La Shoah… Il est encore bien difficile de faire entrer les atrocités commises à cette période dans la discipline histoire. Comment faire pour l’étudier comme « simple » fait historique ? Mis à part les générations les plus jeunes, nous avons tous connu des gens qui ont fait la guerre, des grands-parents, des amis de la famille, des inconnus. Cette Seconde Guerre mondiale qui semble si lointaine est encore très proche, comme encore présente. Ce qui se passe en Ukraine en ce moment en est la preuve directe. Pourquoi croyez-vous que la date du 8 mai soit perçue comme une date butoir ?
Le 12/04/2022 à 12:11 par Audrey Le Roy
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Publié le :
12/04/2022 à 12:11
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Et pourtant, comment expliquer qu’environ 20 % des plus jeunes disent n’avoir jamais entendu parler de la Shoah ? Peut-être que dans ces 20 %, figurent quelques mômes qui dorment en cours, d’autres qui rêvent à leurs histoires de cœur et ils ont bien raison, mais 20 %, rendez-vous compte ! Il ne peut s’agir que du fait d’enfants rêveurs pendant les cours. Le problème vient donc forcément d’ailleurs. Quand des professeurs ont peur de faire cours sur ce sujet, par crainte de représailles dont ils pourraient être victimes, on se dit que l’être humain a la mémoire courte.
Rappelez-vous que des enfants, des handicapés, des opposants politiques, des soldats mutilés, et qui donc ne servaient plus à rien, ont également été exterminés. Que dans Mein Kampf, les Arabes sont inclus dans « l’infériorité raciale des Sémites » ! Imaginez donc les millions de morts supplémentaires si les Alliés avaient perdu cette guerre.
Cette Nouvelle histoire de la Shoah, dirigée par Alexandre Bande, Pierre-Jérôme Biscarat et Olivier Lalieu, publiée chez Passés/Composés, est remarquable, car terriblement factuelle. Le but avoué étant de transmettre aux jeunes générations, en fournissant des clés de lectures précises pouvant également servir d’arguments face aux propos, de nouveau en forte croissance, des négationnistes et autres complotistes. « Les polémiques récentes, en particulier sur le rôle supposément favorable de l’État français à l’égard des Juifs de France, ont révélé la persistance de manques et d’approximations sur ces enjeux majeurs. »
En reprenant les faits historiques, en étudiant l’attitude du peuple juif face à la répression et aux déportations, en redonnant les bonnes définitions et les spécificités du génocide, en parlant aussi du sort des Tsiganes, de la « posture du monde musulman » et des connaissances qu’avaient les Alliés de ce qui se passait, ce livre donne les outils aux lecteurs, aux plus jeunes, mais également aux enseignants (une grande partie de ce livre leur est destiné) afin que les faits ne soient plus contestés.
Pour cela il faut commencer par se poser des questions : de quoi s’inspire l’idéologie nazie ? Qu’entend-elle par « hygiène raciale » ? L’idéologie nazie s’est construite sur les « idées eugéniques du XIXe siècle et de l’intérêt des scientifiques pour les origines de l’humanité, qui s’est développée à la suite de la parution de l’ouvrage de Charles Darwin en 1859. » Certains esprits non éclairés en ont déduit qu’il fallait, tout comme dans le règne animal, sacrifier les plus faibles. Plutôt que d’applaudir des deux mains en pensant aux progrès de la médecine depuis des siècles, ils ont tiré comme conclusion que des faibles, même soignés, déséquilibraient la société.
Hitler ne souhaitait que des êtres humains en bonne santé ! Exit les enfants malades, « entre 1940 et 1945, environ 5000 enfants physiquement déformés et handicapés mentaux furent assassinés au nom d’une idéologie mortifère », exit les malades mentaux, « la recherche contemporaine estime qu’environ 260.000 personnes ont été victimes de la “guerre nazie contre les malades” » et comme on ne sait pas si cela est contagieux ou pas, dans le doute, entre 1933 et 1939 on estime qu’entre 200.000 et 350.000 personnes ont été stérilisées de force.
Mais alors, pourquoi le peuple juif ? En quoi aux yeux d’Hitler et des antisémites de tous poils, les Juifs étaient-ils un élément d’affaiblissement de la société ? Nous connaissons la réponse sensée à ces questions, en rien !
Mais quand on cherche un coupable pour proposer des idées nouvelles, on trouve. Dans nos sociétés chrétiennes, le peuple juif est celui qui n’a pas reconnu Jésus comme messie, celui qui n’a rien fait pour le sauver des mains propres de Ponce Pilate et, depuis, nos sociétés le lui font payer. Ainsi, le Juif est le coupable idéal. En outre, comme ce peuple est chassé de partout, il est de fait établi partout, ce qui donne des arguments aux adeptes du complot mondial. Le peuple juif se fond dans la nature, il ne se voit pas, d’où l’importance de le rendre visible, ce fut le cas au Moyen Âge avec la rouelle et sous Hitler avec l’étoile jaune.
Être juif, ça n’est pas comme être chrétien, c’est aussi faire partie d’un peuple avec ses traditions, « la judéité déborde du cadre de la religion ». Enfin, les clichés veulent que ce peuple soit un peuple d’élites. Il faut dire que quand on retire tout à une personne, il ne lui reste plus que ses mains et son cerveau pour réussir, mais dans certaines sociétés percluses de fainéants, on aime bien taper sur ceux qui réussissent, et si en plus ils sont juifs, alors là c’est le jackpot !
Alors, lorsqu’à l’été 1941, l’invasion de l’URSS ne se passe pas exactement comme prévu, « l’adéquation entre résistance soviétique et péril juif devient un élément justifiant le passage à l’acte ».
Plus de 1000 ghettos vont être créés dans l’est de l’Europe, là où vivaient les trois quarts des futures victimes de la Shoah. Ces ghettos — dont Varsovie fut le premier et le plus grand, mais non pas le plus représentatif — pouvaient être, en fonction de l’importance de la population juive, ouverts ou fermés, voire inutiles, « il n’était en effet pas nécessaire d’instaurer un ghetto quand on pouvait assassiner immédiatement et sur place. »
Peu de personnes en ont réchappé, beaucoup mouraient sur place : à Varsovie plus de 100.000 personnes décèdent durant les 18 premiers mois, par manque de tout. La condition dans les ghettos nous est connue grâce à quelques témoignages de survivants, comme celui de Franci Rabinek Epstein, évoqué l'an passé.
C’est à la mi-septembre 1941 qu’Hitler « ordonne que le territoire de l’Allemagne soit débarrassé de toute présence juive », mais il ne faut pas s’y tromper, à cette période une grande partie de l’Europe est antisémite et beaucoup n’ont pas attendu les ordres du Führer pour agir. Ainsi, on estime « qu’à la fin de l’année 1941, plus d’un million de Juifs ont été assassinés à travers l’Europe orientale et balkanique, sans qu’il s’agisse encore de la “Solution finale” elle-même. »
Quand nous parlons de la Shoah, nous pensons assez instantanément aux camps et plus précisément à Auschwitz. L’étendue de l’horreur est bien plus vaste. Les historiens ont eu un lourd travail de recherche afin de faire connaître et admettre la Shoah par balles. Les sources pourtant ne manquent pas : rapports, minutes de procès (des centaines de milliers de pages), témoignages (bourreaux, civils allemands, quelques rares rescapés).
Mais les fusillades ne laissent que peu de traces une fois que tout a été fait pour les effacer et ça n’est que quand nous tombons sur des charniers que l’horreur saute aux yeux. À ce jour, plus de 2 millions de Juifs ont été recensés comme ayant été fusillés par les nazis : 1,6 million en Ukraine, 500.000 en Biélorussie, 120.000 en Russie. Ceux qui n’étaient pas fusillés étaient « déportés et assassinés dans des centres de mise à mort, asphyxiés dans des camions à gaz, empoisonnés, ensevelis vivants ou jetés dans des puits ».
Les fusillades répondaient à un schéma type qui se développait en 5 étapes : le rassemblement, le déplacement, le déshabillage, la fusillade et le pillage. Cela demandait une lourde logistique et donc la réquisition de la population la plus proche, « sans les réquisitionnés, dont le rôle logistique a été important, la Shoah par balles n’aurait pas été possible ».
Concernant les centres de mise à mort, les premiers furent installés en URSS. Les SS, toujours très pragmatiques, avaient pris grand soin à en choisir les emplacements et quelque temps après leur mise en marche, faisaient remonter les premières notes afin d’améliorer les conditions… de travail des assassins : « Dans l’analyse qu’il fait [Jeckeln – dirigeant d’un des plus importants groupes d’unité mobile d’extermination] des cinq mois d’activité de son kommando, on ne trouve pas mention d’états d’âme de son unité, pourtant responsable de l’assassinat de 137 346 personnes. En revanche, il insiste sur les problèmes organisationnels que les tueurs doivent affronter à chaque fois qu’ils arrivent dans une nouvelle localité : rassembler les Juifs, creuser des fosses, acheminer les futures victimes, protéger le périmètre qui n’est pas clôturé, etc. »
Les hommes employés pour gérer ces centres de mise à mort sont souvent ceux qui œuvraient déjà pour l’assassinat des enfants, malades, etc.
« La plupart des tentatives d’échapper aux exécutions se soldèrent par un échec. L’histoire du sauvetage dans ces régions est le récit de l’exception, de chances extraordinaires. […] Chaque histoire de sauvetage est unique. » Pour se sauver, les Juifs n’ont pas énormément de solutions : la fuite, la clandestinité, la fausse identité. En outre, pour fuir, il fallait avoir une conscience accrue de ce qui se passait. Aujourd’hui, nous n’avons plus de doute, mais pour beaucoup de Juifs allemands, polonais, russes, etc., il était totalement inimaginable de prévoir cela.
Il fallait aussi accepter de remettre sa vie, et bien souvent celle de sa famille, entre les mains d’inconnus, non-juifs, qui eux-mêmes prenaient des risques et qui n’étaient pas tous seulement motivés par des intentions louables. Les cas de monnayage, de chantage et de violence ne sont pas rares, loin de là. « La contrepartie exigée pour ce sauvetage pouvait être terrible : être dépouillé de ses derniers deniers, de ses derniers biens, de son propre corps. »
Le viol comme crime de guerre est un sujet encore tabou et pourtant il existe, il n’y a qu’à voir ce qui se passe en Ukraine et dans bien d’autres pays encore. Quand le viol émane de personnes qui sont censées vous sauver, l’horreur est à son paroxysme, mais pour de nombreuses raisons, dont l’époque, les femmes victimes l’ont assez peu dénoncé : « seuls 39 témoignages parmi les 52.000 interviews de la USC Schoah Foundation, évoquent les viols perpétrés sur les femmes juives par “la personne qui les aidait” ».
« Le concept de “Juste parmi les nations”, titre délivré depuis 1953 par le mémorial de Yad Vashem […] confère une noblesse à l’acte de sauver, mais n’exprime pas la souffrance que constitua cette expérience du sauvetage pour tant de rescapés, ni l’ambiguïté des liens existant entre sauveteurs et sauvés. »
Qu’en était-il en France et que savaient les Alliés ? Contrairement à ce que l’on peut entendre ici ou là, ce qui « sauva » les Juifs de France (74.150 de Juives et Juifs déportés sur 200.000 non-déportés) ce sont surtout les lourdeurs de l’administration française et les résistants, dont les mouvements de résistance juive. Mais certainement pas le gouvernement de l’époque ! Les Alliés, de leur côté, étaient fort bien au courant du drame qui était en train de s’opérer, des raisons militaires et politiques « empêchant » a priori de ne rien faire d’autre que de condamner… comme une histoire de déjà-vu.
Rappelons que grâce à Alan Turing, mathématicien de génie, les Alliés avaient réussi à déchiffrer Enigma, le code allemand. Avouer qu’ils avaient une connaissance du génocide en cours revenait à avouer leur capacité à décrypter des milliers de messages et donc s’exposer à ce que les nazis changent de méthode… la vie est peu de choses. Ce livre est à mettre au programme scolaire ! Précis dans le rappel des faits et pédagogique, il devrait également être mis dans les mains de tous ceux qui sont tombés dans le négationnisme, malheureusement, nous doutons qu’ils ouvrent un jour cet ouvrage.
Paru le 01/09/2021
416 pages
Passés Composés
24,00 €
1 Commentaire
Claire
21/04/2022 à 12:09
Cet extrait est remarquable. Il faut absolument que tous les enseignants prennent connaissance de ce livre où les textes sont clairs, précis, factuels. Un livre à lire et à offrir.