Les voisins et les passants ne s’en émeuvent pas outre mesure : c'est là, c'est là. D’ailleurs, depuis six mois que cette poubelle devenue gigantesque, a commencé à se constituer, elle a grandi de jour en jour. Journaux, livres, magazines s’empilent les uns sur les autres — il faut bien que le quartier alimente cette décharge aussi improvisée qu’insolite… Alors, on n'en parle pas trop ?
Au cœur de la capitale italienne, le mystère s’épaissit et prend de l'ampleur— littéralement. Via dei Delfini, voilà donc au moins six mois qu’un dépotoir n’accueillant que presse et ouvrages s’est formé. Une installation qui suscite pourtant la curiosité des habitants autant que des touristes — surtout que cette étrangeté est située à quelques encablures du Capitole. Entre la place Margana et la via dei Funari, le quartier fleure d’ordinaire l’histoire, la sainteté autant que la mémoire. Que le banc serve désormais plus aux papiers usagés qu’aux amoureux qui s’y bécotaient, on le tolère finalement.
La vision devient surréaliste, souligne Il Tempo, mais pas si étonnante, dès lors que l’on fait un tour dans les alentours : les sacs de poubelles débordantes de déchets ménagers pullulent. Des campements de fortune où se sont installés des sans-abri ont poussé au pied de l’église adjacente, Santa Caterina dei Funari. Et les exemples se multiplient de même que la liste des incivilités s’allonge : sacs plastiques, cartons souillés, etc.
Au cours des années passées, Rome a déjà souffert de ce mauvais traitement des poubelles, obligeant parfois locaux et voyageurs à littéralement slalomer entre les ordures. Quant à l’apparition de ce monstre de papiers, il ne préoccupe que modérément, même si les théories abondent pour en expliquer la constitution.
Sculpture post-moderne pour les plus désinvoltes, kiosque à information urbain pour les plus déconnectés. Il serait même possible que ce soient là les traces d’une ancienne boutique ayant fermé, et dont le nouveau propriétaire aurait évacué les vestiges… directement dans la rue. Dans tous les cas, on se demande pourquoi la mairie n’a pas pris les dispositions nécessaires pour faire disparaître ce stock.
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Au-delà de la triste anecdote, la ville fait face, une fois de plus, à des risques sanitaires réels : depuis mi-mars, la fermeture d’une nouvelle décharge en périphérie a provoqué l’inquiétude des pouvoirs publics et de citoyens. Le risque serait de voir quelque 200 tonnes de déchets dans les rues non collectés. Et la résolution de cette question tarde toujours à venir.
L’histoire de ce banc à papier rappellera, sans trop faire sourire non plus, l'apparition de panneaux publicitaires, organisés par les services municipaux. Une affiche avertissait les citoyens romains de ne pas laisser leurs déchets dans les rues, et d’apporter leurs encombrants dans les lieux de collecte appropriés. L’image illustrant cette bonne parole n’était, ni plus ni moins… qu’un empilage de livres manifestement abandonnés au pied d’un immeuble.
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La campagne de communication cherchait bel et bien à susciter l’indignation des citoyens, avec un résultat qui dépassait les espérances.
La société mandatée pour collecter les déchets avait dû se défendre non de considérer les livres comme des encombrants à évacuer, mais d’avoir besoin d’en arriver à ce point de provocation. Le PDG, Stefano Zaaghis, avait alors de qualifié de « non-civilisés », ou primates pour simplifier, les habitants qui jetaient les livres de la sorte — les assimilant à un téléviseur cassé, un matelas hors d’usage ou un frigo irréparable.
Mais la cerise sur le gâteau, en la matière, restera la campagne de communication orchestrée par le groupe écologiste de la cité de Corato (Pouilles), qui invitait les citoyens à privilégier les produits durables. Qui exercent donc « un impact moindre sur l’environnement ». Avec cet appel au sens civique : « Produire moins de déchets, c’est ton choix. »
Or, brillante idée, pour illustrer l’affichage, avait été mis en opposition un livre papier et une liseuse. Le premier, avec ses pages sales et son ambiance de fond terne, était donc opposé à l’écran à base d’encre électronique, sur un fond vert bien plus écolofriendly… sans trop de considération pour les métaux rares et lourds utilisés dans la fabrication de ces appareils.
Grisante approche !
crédits photo : Valentina Conti/Il Tempo
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
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