Le centre commercial, un lieu littéraire comme un autre ?

Faisant partie de notre quotidien depuis déjà un certain nombre de décennies, les centres commerciaux ont progressivement gagné aussi leur place dans les œuvres littéraires de la littérature contemporaine. En même temps que l’espace périurbain se modifiait, l’univers romanesque s’ouvrait à ces grands magasins, pour en souligner la poésie comme la laideur.

Le 23/03/2022 à 14:58 par Victor De Sepausy

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23/03/2022 à 14:58

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Souvenons-nous d’Au Bonheur des Dames (1885) de Zola. La modernité commerciale des grands magasins parisiens apparus sous le Second Empire se faisait une place dans la littérature, d’une façon qui, à l’époque, n’était pas dénuée de scandale. La première vague d’attaques contre les œuvres à dimension naturaliste signées par Zola était cependant déjà derrière l’artiste. Toutefois, cela n'a pas empêché certains critiques de s'interroger : où donc l’écriture artistique allait-elle se perdre en décrivant le trivial, le commercial, et le matérialisme citadin émergeant ?

Avec ce roman monumental dédié à des magasins qui ne le sont pas moins, Zola donne à saisir l’air de son temps. Si d’un côté des géants commerciaux naissent et se développent, ils en viennent nécessairement à dévorer le petit commerce qui, s'il ne sait s'adapter, périclite. Pour l’écrivain, c’est aussi dans l’ordre des choses, avec le constat d’un certain darwinisme commercial : « Agir, créer, se battre contre les faits, les vaincre ou être vaincu par eux, toute la joie et toute la santé humaines sont là ! »

Inspiré du concept américain de mall, qui naît dans les années 1950, le centre commercial moderne arrive en France une décennie plus tard. Il se caractérise par la place faite à la voiture, avec de gigantesques parkings. Mais le gigantisme se retrouve aussi dans la surface de vente qui s’offre au consommateur avide d’achats et de nouveautés. Les grandes surfaces, comme on les appelle, font venir le client grâce à la publicité, ainsi du catalogue Carrefour par exemple. Dans son essai intitulé La Société de consommation, et publié en 1970, Jean Baudriard s’intéressait alors à la magie de la vitrine dans ces univers de l’artificialité. 

Le philosophe s’amuse à décrire la poésie particulière de ces lieux devenus de véritables temples dédiés à la consommation. « Le travelling des vitrines, leur féerie calculée qui est toujours en même temps une frustration, cette valse-hésitation du shopping, c'est la danse canaque d'exaltation des biens avant l'échange. Les objets et les produits s'y offrent dans une mise en scène glorieuse, dans une ostentation sacralisante ». Et de conclure que les grands centres commerciaux constituent un lieu qui « renforce [la] cohésion, comme dans les fêtes et les spectacles ». 

Il n’y a qu’à se promener un samedi dans un de ces paradis du consommateur pour se rendre compte à quel point Jean Baudriard avait raison. Si la pandémie a quelque peu mis à mal cet écosystème, il semble avoir rapidement repris du poil de la bête. Malgré l’explosion des achats faits sur la Toile, le lèche-vitrine en famille ou entre amis a encore devant lui de beaux jours de gloire. 

Dotée d’un regard habituellement assez acéré mais éminemment sociologique, Annie Ernaux a joué le jeu des notes prises au cours de ses déambulations dans le centre commercial qu’elle fréquente, à proximité de chez elle, comme n’importe quel citoyen. Publié en 2014, Regarde les lumières mon amour propose une petite compilation de ces notes descriptives, donnant à voir le réel, dans sa brutalité déconcertante, aussi riche que désarmante. On découvre alors l'hypermarché Auchan de Cergy dans le centre commercial des Trois-Fontaines, sous un regard différent, car, de fait, ce temple de la consommation, devient un objet littéraire comme un autre finalement. 

Selon les rayons, on observe des clients distincts. Ce que l’écrivaine observait alors a, depuis, été largement confirmé par la segmentation de plus en plus aiguë des surfaces de vente, selon les classes sociales. Il y a Lidl d’un côté, les grandes enseignes bien connues de l’autre, et, dans un monde à part mais en plein boom, les magasins bio. A chacun ses étals de préférence, selon ses goûts, selon sa classe. 

Si l’on veut découvrir les grandes surfaces de l’autre côté du miroir, rien de tel que Les Tribulations d’une caissière (2009). Tout est parti d’un blog, celui tenu par Anna Sam, une caissière rennaise qui s’amusait à mettre par écrit, avec légèreté et ironie, son quotidien, parfois fort surprenant, avec des clients qui ne passaient pas inaperçus ! Le blog a connu une fréquentation exponentielle. Il a donc été transformé en livre, avec un succès très important. L'ouvrage a été traduit dans de nombreuses langues. Autant de regards qui se croisent sur notre modernité commerciale.

Crédits illustration Pexels CC 0

 
 
 
 
 

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