#PenuriePapier – Le papier, celui dont on risquait de manquer pour imprimer le prix Goncourt 2022, se porte finalement bien. L’industrie papetière réunie ce 23 mars, présentait un bilan de l’année 2021. Carton, papiers, pâte marchande, autant d’éléments dont la production aura atteint 7,4 milliards de tonnes l’an passé, avec 5,9 milliards € de chiffre d’affaires. Une hausse de 25 % en regard de 2020 porteuse d’espoirs, malgré le contexte.
Copacel, syndicat professionnel réunissant les industries carton, papier et cellulose, présentait donc les chiffres du marché avec un rebond de l’activité spécifiquement sur l’emballage, avec 9,7 % de croissance, pour le papier et le carton. Les usages graphiques affichent 8,7 % de hausse, mais enregistraient un recul de 26,7 % en 2020. Aussi la tendance s’inscrirait dans la tendance constatée depuis les années 2000.
Précisons que le papier d’hygiène recule de 1,8 %, mais le tonnage produit en 2021 demeure le même qu’en 2019, après l’explosion de 2020. Reste que si le marché se redresse, 2021 n’a pas retrouvé l’ampleur de 2019 : Paul-Antoine Lacour, délégué général de Copacel le note : « On a compensé la moitié du chemin suite à la période du covid. »
2021 se caractérise cependant par des hausses de production et d’allongements des délais de livraison — la fameuse pénurie amplement détaillée l’an passé. Copacel insiste d’ailleurs : « Il n’y a pas de pénurie. Il y a des tensions sur la livraison : un client qui souhaiterait un velum de 100 obtiendrait 80 et le reste, suivant un échéancier étalé. » Une nuance savourable. Par ailleurs, à la récession de 2020 a succédé une croissance du PIB en 2021 — entraînant une hausse de prix pour les matières premières. Un effet d’accordéon, qui a conduit à une augmentation de 160 % du cours des cartons ondulés, par exemple.
À cela s’ajoutent les coûts de l’énergie qui ont enflé dès l’été dernier — gaz ou électricité ont subi une multiplication de 3 voire 5. Autant de facteurs impliquant la revalorisation des prix de ventes papiers et cartons, aux différentes étapes. Enfin, les délais de livraison ont déstabilisé le fragile équilibre entre demande et offre. Pour les papiers graphiques, on souligne plus spécifiquement « la conversion ou l’arrêt […] de machines produisant » cette matière.
À LIRE: la pénurie de papier, menace pour la démocratie ?
La conférence donne l’opportunité de tordre le cou à certaines contre-vérités. Ainsi, la livraison de pâte n’a pas provoqué de goulot d’étranglement, contrairement à ce que la presse a pu affirmer. De fait, dans le monde, la consommation de pâte a diminué de 4 % — notamment du fait des consignes données en Chine de restriction de la production. En Europe, cette consommation est en hausse de 3,4 %.
Les tensions subies ont bel et bien découlé « de problèmes liés à la logistique maritime internationale », indiquait Paul-Antoine Lacour. Autrement dit, les conteneurs, le fret et les contraintes portuaires.
L’avenir incite à croiser les doigts, d’autant que le conflit déclenché par la Russie en Ukraine complique les échanges mondiaux. Pour le premier trimestre, les carnets de commandes sont remplis, et les producteurs de papiers graphiques « bénéficient d’une situation où l’outil de production européen est sous-capacitaire ». Un élément inédit depuis ces 15 dernières années.
Reste que la combinaison de l’inflation, du conflit ukrainien, des hausses tarifaires de l’énergie, avec une crise Covid pas encore dépassée « obscurcit l’horizon ». Le contexte macro-économique se durcit donc, et il reviendra au futur exécutif « d’engager des politiques publiques visant à réduire ces incertitudes », pointe Philippe d’Adhémar, président de Copacel. Et plus encore concernant la fourniture d’énergie.
Si les échanges commerciaux (exports papiers et cartons) avec Ukraine et Russie restent minimes, voire nuls pour la pâte, quelques éléments, à la marge, finiront par peser à mesure que le conflit s’installera. En outre, le report du fret routier vers un fret maritime, depuis l’Asie, n’améliorera pas les problématiques logistiques post-Covid. Et à ce titre, le déficit des chauffeurs ukrainiens appuie un peu plus encore sur enjeux autour de l’import/export.
Car en la matière l’industrie papetière est touchée de près : particulièrement vorace en matière tant de gaz que d’électricité, qui ont conduit plusieurs entreprises à l’étranger à annoncer des arrêts de production. Or, « la France a été pénalisée par le faible taux de charge des centrales nucléaires », poursuit Paul-Antoine Lacour. Un autre élément qui a fait basculer le coût de l’électricité.
Enfin, les coûts des quotas de CO2 ont aussi leur part, avec une envolée provoquée par l’anticipation des besoins et des mouvements spéculatifs. Mais cet élément touchant les entreprises qui produisent l’énergie, il aura des répercussions financières par la suite.
Pour Philippe d’Adhémar, président de Copacel, « le marché se rééquilibre avec transformation de l’activité ». La mutation de l’industrie présente donc cette bascule vers l’emballage et le conditionnement, qui compensent des pertes sur les papiers graphiques et le déficit commercial qui en découle. En parallèle, « nous traversons une phase d’importants projets d’investissements, déjà réalisés, en cours ou à venir », jamais vue à ce niveau. Enfin, l’adoption en ce mois de mars 2022 d’une feuille de route de décarbonisation plaide en faveur de l’industrie. Cette dernière a déjà réduit les émissions de gaz à effet de serre de 55 % entre 2005 et 2020.
À LIRE: Pénurie et inflation du papier : l'impression européenne sonne l'alarme
Pour autant, la croissance devant une inflation difficile à maîtriser laisser planer de nombreuses zones d’ombre. Avec ces chauds et froids, gare à ne pas s'enrhumer...
L’été dernier, l’édition s’interrogeait sur l’accès au papier, pour imprimer ses ouvrages — en regard des retards grandissants dans la livraison et l’impression. Des doutes qui allaient jusqu’à s’inquiéter de pouvoir imprimer le prix Goncourt — sinon réaliser les réimpressions. Au terme de l’année 2021, quand certains clamaient qu’il suffisait d’une gestion en bon père de famille, la résilience est de mise.
Pourtant, des éléments conjoncturels sévissent : les sites de production en Finlande de la société UPM, récemment entrés en grève, posent de sérieuses questions. « En tant qu’acteur majeur, ce débrayage aura des conséquences et l’on ne peut qu’espérer une sortie de crise au terme des discussions en cours au sein du groupe », reprend Paul-Antoine Lacour.
Mais voilà : dans toute la famille des papiers graphiques, le secteur de l’édition affiche l’activité dont la santé est la meilleure. « Les craintes de voir les liseuses supplanter le marché du papier sont lointaines, le développement de l’ebook est marginal », poursuit le président de Copacel. « Après 2021, le secteur de l’édition se porte bien, voire très bien. » Et ce, contrairement à la presse qui souffre beaucoup.
En outre, les volumes de papier « demeurent relativement modestes au final, et plus faciles à fournir », reprend Paul-Antoine Lacour. Ainsi, quand la grande distribution demande un tirage d’imprimés publicitaires (qui relève des usages graphiques), les volumes deviennent nettement plus significatifs.
Les éditeurs ont émis des craintes sur la livraison de papier — encore qu’il faudrait opérer des distinctions entre bouffant, couché, etc. « Personnellement, je n’ai pas eu connaissance de tirages annulés du fait de la pénurie de papier », conclut le président. « Le secteur est en bonne santé, mais pas dans une situation idéale : en 2019, il suffisait d’appeler son imprimeur pour réserver une commande. Aujourd’hui, la logistique devient bien plus complexe et contraint à une organisation bien plus rigoureuse. »
crédits photo : fancycrave1/Unsplash ; ActuaLitté, CC BY SA 2.0
DOSSIER - Pénurie de papier : crise et tensions dans le monde du livre
Commenter cet article