lisbonne, signé en 2007, avait repris un grand nombre de dispositions de cette Constitution rejetée.
Le résultat de l'élection présidentielle et la réélection du président candidat Emmanuel Macron n'ont pas stoppé la dynamique. Ils l'ont même enclenchée ; et l'alliance des forces de gauche au sein de la NUPES (Nouvelle Union Ecologique, Populaire et Sociale), autour de la France Insoumise, cristallise ce nouveau départ, cette mise en mouvement d'un processus qui s'oppose à toute forme de verticalisme.
Ainsi, à quelques semaines des élections législatives, le boycott présidentiel s'est transformé en une Charte démocratique : « La même démarche qui a conduit des citoyens·nes, et militants·es à se prononcer pour un boycott constituant de la présidentielle nous conduit à présent à dire que le mandatement par les citoyens·nes, des candidats opposés à Macron comme à Le Pen aux législatives est la question démocratique centrale », introduit Pierre Zarka dans un texte présenté en conférence de presse, ce 31 mars 2021.
L'idée : créer une dynamique « par le bas », édifier les bases intellectuelles et politiques de cette prochaine Constitution à écrire. Interrogés par ActuaLitté lors de la conférence, les différents membres signataires n'en démordent pas : la fonction représentative est en réelle perte de vitesse. « Elle ne dure que le temps de l’élection : une fois sorti de l’isoloir, le citoyen n’a pas accès à une parole politique expressive. »
La Charte, à faire soumettre aux députés volontaires de la NUPES, traduira au maximum les revendications des signataires et des citoyens intéressés : planification écologique — le rapport du GIEC donnant, notamment, 3 années maximum avant que des changements irréversibles ne se produisent —, mais aussi contrôle des revenus du CAC 40, et un véritable changement des rapports élus-citoyens. « C’est la préfiguration de ce que devront être les discussions qui introduiront les bases de notre prochain régime », complète Gérard Mordillat.
La VIe République est une mesure constante dans le programme de Jean-Luc Mélenchon et de la France Insoumise. S'il l'évoque dès 1992, c'est finalement en 2012 que l'homme politique place officiellement le projet dans ses mesures phares. Convoquée par référendum, une Assemblée constituante se réunira afin de rédiger et de soumettre au vote une nouvelle Constitution.
« Nous le savons : l’union des forces de gauche découle d’accords d’appareils politiques. Il n’y a pas d'autres dynamiques », explique Pierre Zarka. « La démarche NUPES est verticaliste et moulée dans les institutions. Les gens “d'en bas” sont donc la seule et unique condition pour gagner », complète Vincent Présumey, secrétaire de la FSU de l’Allier. « Nous souhaitons donc, avec cette Charte, ouvrir une brèche pour que les élus qui se réclament de cette gauche ne parlent pas qu’en leur nom. »
Sur le terrain, justement, la Charte circule, quelque peu, parmi les candidats NUPES. L'enjeu : insuffler la dynamique.
À Pontivy, l'alliance NUPES fonctionne plutôt bien, selon Catherine Destom-Bottin : « J’ai la chance de faire partie de l’équipe de Marie-Madeleine Lucas. Le groupe est composé d’une cinquantaine de membres, venant de toute la gauche. » Certains jeunes sont également présents — et ont réussi à convaincre leurs parents. Et la volonté de représentation citoyenne y est très présente : « Pontivy est, par exemple, une quasi-caricature de l’impact de l’hôpital privé sur l’hôpital public » explique la militante d'Attac.
Situé en bord de quatre voies, il est difficilement accessible aux patients non véhiculés. « On passe, dans le même établissement, du privé au public d’une simple porte. Et le discours des infirmiers et des malades est toujours le même : il faut restaurer l’hôpital public, instaurer des représentants, des syndicats du personnel. »
Toutefois, dans la 8e circonscription de l'Essonne, le discours n'est pas le même. Nicolas Dupont-Aignan y est député depuis 24 ans, élu pour la première fois en 1997. Robert Duguet, animateur d'APLutSoc, dénonce la position de LFI, qui gère la campagne d'Émilie Chazette-Guillet. « Depuis 2017, les militants locaux sont écartés des candidatures. Aujourd’hui, ils ont rencontré la candidate, et se sont aperçus que c’est une toute petite équipe, composée uniquement de membres de la France Insoumise, qui gère la campagne. »
Il déplore ainsi le verticalisme du parti : « La NUPES a une possibilité de remporter cette circonscription ; tous les efforts devraient être centrés sur la bataille contre Nicolas Dupont-Aignant. Mais l’absence de points de vue de militants locaux, familiers du terrain, remet en cause cette bataille. »
Du côté de la culture, et plus particulièrement des auteurs, Gérard Mordillat l'assure : la Charte s'intéressera à la question du statut des artistes-auteurs. Revenant régulièrement sur le devant de la scène, notamment après le camouflet imposé par le Syndicat National de l'Édition à Roselyne Bachelot, elle cristallise les tensions autour de la précarité du secteur culturel et de ses agents. La notion de « statut des auteurs », présente dans certains programmes à l'occasion de la présidentielle, ne figure d'ailleurs pas dans celui de la NUPES.
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« Pour les forces patronales, l’intermittence est le prototype de l’emploi du futur », regrette le cinéaste. « On imagine une masse indistincte de personnes disponibles, capables de faire tout et n’importe quoi, sans aucun horizon au-delà de la journée travaillée. »
Le rapport sur l'intermittence de Jean-Pierre Vincent, remis le 29 juillet 1992 à Jack Lang, doit, selon Gérard Mordillat, ressortir de la pénombre. « C’était un rapport intelligent : il tenait compte de la nature différente des activités. Un peintre n’est pas un danseur ; il faut distinguer les choses pour que leur métier soit viable. » « Sitôt publié, sitôt jeté », le rapport Vincent aura posé les jalons d'une question qui agite encore le monde de la culture : peut-on considérer que les auteurs travaillent ?
En février 2020, le rapport de Bruno Racine, remis à Franck Riester, reconnaît officiellement « la dégradation de la situation économique et sociale des artistes-auteurs [qui] se traduit par une érosion de leurs revenus, en dépit de l’augmentation générale de la valeur créée ». Mais, depuis, rien : les artistes-auteurs montent régulièrement au créneau, particulièrement après la pandémie de Covid-19, qui aura fragilisé leurs conditions de travail comme de revenus. Le lancement de la mission Sirinelli, en avril dernier, a quelque peu diminué les tensions. Mais jusqu'à quand ?
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« On est restés dans la vieille idée que le domaine artistique doit témoigner de la grandeur de la France », souligne Gérard Mordillat, qui regrette l’aveuglement politique autour des conditions de travail de tous les intermittents et artistes. « Je le vois bien dans le cinéma : la France était en pointe sur l’image animée, le jeu vidéo. Mais les meilleurs ne trouvaient pas de soutien. Ils sont tous partis aux États-Unis. »
À voir, donc, si l'initiative de Charte démocratique permettra d'améliorer et d'entendre les revendications du secteur — le projet ayant, pour le moment, assez peu d'écho médiatique et viral. « C’est notre point faible, c'est vrai », admettent les signataires lors de la conférence de presse.
« Toutefois, la transmission progressive de la Charte dans chaque circonscription fera peut-être évoluer l'initiative lors des législatives. » D'ici là, chacun reste dans l'expectative : la composition de l'Assemblée nationale, qui sera connue officiellement le 19 juin 2022, permettra d'éclaircir l'horizon des revendications, toujours selon la même idée : « Votre agenda de député doit venir d’en bas. »
La proposition de Charte démocratique se retrouve à cette adresse.
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