Qui était Benjamin Constant ? Un écrivain de génie ? Un politique opportuniste ? Un homme peu courageux en amour ? Un orateur flamboyant ? Un mélancolique peu sûr de lui ? Un peu tout ça sauf un opportuniste ! S’il est une légende noire à laquelle souhaite s’attaquer l’historien Léonard Burnand, directeur depuis 2012 de l’Institut Benjamin Constant, dans sa biographie qui vient de paraître chez Perrin, c’est bien celle-là !
Le 18/05/2022 à 14:14 par Audrey Le Roy
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Publié le :
18/05/2022 à 14:14
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Mais pour comprendre notre écrivain, encore faut-il faire sa connaissance. Léonard Burnand, après moult recherches dans des fonds d’archives – où il va mettre au jour des documents inédits – s’attache à nous parler de l’enfance, mouvementée s’il en est, de l’auteur d’Adolphe tout en le resituant dans le contexte politique de l’époque, pas moins chaotique ! « On ne peut pas comprendre le parcours de cet homme sans connaître les enjeux politiques et socioculturels du moment, d’autant que cet écrivain et député a toujours agi en fonction des circonstances, sur lesquelles il espérait exercer une influence concrète. »
Le grand drame de sa vie survient quelques jours après sa naissance. Sa mère, Henriette, meurt des suites de son accouchement. Il sera dès lors « le fils de la morte ». L’enfant que son père, Jules, aura du mal à regarder sans penser à son amour disparu. Amour qui n’était pas réciproque. Benjamin n’a pas connu sa mère mais il ne peut pour autant pas la renier. Henriette ne voulait pas se marier. Elle aimait les lettres et sa liberté. L’idée même de ce mariage la désemparait tellement qu’elle ne voyait de délivrance que dans la mort. « Cette mort que la jeune femme appelle de ses vœux avant de s’unir à Jules de Constant viendra la frapper seize mois seulement après son mariage ».
De cette perte, de ce manque, Benjamin Constant ne parlera quasiment jamais, mais il est fort probable que ce décès à sa naissance sera la cause du développement chez lui d’un fort sentiment de culpabilité général qui l’empêchera de prendre des décisions fortes concernant sa vie sentimentale.
En attendant, il faut bien s’occuper de cet enfant. Jules, militaire de carrière, est souvent absent, ses grands-mères bataillent pour s’occuper de lui et ses précepteurs sont tous aussi mauvais les uns que les autres. Néanmoins, dans cette atmosphère plus que particulière, Benjamin va réussir à développer de nombreux talents, à six ans il excelle au clavecin et apprend le grec ancien ! À sept ans, sa famille parle déjà du « génie de Benjamin » et passe le plus clair de son temps à s’en émerveiller. Et de se demander plus tard d’où vient l’orgueil du jeune homme…
Une fois adolescent, on le retire enfin à ses précepteurs et il est envoyé en Allemagne en février 1782, à Erlanger, pour ses études, « livré à lui-même, dans des villes éloignées de sa région natale et du lieu de résidence de son père, Benjamin se montre à la fois très studieux et extrêmement dissipé », au point où on le priera de quitter l’Allemagne en juin 1783 ! Direction Édimbourg où il arrive le 8 juillet. Le constat sera le même, il travaille le jour et joue la nuit. « Âgé de seize ans, il devient membre de la Speculative Society, il impressionne ses confrères par son éloquence, alors qu’il ne s’exprime pas dans sa langue maternelle. » Mais le démon du jeu lui faire perdre des sommes considérables, pour ne pas dire affolantes, et il est obligé de filer à l’anglaise, il « quitte la capitale écossaise en avril 1785, en se sauvant par la petite porte ».
On l’envoie cette fois-ci à Paris, chez l’homme de lettres Jean-Baptiste Suard où son père pense qu’il sera en sécurité. Hélas, sa chambre n’est pas prête, il va donc à l’hôtel où il fait connaissance d’un libertin. Fatigué des frasques de son fils, Jules vient le chercher en août 1785 pour le ramener à Lausanne. Après quelques mois dans sa famille, il retourne à Paris en novembre 1786. Il a dix-neuf ans et malgré tout c’est un garçon à la tête bien pleine, « comme tous les nomades il s’organise et travaille sans effort, indifférent aux pavés cahotants et aux bruits des relais, aux paysages qui défilent devant ses yeux de myope et aux intempéries qui ne l’arrachent pas à sa méditation ». C’est à ce moment qu’il fera la connaissance d’Isabelle de Charrière, « brillante femme de lettres […], elle va exercer une influence déterminante sur sa formation intellectuelle » du moins jusqu’à sa rencontre avec son alter ego féminin.
Mais Benjamin n’en arrête pas pour autant les bêtises et quand son père décide une nouvelle fois de venir le chercher au printemps 1787, notre futur député ne trouve rien de mieux à faire que fuguer en Angleterre. De nombreux parents, en lisant cela, vont peut-être se dire que tout n’est pas perdu pour leurs rejetons turbulents. L’escapade durera jusqu’en septembre. Le 20, il prend le bateau pour Calais. S’attendant à une colère mémorable de son père, il est fort surpris que ce dernier lui batte simplement froid, « je restai tout abasourdi de cette réception qui n’était ni ce que j’avais craint ni ce que j’avais espéré ». Mais c’est mal connaître Jules de Constant que de penser qu’il laissera son fils continuer à faire n’importe quoi. Il l’envoie à Brunswick où il lui a trouvé une place de gentilhomme de la chambre. Benjamin y restera de mars 1788 à août 1794, « de 20 à 26 ans, je fus en Allemagne, menant une vie ennuyeuse, perdant mon temps et mes facultés ».
S’ennuyer pendant la Révolution française ! Qu’en pensait-il, depuis Brunswick ? Nous n’avons son ressenti dessus qu’à partir de 1790 et « il ne cache pas que ses sympathies personnelles penchent clairement du côté de la Révolution », ce qui n’est pas sans poser problème lorsque l’on travaille pour le duc de Brunswick, celui-là même qui marcha sur Paris pour sauver la monarchie française et fut vaincu à Valmy.
Benjamin Constant est favorable aux idées originelles de la Révolution mais pas à ce que cela va devenir au moment de la Terreur. Homme d’aucun parti et d’aucune coterie, il entend juste œuvrer pour la Liberté « fustigeant les contre-révolutionnaires autant que les partisans de Robespierre, il s’écarte résolument des extrémistes des deux bords et se pose en défenseur du juste milieu ». Il quitte son poste en août 1794 et retourne en Suisse avec à l’esprit l’idée d’aller à Paris pour y faire une carrière politique, « il possèdera un avantage non négligeable : celui d’apparaître aux yeux du public comme un homme "nouveau" ».
C’est également à cette période qu’il fait la connaissance d’une personne qui va le subjuguer. Nous sommes le 18 septembre 1794, lisons-le : « [J]e n’avais rien vu de pareil au monde. J’en devins passionnément amoureux. […] Au bout d’une heure, elle prit sur moi l’empire le plus illimité qu’une femme n’ait peut-être jamais exercé. » Cette femme c’est Germaine de Staël, fille de Necker. Instruite, intelligente et partageant les mêmes opinions politiques que Benjamin, ces deux-là étaient faits pour se rencontrer. Désormais indissociables, même si Germaine se fera un peu prier avant de devenir la maîtresse de Constant, ils vont partager idées et combats politiques ainsi que… les disgrâces. C’est elle qui va réussir à le pousser à passer à l’action.
Il va falloir attendre quatre ans avant qu’il ne décroche enfin le poste tant convoité de député, il a trente-deux ans. Son premier discours va faire l’effet d’une bombe ! Il y condamne en effet les idées de Bonaparte dont il a très vite cerné les aptitudes absolutistes, « à Sainte-Hélène, l’Empereur déchu n’aura toujours pas pardonné à Benjamin "l’insolence de son premier discours" ».
Constant réitère le 5 janvier 1800, il plaide pour la liberté de la presse, l’indépendance des juges, etc., mais cette fois-ci Bonaparte est devenu intouchable, en outre Madame de Staël prend la défense de son amant dans des formes non moins virulentes. Le 15 octobre 1803, elle est priée de quitter Paris, Benjamin la suit dans son exil. Napoléon, pour le moment, est vainqueur, « l’esprit libéral entame une longue traversée du désert »… qui durera pas loin de dix ans !
Le 2 avril 1814, le Sénat proclame la déchéance de Napoléon Ier. Benjamin Constant est dans la capitale dès le 15 avril, « la pulsion carriériste le saisit à nouveau ».
Malgré les Cent-Jours, où il accepte de travailler avec Napoléon pour mettre en place ses idées libérales que l’Empereur semble enfin accepter, et de nombreuses autres périodes difficiles dans la Restauration à entreprendre, Benjamin brille « régulièrement à la tribune [et] devient une véritable vedette de la scène politique. »
Si sa très brève collaboration avec Napoléon a permis à ses détracteurs de le faire passer pour un opportuniste, Benjamin Constant fut en réalité toujours fidèle à ses idées. La population ne s’y trompa pas et le jour de ses funérailles, « le dimanche 12 décembre 1830, tourne à l’apothéose. Une foule immense de 150 000 personnes (un cinquième de la population de la capitale !) assiste à l’événement, ce qui en fait le plus grand enterrement "libéral" de la décennie. »
Écrivain, député, journaliste, amoureux, la vie de Benjamin Constant est fascinante. Cette biographie de Léonard Burnand est à lire absolument pour tous ceux que cette période historique intéresse voire passionne !
Par Audrey Le Roy
Contact : aleroy94@gmail.com
Paru le 02/06/2021
334 pages
Editions Slatkine
42,00 €
1 Commentaire
Hélène G.
19/05/2022 à 16:23
Un parcours inouï, en effet, qui méritait bien cette biographie foisonnante et certainement très fouillée de Léonard Burnand.
A noter, dans un autre genre littéraire, qu'un nouvel ouvrage de Anne Villemin Sicherman sortira en février 2023 : "1803, la nuit de la sage-femme" (éditions 10/18, collection Grands Détectives).
L'auteur, dont le goût pour la précision historique est connu, bien qu'elle écrive des fictions, y mettra en scène Mme de Staël, Benjamin Constant, Charles de Villers, et Dorothea von Rodde.