ENTRETIEN - Adaptation du roman Freshta de Petra Procházkova, le film d'animation My Sunny Maad sera diffusé dans les salles de cinéma sous le titre Ma Famille Afghane dès ce mercredi 27 avril. Herra, jeune femme d’origine tchèque, quitte tout pour épouser Nazir, désireux de retourner en Afghanistan. Le film, qui suit le regard d'une femme européenne dans un pays aux traditions diamétralement opposées, est notamment nommé aux Golden Globes. Sa réalisatrice, Michaela Pavlátová, nous a accordé un entretien.
Le 26/04/2022 à 16:02 par La rédaction
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Publié le :
26/04/2022 à 16:02
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ActuaLitté : Comment en êtes-vous arrivée à adapter Freshta de Petra Procházkova ? Quel est votre lien avec le roman ?
Michaela Pavlátová : Je cherchais un thème pour mon prochain film. Je ne savais qu'une seule chose : je voulais un personnage féminin intéressant, mais aussi une histoire complexe qui pourrait presque être utilisée pour un film non animé. Souvent, dans les films d'animation, les histoires et les personnages sont simplifiés, ce qui les rend parfois ennuyeux.
C’est pour cela que je voulais un véritable scénario ou un véritable livre sur lequel m’appuyer. Un jour, j'ai acheté le livre Freshta de Petra Procházkova. J’ai d’abord pensé que c’était un accident, une coïncidence ; et puis je me suis rappelée que le nom me disait quelque chose. Mon producteur avait déjà mentionné qu’il avait un joli script basé sur ce livre.
L’histoire du film était un peu plus longue à la base ; j'ai mis du temps à me mettre sur le projet, il y avait deux directeurs tchèques qui avaient eu l’idée d’adapter le livre en un film. Ils ont demandé à l'un d'entre eux d’en faire une adaptation animée. Cependant, la production n’a pas réussi à trouver les fonds et le film a été mis en pause.
Quand j’ai rejoint le projet, je savais que le scénario existait ; et même si nous avions beaucoup de changements à faire, puisque c’était pour un film d’animation, je savais que le travail d’adaptation - qui est l’une des étapes les plus importantes - était déjà bien avancé.
Nous avons été surprises par la façon dont vous avez utilisé les couleurs et la musique. Vous avez fait des sections monochromatiques pour les parties plus heureuses, plus libres ; et d'autres sections sont bien plus tristes. Pouvez-vous expliquer vos choix de couleurs ?
Michaela Pavlátová : Les couleurs sont quelque chose que vous pouvez utiliser pour soutenir l'histoire, ou la rendre plus forte - surtout en animation. C'est pourquoi au début et à la fin, elles sont plus pâles. C'est aussi pour cela qu'on retrouve un lien entre le titre du film [My Sunny Maad, en anglais, Maad étant le nom d'un des personnages, soit Mon Maad solaire, NdR] et les couleurs, à la fin : j'aime faire des boucles, des allers-retours, dans mes films.
Le livre semble inspiré de la propre vie de Petra Procházkova. Selon vous, quelle place tient-elle dans ce roman, et dans votre adaptation ?
Michaela Pavlátová : Le livre est écrit comme une série de petits épisodes et d’observations de petits détails du quotidien. Petra est une journaliste tchèque, principalement reporter de guerre, qui aime aller dans les endroits où il y a des conflits, dans les endroits qui ne sont pas sûrs. Elle est partie en Afghanistan, elle y a rencontré son mari ; c’est donc, en effet, basé sur son histoire, même si elle préfère dire que ce n’est pas à propos d’elle.
Pour l’animation, et pour l’adaptation de manière générale, il fallait réduire le nombre d'épisodes, mais les scénaristes avaient déjà fait un très bon travail. C’était vraiment difficile de choisir ce qui resterait dans le film. Comme je voulais mettre le personnage de Herra au centre du film, il a également fallu réduire le nombre de personnages et revoir le script déjà existant : pour le film, elle restait un personnage secondaire important, mais pas le personnage central. Il y a donc eu beaucoup de modifications entre le livre, la première adaptation et celle pour le film d’animation.
Petra explique d'ailleurs que tous les personnages du film sont comme un assemblage de ses amis ; il était vraiment important de les écrire comme ça, de combiner les personnages pour qu’ils ne soient pas reconnaissables. En Afghanistan, l’intimité est très importante. C’est pour cela qu’elle a fait en sorte que personne ne puisse être clairement identifié, à l’exception du personnage du grand-père puisqu’il était déjà décédé : elle pouvait donc dire que c'était lui.
Je reste cependant persuadée que l’écrivaine est très présente dans le livre. À l’origine, le personnage principal, Herra n’est pas tchèque, mais tadjik [peuple iranien, NdR]. Quand Petra était en Afghanistan, elle avait une amie tadjik qui l’aidait avec la traduction. Mais j’ai vraiment l’impression que Herra est Petra, elle ne peut pas me tromper en me faisant croire qu’il ne s’agit pas d’elle.
Le livre est tellement gracieux dans son observation d’un univers distinct. On y rencontre des gens qui vivent dans des conditions contraires aux nôtres, avec une religion différente ; pourtant, le lecteur continue de ressentir toutes les similitudes qu’ils ont avec nous. Par exemple, l’intimité d’une famille qui partage des rêves quotidiens et des désirs normaux comme nous. Simplement, cette famille ne vit pas en Europe, mais dans un endroit bien plus lointain.
Le personnage principal, Herra, rapporte tout ce qu’elle voit avec beaucoup d’humour. Le livre est écrit de telle sorte que Petra raconte l’histoire et fait des commentaires sur tout ce qu’elle vit, sur chacune de ses expériences. Je me rappelle des commentaires très amusants que vous et moi aurions pu faire de notre point de vue européen. C’est ce que j'ai trouvé le plus attirant.
Pourquoi avoir choisi le titre My Sunny Maad ? Quelle importance particulière revêt le personnage de Maad [un petit garçon, victime de malformation, adopté par le couple Nazir - Herra, NdR] par rapport à celui de Freshta, pourtant titre du roman ?
Michaela Pavlátová : Nous sommes tous d'accord pour dire que Freshta n'est qu'un personnage secondaire. L’écrivaine, Petra, l’a également affirmé. Mais elle a expliqué vouloir nommer son livre Freshta parce que Freshta fait le plus grand pas, le plus grand choix, le plus grand changement dans sa vie.
J'aimerais beaucoup que le film s'appelle Herra, ou quelque chose en référence au nom du personnage principal. Mais quand on fait un film, il y a toujours beaucoup de gens qui donnent leur avis ; et leurs avis sont très importants parce qu'ils sont aussi expérimentés. Il se trouve qu'actuellement, ce n'est pas « sexy » de mettre le nom du personnage principal comme titre : c'est une vieille mode. On m’a donc recommandé de ne pas mettre Herra en titre principal.
De plus, en République Tchèque, il y a une marque de beurre appelée « Hera ». Ce n'est pas la même orthographe, mais le nom du film rappelait à chacun cette marque de beurre. Mon producteur a donc refusé ce titre, du moins pour la République Tchèque.
Quand nous avons fait le premier pitching du dessin animé à Bordeaux, nous avions besoin d'un titre et nous savions qu'il devait être positif, et à ce moment-là, au milieu du développement, Maad était plus central, alors nous l'avons nommé ainsi. Quand la fin du film est arrivée, nous pensions changer, mais nous n'avons rien trouvé de différent. Nous avons donc gardé My Sunny Maad. Nous voulions aussi, et surtout, donner à Maad un peu plus de place dans le film.
Il est aussi intéressant de constater que le distributeur français a utilisé un autre titre, Ma famille Afghane, et qu'ils ont fait une affiche différente. Cela ne m’a pas plu, au début ; puis, j'ai réalisé que ce n'était pas grave, parce qu'ils savent ce qu'ils font. Ils ont de l'expérience et ils savent comment faire, je n’ai donc rien dit.
Votre film est nommé aux Golden Globes 2022 dans la catégorie film d'animation. Comment analysez-vous un accueil aussi important des États-Unis, pourtant partie prenante de la guerre d’Afghanistan ?
Michaela Pavlátová : Être nommé dans cette compétition américaine était totalement imprévisible. Quand l'équipe et moi-même y sommes allés, nous avons essayé de faire tout ce qu'il fallait pour qu'il soit nominé aux Oscars. Il faut, pour cela, passer par beaucoup d'étapes : des diffusions spécifiques à Los Angeles, le diffuser au cinéma au moins sept jours consécutifs ...
Je faisais beaucoup de formations et d'interviews. Et ce que les gens m'ont dit, c'est qu'ils étaient touchés, mais surpris par la complexité de l'histoire et du drame. Le film aborde de nombreux sujets sensibles, comme la guerre en Afghanistan, ou la place des femmes dans cette société. Pour eux, nombre de films d'animation ne parlent de rien, ou utilisent le même schéma. Les histoires se répètent.
Je parle surtout des studios de cinéma. Quand vous allez aux États-Unis, vous réalisez que l'animation, ou du moins les films d'animation, est une industrie importante. À côté, il y a les films européens. Ce sont deux types de films différents.
Cette nomination aux Golden Globes était un vrai coup de théâtre. J'ai lu un article dans la presse américaine, dans lequel les auteurs étaient surpris : comment est-il possible qu'un film européen, que personne ne connaît, ait éliminé des films des studios Disney ? C'était une grande satisfaction. Ils ne s'attendaient absolument pas à ce que notre adaptation puisse faire cela.
La chose la plus difficile à faire était de convaincre les gens de le voir. Il y a tellement de films des grands studios, qui ont de très grands moyens. Nous n'avions pas la même force. Aujourd'hui, c'est chose faite. Il est nommé aux Golden Globes. C'est un miracle.
Propos recueillis en anglais par Barbara Fasseur et Clémence Leboucher, le jeudi 7 avril 2022
Crédits : Michaela Pavlátová par Jan Malir
1 Commentaire
Aradigme
10/05/2022 à 09:29
“En Afghanistan, l’intimité est très importante”. Exact. Cela se marque d'ailleurs dans le costume féminin local, la burka. Difficile de faire plus intime...