FLP2022 - Parmi les stands d’éditeurs, comme à chaque édition, le salon de Paris, devenu festival, offre une tribune aux littératures nationales. À côté d’un pavillon grec et ukrainien, s’est installé le stand hongrois. Entre agrégation de maisons et uniformité, sous la bannière de la langue de Sandor Marai. L’occasion pour l’écrivaine Eszter T. Molnar de nous présenter son premier roman traduit en français chez Actes Sud, Teréz, ou la mémoire du corps, mais également d’évoquer la littérature hongroise contemporaine avec Zoltán Jeney, qui a monté l’emplacement.
Le 11/05/2022 à 15:47 par Hocine Bouhadjera
404 Partages
Publié le :
11/05/2022 à 15:47
404
Partages
ActuaLitté : Teréz, ou la mémoire du corps, est votre premier roman traduit en français. Il vous donne l’occasion de venir le présenter au festival du livre de Paris.
Eszter T. Molnar : Oui, je suis venu pour le présenter à l’Institut Liszt - le Centre Culturel hongrois. C’est mon septième livre. J’ai également écrit quatre textes pour enfants. J’ai été remarqué en France grâce à un magazine qui a gentiment rendu compte de mon roman, et ce, avant cette traduction française. Plus tard, il a été proposé une bourse de financement pour une traduction qui a été remportée par Sophie Aude. Elle a alors proposé de traduire Teréz pour le public français. À présent, elle travaille sur une traduction de Péter Nádas.
Votre roman, en peu de pages, arrive à traiter de sujets aussi larges que la mémoire, le corps et la langage, et ce en mariant les trois. Quel cheminement a conduit à ces thèmes ?
Eszter T. Molnar : Mon personnage, Teréz, après un abus sexuel subi durant l’enfance, décide de travailler à sa reconstuction en partant à l’étranger. J’ai moi-même vécu onze ans en Allemagne, à Fribourg, et cette expérience m’a permise de mener une réflexion sur ce que signifie être étrangère. Une des dimensions qui justifie ce sentiment d'altérité est ce passage de sa langue maternelle à une autre langue. C’est à partir de cette connaissance que j’ai choisi d’incorporer de l’allemand et de l’anglais dans le corps du texte, outre l’hongrois. Ces parties écrites en langues étrangères ont ensuite été traduites en hongrois par moi.
Comment ce jeu sur les langues s'imprime-t-il dans le texte ?
Eszter T. Molnar : Dans ce dispositif, une ou deux langues s’affichent l’une à côté de l’autre dans des colonnes, à la manière d'un dictionnaire ou de la Bible, pourrait-on dire. Incorporé dans l'oeuvre, il offre une expérience sensible et linguistique qui témoigne de cette impossibilité de pouvoir s’exprimer en tant qu’allogène. Et plus encore, d’énoncer, par le texte, à quel point la langue exprime la pensée et influence l'identité de chacun.
À LIRE: “Le style est tout en écriture”, Valério Romão auteur d’Autisme
Je trouve d'ailleurs ce choix formel particulièrement joli dans la traduction française, presque plastiquement. Mais que les lecteurs ne s'inquiètent pas, tout le texte est en français, ou traduit en français !
Pour vous, la langue est donc une partie de la personnalité ?
Eszter T. Molnar : Je pense que c'est perceptible dans le texte. Je suis une personne différente si je pense en hongrois, en anglais ou on allemand. C’est d’ailleurs très drôle : quand je réfléchis en anglais, je vais me vivre plus drôle qu’en hongrois, ou en allemand, plus analytique. La langue que nous utilisons transforme ou façonne une partie de notre être, me semble-t-il. Pour résumer, en changeant d'idiome, je changeais non pas seulement de mode d'expression, mais aussi partiellement de personnalité.
Vous avez construit ce roman à l'aune de cette réflexion sur la langue, ou bien est ce apparu durant l’écriture ?
Eszter T. Molnar : C’est venu finalement assez naturellement. En m’installant en Allemagne, j’ai petit à petit commencé à penser en allemand à mesure que je maîtrisais cette langue. J'ai ensuite écrit de la poésie dans la langue de Goethe, puis les petits textes intégrés au roman. Mais je n’avais pas prévu que ça allait se terminer de cette manière. J'ai eu finalement une approche quelque peu expérimentale.
En outre, j'ai également perçu mon déménagement à Fribourg comme un déplacement à l’intérieur de l'Union européenne. C’est un apprentissage que l’on devrait tout partager, parce que nous venons tous de quelque part et nous connaissons tous des gens qui viennent d’ailleurs. Le véritable voyage est une nourriture de l’esprit.
Quand nous aurons tous acquis cette connaissance du déracinement, nous pourrons mieux nous comprendre. J’ai d’ailleurs également passé un an en Autriche et ça a été une autre forme d’enrichissement.
Ça n'a pas été trop difficile de s’adapter à chaque fois ?
Eszter T. Molnar : Je suis quelqu’un d’assez adaptable. Après, il faut le vouloir pour que ça fonctionne. Il faut bien sûr être capable d’y mettre du sien.
Celui qui a été à l'initiative de l'invitation d'Eszter T. Molnar au Festival du Livre de Paris, Zoltán Jeney, a également accepté de nous brosser un rapide panorama de la littérature hongroise en France :
Pouvez-vous nous faire un état des lieux de la littérature hongroise et de ses traductions françaises ?
Zoltán Jeney : Nous sommes relativement bien servis au niveau des traductions de l’hongrois en français. Outre la traduction des classiques, comme Sandor Marai, on peut citer László Krasznahorkai, publié chez Gallimard. Son prix Booker Prize, reçu en 2015, a beaucoup aidé à son succès actuel, me semble-t-il. Puis, nous avons quelques auteurs contemporains qui sont également relativement bien publiés, comme György Dragomán et son Roi blanc (Trad. Joëlle Dufeuilly) qui a connu un succès relativement grand en France.
À LIRE: “J'ai décidé de raconter mon histoire : elle mérite d'être partagée.”
Également Krisztina Toth, également publiée chez Gallimard, Attila Bartis ou Benedek Totth, qui sont des auteurs qui jouissent également d’une certaine reconnaissance. Pour Totth, on peut citer son dernier roman, Comme des rats morts (Trad. Natalia Zaremba-Huzsvai, Charles Zaremba), et, pour Bartis, son texte La Fin (Trad. Natalia Zaremba-Huzsvai, Charles Zaremba), publié en France en février 2022. Ces deux derniers ont été publiés chez Actes Sud. Sans oublier bien sûr Eszter T. Molnar.
Les auteurs hongrois se répartissent entre plusieurs éditeurs français, sans maison spécialisée dans cette littérature. Est-ce une bonne chose selon vous ?
Zoltán Jeney : C'est mieux d'être présent chez différentes maisons d'édition qui choisissent selon leur goût. D’abord, cela permet de toucher le plus grand nombre et non pas seulement une niche de passionnés. Ensuite, le choix d'une maison d'édition neutre vis à vis de nationalités garantit que les sélections seront réalisées en fonction de la qualité des textes, et non de la nationalité de l’auteur.
Crédits : ActuaLitté (CC BY SA 2.0)
DOSSIER - Festival du Livre de Paris 2022 : entre renouveau et contestations
Paru le 02/03/2022
256 pages
Actes Sud Editions
22,50 €
Paru le 07/10/2015
352 pages
Actes Sud Editions
9,30 €
Paru le 04/10/2017
254 pages
Actes Sud Editions
21,80 €
Paru le 26/03/2009
287 pages
Editions Gallimard
23,90 €
Paru le 03/04/2014
202 pages
Editions Gallimard
18,50 €
Commenter cet article