Née en 1992, Hadia Armaghan a grandi à Mazâr-e Charîf, une grande ville du nord de l'Afghanistan. La découverte de la poésie arabe, et notamment persane, est une révélation, et elle ne tarde pas à écrire elle-même des poèmes, s'inspirant d'une tradition séculaire. Réfugiée en Allemagne et de passage au festival Le Livre à Metz, elle a évoqué ce précieux héritage...
ActuaLitté : Vous avez créé Partaw, une fondation culturelle indépendante pour les femmes basée à Mazâr-e Charîf. Quelle est la mission de Partaw ?
Hadia Armaghan : À Mazâr-e Charîf, où j'ai passé ma jeunesse, il n'y avait pas d'organisations orientées vers les femmes, en particulier pour les autrices. La création de Partaw est tout simplement née de ce constat.
Les événements organisés par Partaw sont variés : nous lisons les œuvres de poètes du monde entier, nous donnons des conférences sur ces écrivains, et nous enseignons les origines de la poésie persane. Nous procédons aussi à des lectures et à des échanges sur les créations des unes et des autres, et à des sortes d’entrainement, avec des défis d’écriture. Parfois, avec du thé et des gâteaux, pour rendre le tout plus convivial.
Quel a été l'accueil réservé à Partaw par la population ?
Hadia Armaghan : En tant que femmes, nous avions un peu de liberté, avant l’arrivée des Talibans du moins. Mais nous n’avons toutefois reçu aucun soutien avant l’ouverture de notre projet, à l'exception de l'aide du gouvernement provincial de Mazâr-e Charîf, qui nous a fourni un espace dans le hall de la bibliothèque municipale, pour y organiser nos réunions.
Il y a eu quelques problèmes au début, parce que ce genre de réunion avait quelque chose d’inédit en Afghanistan. Les parents des participantes, notamment, se posaient beaucoup de questions vis-à-vis de la présence de leurs filles à ces rencontres. Mais, une fois que les informations sur Partaw et ses actions ont circulé, dans les médias et entre les participantes, l'organisation a été mieux comprise.
L'apprentissage de la poésie et l'héritage poétique sont-ils passés au second plan dans la culture afghane ?
Hadia Armaghan : Après la guerre d'Afghanistan, à la fin des années 1980, la poésie a été reléguée au second plan. Or, avant cette guerre, les poètes célèbres faisaient l'objet d'un enseignement suivi, comme Rābiʿa Balkhī, une des premières poètesse de la poésie néo-persane, au Xe siècle.
Avec l’arrivée des groupes terroristes, l’idée que des filles aillent à l’école ou à l’université est devenue impensable, et l’enseignement de la poésie, surtout écrite par des femmes, est devenue dangereuse à leurs yeux. Globalement, les élèves d’Afghanistan restent peu informés de la tradition poétique, ou de la place des femmes au sein de celle-ci.
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Quelles sont vos préférences en matière de poésie ?
Hadia Armaghan : Schématiquement, on compte dans la poésie persane deux styles : ghazal représente la poésie classique, et sepid une nouvelle forme poétique, que l’on retrouve notamment en Iran.
Personnellement, je suis très attaché au ghazal, car j'en ai lu énormément, notamment Rābiʿa Balkhī, et, plus généralement, tous les poètes classiques, comme Rumi, un des plus célèbres d’entre eux… Écrire un ghazal représente une sorte de défi, en raison des nombreuses règles.
Sepid désigne un poème moderne, que les auteurs personnalisent : Ahmad Shamlou (1925-2000), poète iranien, a ainsi créé la forme shamlou, que d'autres poètes ont reprise à sa suite.
Quand avez-vous commencé à écrire ?
Hadia Armaghan : À l’école, nous avions un cours consacré à la littérature, qui m’intéressait beaucoup. J’y ai découvert les poèmes ghazal, et les auteurs qui l’ont pratiqué. J’ai écrit mon premier ghazal dans le cadre de ce cours, que j’ai pu lire à ma professeure ensuite, laquelle m’a encouragé à continuer.
Je me suis ensuite rapprochée de l’organisation PEN Afghanistan : il n’y avait que des hommes, à l’époque. Avec deux ou trois amies, nous y sommes allées pour assister aux débats et rencontres, où les membres lisaient leurs poèmes et nouvelles. Quand j’ai proposé de lire mes poèmes à mon tour, la surprise a été générale ! J’ai, ici aussi, été encouragée et soutenue, et on nous a proposé de revenir chaque semaine, pour les réunions hebdomadaires.
J'y ai appris beaucoup sur les structures des poèmes, les sujets de prédilection des textes ghazal. Certains auteurs de poèmes sepid sont aussi venus à ces réunions, et les conférences m'ont permis de découvrir Forough Farrokhzad (1934-1967), qui écrivait sur des sujets bien particuliers, en rupture, comme le corps, les rôles et les problèmes des femmes.
Avez-vous publié des textes en Afghanistan ?
Hadia Armaghan : J’ai publié mon premier livre l’année dernière, qui réunit dix années de travaux, avec des ghazal, des sepid et d’autres textes.
Quand les Talibans ont accédé au pouvoir, la situation est devenue dangereuse pour moi et ma famille, car je travaille dans le secteur des médias et faisais partie d'une commission pour l’indépendance des femmes afghanes. Avec mon mari et mes enfants, nous avons tout quitté, tout laissé derrière nous, livres, ordinateur, foyer… Aujourd’hui, tous les vols vers l’Afghanistan sont fermés, et tous mes recueils sont restés là-bas.
Avez-vous continué à écrire depuis votre arrivée en Europe ?
Hadia Armaghan : Quand je suis arrivée en Europe, j’ai écrit plusieurs ghazal sur mon pays, les gens qui y vivent et que j’ai laissée là-bas, mon travail, le peuple afghan affamé, contraint de vendre leurs enfants, les écoles pour filles fermées par les Talibans… L’écriture est aussi un moyen de faire en sorte que le monde n’oublie pas l’Afghanistan. J’écris en persan, mais je suis très heureuse que mes poèmes se trouvent traduits en français, c’est très important pour moi.
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