ENTRETIEN – En quelques années, il s’est imposé comme le journaliste incontournable dans le domaine de l’Imaginaire. Depuis ses premières armes de lecteur, à son passage en bibliothèque, Lloyd Chéry en a fait une signature. Créateur du podcast C’est plus que de la SF, il récidivera prochainement avec une nouvelle émission : C’est plus que de la Fantasy. Car tout cela, c'est plus que de la passion...
Le 09/05/2022 à 11:24 par Nicolas Gary
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Publié le :
09/05/2022 à 11:24
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ActuaLitté : Un peu d’histoire : comment a débuté votre intérêt pour l’Imaginaire, et par la suite, l’idée de ce premier podcast, C’est plus que de la SF ?
Lloyd Chéry : Je suis tombé dans la marmite au début des années 2000 avec la découverte des romans de David Gemmell et Pierre Bordage. J’ai eu plus tard la chance d’avoir pendant plusieurs années un petit boulot étudiant ou je devais m’occuper du fonds imaginaire pour la Médiathèque de Saint-Cloud. Quand j’ai commencé à être pigiste au Point en 2017, ma rédactrice en chef m’a laissé traiter ce sujet. En trois ans, Le Point Pop a produit plus de 200 articles et 4 hors-séries sur les littératures de l’imaginaire. Je me suis alors aperçu qu’il n’existait quasiment pas de podcast sur la science-fiction, juste des émissions ponctuelles sur France Inter (Blockbuster) ou France Culture (La Méthode Scientifique).
Formé à Radio France pendant mes études de journalisme, j’ai voulu retrouver la radio. J’ai proposé mon projet à plusieurs médias et plateformes de podcast qui ont évidemment refusé le concept d’avoir une interview par semaine sur une œuvre culte de la science-fiction. Je me suis donc lancé en Mars 2020 grâce à Actu SF et son créateur Jérôme Vincent qui m’a fait confiance. Deux mois après son existence, C’est Plus que de la SF recevait 2T dans Télérama.
Depuis, j’ai réalisé plus de 115 émissions avec des invités prestigieux comme Alain Damasio, Jean-Pierre Jeunet, Alejandro Jodorowsky, Brandon Sanderson. Le podcast a dépassé les 800 000 écoutes cumulées et s’approche des 10 000 écoutes par semaine. Je me suis dit qu’il était maintenant temps que C’est Plus que de la SF ait une petite sœur qui traiterait exclusivement de la fantasy. Ce podcast sera lui aussi une interview hebdomadaire, mais il sera totalement indépendant.
Vous amorcez un nouveau projet, C’est plus que de la Fantasy. Ce genre souffre-t-il des mêmes carences que la SF ?
Lloyd Chéry : Je pense que c’est même plus difficile. La science-fiction est plus reconnue intellectuellement et médiatiquement. La fantasy ne représente que 12 % des articles consacrés aux littératures de l’imaginaire (lesquels ne représentent que 3 % des articles toutes littératures confondues). Notre pays a souvent été en retard dans la reconnaissance de ce genre qui a pourtant connu un véritable engouement littéraire au début des années 2000.
En plus de l’absence de médias, le marché est maintenant en demi-teinte avec des problématiques structurelles. Une quarantaine de maisons d’éditions et de collections participent, comme toute l’édition française, à la surproduction où les librairies se retrouvent dépassées par le nombre de titres. La publication massive des plus gros éditeurs sur les étals entraîne un manque de visibilité pour les plus petits. La précarisation des auteurs (avec des à-valoirs assez bas) complique également la donne et peut avoir un impact sur la qualité des livres.
Le cliché de la « littérature pour enfant » colle encore à la peau de la fantasy et les succès se font encore malheureusement trop rares. Ceux qui tirent les marrons du feu sont les romans anglo-saxons qui dominent largement les ventes depuis des années. Heureusement des écrivains hexagonaux arrivent à trouver leurs publics comme Jean-Philippe Jaworski et son Gagner La Guerre et surtout Christelle Dabos en jeunesse (500 000 exemplaires écoulés pour la série du Passe-Miroir).
Mais tout n’est pas noir. On assiste à l’éclosion d’une nouvelle génération d’excellents romanciers qui j’espère viendront sur le podcast. Guillaume Chamanadjian, Claire Duvivier, Flore Vescot, Isabelle Bauthian, Michael Roch, Chris Vukljsevic, Patrick K. Dewdney et Thibaud Latil-Nicolas sont à découvrir !
Dès qu’il s’agit d’internet, la première question est : Quel est le modèle économique ? En matière de podcast, comment cela se concrétise ?
Lloyd Chéry : J’ai la chance de vivre du podcast depuis le début. Avec Actu SF, nous proposons des épisodes sponsorisés pour les éditeurs avec un tarif abordable. Depuis 2020, nous avons travaillé avec une vingtaine de maisons d’édition. L’éditeur décide d’un titre et nous faisons ensuite une interview que nous partageons à nos auditeurs. Je m’occupe du montage ainsi que de la réalisation. On est très sollicités par le monde de la BD et de manga qui ont souvent plus de budgets avec leurs lancements.
De plus en plus de libraires signalent que nous faisons vendre des livres. Suite à mon récent épisode sur Le Problème à Trois Corps de Liu Cixin avec le traducteur Gwennaël Gaffric, une trentaine de personnes m’ont envoyé des messages pour me dire qu’ils avaient acheté le premier roman et seulement deux jours après nous avoir écoutés. Un des objectifs du podcast est d’encourager les gens à lire et surtout à remettre les pieds en librairie.
Je réfléchis d’ailleurs à proposer des goodies aux libraires. Si un client hésite à découvrir un livre, entendre le podcast peut le convaincre de se lancer. La recommandation par la voix est souvent très efficace.
SF, maintenant Fantasy : jusqu’où la Lloyd Chéry Inc. se développera-t-elle ?
Lloyd Chéry : Dans l’espace, j’espère (rire) ! Mon idée a toujours été de monter un label premium avec de l’audio, des beaux livres et des vidéos et que tout soit connecté et pertinent sur un beau site internet. Je suis évidemment très heureux de la tournure que prennent les évènements. Le podcast sur la science-fiction est identifié et reconnu par la presse. Des festivals prestigieux comme Étonnant Voyageur souhaitent faire des partenariats avec nous.
Mon aventure avec l’Atalante et les éditions Leha dans la publication du Mook Dune et de sa version collector Tout sur Dune a été un succès avec plus de 20 000 exemplaires vendus. Le prochain numéro sortira j’espère en 2023 sur un autre classique de la science-fiction. La fantasy est une nouvelle étape qui répond surtout à une demande des auditeurs et des éditeurs. Rien que l’annonce du lancement de C’est Plus que de la Fantasy en septembre prochain a généré beaucoup d’attente et de retweet en l’espace de 24 h. Les gens souhaitent écouter leurs auteurs préférés ou des spécialistes sur des franchises clés.
Dans les projets futurs, je prépare un prix littéraire pour la BD de SF qui sera normalement bien doté, un festival dans le cinéma du Club de l’Étoile avec une librairie éphémère et un casting de rêve. Un gros éditeur a fait appel à moi pour animer des lives Twitch à la rentrée et nous discutons avec un acteur clé du jeu de rôle pour travailler ensemble. Je réfléchis à développer des vidéos YouTube de qualité et surtout à me lancer dans la création de masterclass littéraires en ligne.
Beaucoup de gens rêvent d’arriver à pouvoir publier des romans de fantasy et de science-fiction et je pense pouvoir proposer un service qui permettrait de perfectionner son récit, son style, ou son univers en mettant en lien les aspirants auteurs avec des plumes confirmées. Recevoir des conseils venant d’auteurs ayant écrit des grands textes me semble important pour avancer. J’ai aussi envie de constituer une équipe de « guerriers spirituels » pour paraphraser Alejandro Jorodorowsky. J’envisage de prendre un(e) apprenti(e) ou un(e) stagiaire, car on a tendance à l’oublier, mais je suis pratiquement seul dans cette aventure.
Le constat s’est régulièrement opéré : les littératures de l’Imaginaire ont du mal à se faire une place. De votre point de vue, quelles seraient les raisons — pour peu que cela soit vrai, finalement ?
Lloyd Chéry : Le problème reste encore le trop grand mépris des institutions. Il n’y a pas de musée de la science-fiction alors que nous sommes un des pays précurseurs du genre par exemple. ActuaLitté a très bien couvert l’évènement, mais le récent Salon du Livre de Paris n’a même pas invité des auteurs de fantasy ou de science-fiction pour ses tables rondes, un comble !
L’imaginaire n’est pas toujours un enjeu pour les éditeurs. Il suffit de voir le faible budget marketing pour les gros éditeurs ou les éditeurs poches afin de mettre en avant les meilleurs titres. Heureusement Gallimard Jeunesse, Robert Laffont ou Le Livre de Poche sont encore capables de faire des grosses campagnes d’affichages dans le métro. Il faut noter le travail fantastique des libraires indépendants ou des libraires Fnac qui sont de véritables passeurs. Mais comme je le disais plus haut, tout n’est pas perdu ! Je constate un changement générationnel avec les jeunes journalistes ou les jeunes qui rejoignent l’édition et qui ont un goût pour l’imaginaire.
L’imaginaire est maintenant omniprésent sur les plateformes de streaming et nous voyons des choses qui étaient inconcevables par le passé. Canal + vient de produire deux excellentes séries de science-fiction (OVNI et Infiniti) par exemple. Je ne suis pas inquiet, car le renouvellement des générations joue en faveur du genre.
crédits photo : MARTYSEB CC 0
1 Commentaire
BCD
09/05/2022 à 16:55
Il y a du "fond" et des "avaloirs", on aurait aimé trouver du "fonds" (invariable en archive, librairie et bibliothèque) et des "à-valoir"...
En tout cas bonne continuation à M. Chéry !