SALTO22 – Dans une Sala Azzura pleine et émue, Annie Ernaux a été accueillie au Salon du Livre de Turin pour recevoir le prestigieux prix littéraire international Mondello (qui compte parmi ses lauréats au moins une douzaine de prix Nobel) et parler d’inégalités, d’école, de femmes, et de littérature… (de notre envoyée au salon du livre de Turin)
Le 23/05/2022 à 14:21 par Federica Malinverno
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Publié le :
23/05/2022 à 14:21
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Annie Ernaux, déjà lauréate en 2016 du Prix Strega Europeo avec Les années (Gallimard, 2008, publié en Italie par L’Orma Editore en 2015), est la lauréate du prix international Mondello de cette année. La dernière édition avait été attribuée à un autre auteur français, Michel Houellebecq.
Cette récompense, originaire de Palerme, a quarante-huit ans désormais et comme l’a rappelé Nicola Lagioia, directeur du Salon du livre de Turin, un pont, ou plutôt une collaboration a été créée depuis onze ans avec Turin. « Deux des villes les plus littéraires d’Italie et peut-être d’Europe », insiste-t-il.
Au moins une douzaine d’auteurs primés par le Mondello a ensuite reçu le Prix Nobel. Giovanni Puglisi, président de la Fondazione Premio Mondello, souhaite dédier ce prix à Giovanni Falcone et Francesca Morvillo, morts voilà trente ans dans des circonstances tragiques, victimes de la mafia. Lorenzo Tomasin, professeur de philologie romane et d'histoire de la langue italienne à l’université de Lausanne, est le juge unique de ce prix et posera plusieurs questions à Annie Ernaux.
Le premier thème qui est traité demeure très cher à l’écrivaine. Ernaux, qui se définit en effet comme « une miraculée sociale », affirme que par inégalité, nous pourrions entendre les « différences sociales ainsi que les différences culturelles et de possibilité d’avenir ».
La première d'entre toutes, elle le rappelle, est celle de la naissance qui devrait être corrigée à l’école, et ne pas durer toute une vie : la politique devrait aider à créer un équilibre social majeur. « Je tiens à cette idée d’avoir un avenir ouvert ou bloqué très tôt », précise encore Annie Ernaux.
Mais elle en évoque aussi une d'un autre type : celle entre les genres. Elle reconnaît que la situation s’est largement améliorée — grâce à des phénomènes de société importants comme MeToo, même s’il y a encore beaucoup de choses à faire. « La domination masculine s’exerce de façon presque invisible, et elle est parfois perçue comme naturelle. »
Pourrait-on créer une hiérarchie entre les inégalités ? D’après l’écrivaine, « la première de toutes les inégalités c’est l’injustice sociale, mais la différence des sexes traverse toutes les conditions, elle prend des formes différentes et elle peut s’aggraver avec l’injustice de classe ». En effet, malheureusement, les injustices peuvent se cumuler.
La discussion se déplace logiquement sur l’école. L’occasion pour l'écrivaine de raconter un peu de son passé et de son histoire familiale et sociale – les sacrifices que ses parents ont faits pour l’envoyer à l’école, une école privée.
« J’ai eu une chance primordiale », confesse-t-elle en évoquant ce que l’école a représenté pour elle, c’est-à-dire « le premier maillon d’un élévation en général du niveau de vie, d’une émancipation ».
Quid alors de la situation de l’école aujourd’hui en France ? On parle souvent, d’après elle, d’école pour tous, mais en réalité, « il y a des nouvelles hiérarchies entre les écoles, entre les universités et des grandes écoles : une fossé sépare les privilégiés et les autres ». De plus, il faudrait que les investissements de l’État dans l’éducation et dans la santé participent à construire une société plus égalitaire, car « il n’est pas suffisant » de s'en remettre au système scolaire.
Un thème très débattu aujourd’hui en Italie est celui de la violence contre les femmes (les cas ont en effet augmenté pendant la pandémie). D’après Annie Ernaux, qui répond à une question de Lorenzo Tommasi sur une éventuelle complicité des femmes dans certaines situations, « c’est simplement un état de fait que de constater que les hommes ont le pouvoir la décision ».
Elle précise que quand des femmes vont à la police pour dénoncer une violence, ce sont des hommes qui les accueillent et parfois mettent en doute leur parole : « Ce n’est pas de la complicité, mais de l’impuissance. »
Et elle explique : « Il y a des choses qu’on ne peut pas dire parce qu’on nous humilie trop, et on n’est pas complice de notre oppresseur. » Elle revient alors sur l’importance de trouver une « oreille » et du réconfort ainsi que de l’aide dans la solidarité féminine, dans la « sororité ».
D’après elle, beaucoup d’actes de violence ne sont pas dénoncés à la police, car « le silence c’est le refuge », mais « il faut que chacune commence, pour briser le silence », consciente que rien de cela n'est aisé. La domination masculine et ce rapport de force durent depuis des siècles : « Il faut tellement plus de courage aux femmes qu’aux hommes. »
Parlant ensuite de littérature, elle affirme n'être « pas du tout touchée par l’autofiction : mon travail est de nature différente, le “je” est un outil de prospection ». Il faut porter l’attention sur le mot « distance », qui, d’après elle, déplace de façon plus adéquate son regard envers elle-même et l'environnement. Un regard qu’elle a élaboré avec une conscience littéraire mature à partir de La Place (Gallimard, 1983, traduit en italien par Lorenzo Flabbi en 2014).
« L’impossibilité du roman » lui est apparue quand elle a essayé d’écrire la condition de son père, d’une classe sociale inférieure, avec les mots qu’elle utilisait en tant que femme écrivaine professeure : il y avait une distance, un fossé, cette « impossibilité du roman ». D’après elle, « on n’invente pas une réalité qui nous a fait souffrir et il ne faut jamais porter un regard ému et apitoyé sur sa condition ».
crédits photo : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Paru le 06/06/2019
104 pages
Editions des femmes
19,00 €
Paru le 05/03/2020
98 pages
Editions Gallimard
2,00 €
Paru le 04/11/2021
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6,90 €
Paru le 05/05/2022
48 pages
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8,00 €
2 Commentaires
Alina Reyes
27/05/2022 à 22:25
Ah bon, elle ne fait pas de l'autofiction ? La reine du déni. Comme quand elle me reprocha d'écrire sur le sexe (sans me vanter, je le fais mieux qu'elle, d'où peut-être un peu de dépit). Quant à se présenter comme une "miraculée sociale", faut pas exagérer non plus, elle a pas grandi dans la misère. Fascinant de voir tant de gens fascinés par toutes les platitudes de son discours. Mais drôle de remarquer qu'elle est l'autre face de Houellebecq, même ternitude, l'un très à droite, l'autre très à gauche. O tempora, o mores.
fletan_perdu
28/05/2022 à 19:03
Ce qui est fascinant c'est cet élan soudain qui vous saisit pour déposer ces quelques lignes acides sur une femme qui, ne vous en déplaise, a franchi les barrières d'un destin social tout tracé pour s'élever. Où commence la misère pour vous ? Où commence le contre sens ? Comparer Houellebecq et Annie Ernaux ... faut-il ne les aimer ni l'un ni l'autre, ne pas les avoir lus, pour les mettre côte à côte.
Il demeure que même un lecteur boulimique a un moment de flottement et se dit "Qui c'est au fait Alina Reyes ?" mais se passe de Google pour savoir qui est Annie Ernaux.