Au cours des deux dernières années, de nombreuses maisons d'édition en Italie se sont engagées à créer de nouvelles collections. C'est un signe de l'importance et de la vitalité de la pratique éditoriale italienne, ainsi que de l’ouverture à l'expérimentation de nouveaux contenus et contenants de la part des éditeurs. Et cela implique des maisons d'édition historiques comme Einaudi tout comme des structures d'édition plus récentes et petites comme Minimum Fax ou Nottetempo.
Le 14/03/2022 à 11:39 par Federica Malinverno
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14/03/2022 à 11:39
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Une maison d’édition importante et centrale dans l’histoire de l’édition italienne comme Einaudi a récemment créé deux nouvelles collections : la première, I Quanti, a un caractère expérimental qui la lie à l’expérience du confinement ; la seconde, Unici, montre la volonté de la maison d’investir dans les primo-romanciers et, en particulier, dans des textes « uniques », singuliers tant par leur style que par leur contenu.
Quanti est une collection de livres électroniques. Il s’agit de textes courts et agiles, conçus pour être lus en une seule fois, peut-être sur un téléphone portable, « allant de la fiction à la non-fiction, avec les infinies nuances qui les séparent, de l’essai personnel au reportage journalistique, du pamphlet à la nouvelle » (Il Libraio).
Il s’agit également d’un format hybride, entre un magazine et une collection. En effet cette collection peut également être « conçue comme un magazine déconstruit et assemblé » (Il Libraio). Chaque lecteur peut construire sa propre table des matières, lire les livres dans l’ordre qu’il préfère et s’orienter ainsi dans ce nouveau paysage.
Chaque « numéro » du magazine est consacré à un thème, une question (le premier est le thème des espoirs), un sentiment qui, tel un fil rouge, unit les différents livres numériques. Quatre ou cinq Quanti seront publiés pour chaque numéro, trois fois par an, « dans le but de récupérer l’âme historique de l’atelier éditorial voulu par Giulio Einaudi, et de l’imaginer projeté dans le futur numérique ».
Les responsables de la collection (Francesco Guglieri, Andrea Mattacheo e Marco Peano) expliquent la naissance de ce projet à Rivista Studio : « Pendant le confinement, nous sommes tombés sur de très bons textes, le genre de textes qui seraient “excitants” pour un éditeur : cependant, ils étaient trop courts pour faire un livre et trop longs pour être mis en ligne. Il existe un format intermédiaire qui échappe traditionnellement aux mailles de l’édition traditionnelle et qui, en même temps, n’est pas très adapté aux magazines italiens. Nous aurions pu nous contenter d’une collection de courts livres numériques, comme l’ont fait d’autres éditeurs, mais nous voulions quelque chose qui soit aussi un moyen de rétablir le contact, de recréer une discussion entre les textes, les auteurs et les lecteurs : un magazine, en somme ».
Il était donc important de réfléchir à la forme de ces textes, quelque part entre l’article et le court essai, qui méritaient de trouver un contenant approprié, ainsi qu’adapté à une discussion entre les lecteurs : « Certains numéros sont des expansions de textes conçus à l’origine pour des journaux, des radios ou des conférences », expliquent encore les éditeurs à Rivista Studio, dans le but de montrer comment ces textes sont hybrides et fluides, destinés à changer de forme, à être modifiés.
Enfin, il est important de souligner que la technologie numérique est un outil important pour les projets hybrides et ouverts tels que ceux-ci : « Nous aimons l’idée d’un laboratoire, d’un lieu où nous pouvons expérimenter. Et pour l’instant, le web est le territoire idéal pour faire tout cela. »
Parmi les auteurs des premiers textes figurent Paolo Giordano et Antonella Lattanzi. Le format de Quanti les rapproche enfin de la collection Microgrammi d’Adelphi, née en 2020, qui accueilli des livres numériques « en miniature ».
Par ailleurs la collection Unici, lancée en février 2022, représente la recherche d’un nouvel espace pour accueillir des textes qui n’ont pas trouvé leur place dans les autres collections de la maison : « Nous avons ressenti le besoin d’un espace supplémentaire, un véritable espace de liberté. Et un espace pour prendre des risques. Un espace pour les auteurs qui publient leur premier roman, peut-être après avoir publié quelques essais, nouvelles ou poèmes. Nous continuerons à publier des auteurs débutants dans les autres séries, Supercoralli, Coralli et Arcipelago, mais dans Unici, nous aurons la possibilité de publier des livres qui n’auraient pas toujours trouvé leur place naturelle dans les autres séries. Ce sont des romans que nous avons beaucoup aimés, avant tout, et que nous voulons faire connaître à un large public. Des romans qui nous ont frappés par leur caractère très particulier, très personnel : unique, en fait », explique à ilLibraio.it Dalia Oggero, éditrice de fiction italienne chez Einaudi et directrice de la nouvelle collection.
« Les Unici sont vraiment, dans notre esprit, un espace pour ce qui n’avait pas de forme auparavant (...). Ils ont des frères et sœurs, bien sûr, mais ils sont tous uniques à leur manière », explique encore Dalia Oggero.
Il y aura trois titres par an, des textes particuliers souvent écrits sous une forme particulière, comme Nonostante tutte de Filippo Maria Battaglia, un livre construit à partir de documents dans lesquels s’expriment des femmes du vingtième siècle, qui vise à faire émerger un profil des femmes du vingtième siècle sans parler avec la voix de l’auteur, mais en laissant les femmes parler directement.
En septembre 2021, Einaudi a également repris la publication d’une collection historique, Gli struzzi (Les autruches), créée en 1970, qui a publié pendant plus de trente-huit ans certains des auteurs les plus célèbres de la littérature, mais aussi du théâtre et de la poésie du XXe siècle.
Le dernier livre de la célèbre collection d’Einaudi a été publié en 2008. Les publications ont repris à l’automne de l’année dernière sous la direction du directeur de publication d’Einaudi, Ernesto Franco.
Une autre maison d’édition a été protagoniste d’une importante et novatrice initiative éditoriale. Il s’agit de Minimum fax, une maison d’édition indépendante de taille moyenne, fondée à Rome en 1993 et initialement spécialisée dans la littérature nord-américaine, qui a créé la collection Gli introvabili en décembre 2021. L’objectif est de remettre sur le marché des livres qui n’y sont plus depuis longtemps.
Luca Briasco, directeur éditorial de Minimum Fax et créateur de la collection, dont le commissaire est Alfredo Lavarini, explique à l’agence de presse Dire : « Nous nous sommes rendu compte que nous avions tous des livres que nous avions perdus en chemin, que nous ne pouvions plus trouver. Le marché produit des milliers de livres par an et a un taux d’obsolescence effrayant, les livres disparaissent. L’idée est de récupérer certains d’entre eux et de découvrir s’ils ont encore une signification aujourd’hui. Il arrive que des livres qui ne nous disaient rien il y a trente ans soient maintenant capables d’expliquer le présent. »
La collection comprend des textes italiens et étrangers. L’initiative est intéressante aussi pour le lien qu’elle instaure avec la communauté des lecteurs : « L’idée derrière cette collection est aussi d’impliquer la communauté des lecteurs. C’est pourquoi nous sommes en train de construire une section sur le site web où les lecteurs, les libraires, tout le monde peut nous parler de ses livres personnels qui sont difficiles à trouver — souligne encore Briasco —. Jusqu’à présent, plus de six cents propositions sont parvenues à la maison d’édition (…). »
Voici donc les deux premières publications : La bocca del lupo (La gueule du loup) de Remigio Zena, un chef-d’œuvre du vérisme tardif qui se déroule à Gênes, et La veglia a Benicarlò (La veillée à Benicarlò) de Manuel Azana, écrit en 1937.
Sellerio, la maison d’édition de Palerme connue dans le monde entier pour les livres de Camilleri, a créé en juillet 2021 une nouvelle collection économique en partie liée aux intentions des Introvabili de Minimum fax : il s’agit de Promemoria — un titre qui évoque la célèbre collection La memoria de Sellerio — qui, dans les intentions de la maison d’édition, se veut « une aide, une suggestion pour se souvenir et redécouvrir des lectures qui ne sont plus, ou sont difficiles à trouver ». L’objectif est donc de republier des œuvres d’hier et d’aujourd’hui qui ne doivent pas être oubliées.
Les premiers titres sont donc de nouvelles éditions, par exemple Uomini nudi de Alicia Giménez-Bartlett, Pista nera de Antonio Manzini ou L’ultima provincia de Luisa Adorno.
Enfin, une collection qui remet en auge la théorie et la critique littéraire est la nouvelle proposition de Nottetempo, une maison d’édition fondée en 2002 par Ginevra Bompiani, Roberta Einaudi et Andrea Gessner, publiant des essais et des œuvres de fiction, avec un catalogue très large et différencié. Elle s’appelle Extrema ratio.
Les éditeurs sont très convaincus de la nécessité de leur proposition courageuse : cette collection est née « d’un acte de foi dans une discipline qui, à notre avis, peut encore avoir un poids décisif dans les débats culturels et politiques actuels, et de la conviction que la critique et la théorie littéraires restent des lectures essentielles (…) en général pour toute personne cultivée. C’est pourquoi nous voulons reproduire certains des textes les plus importants sur la théorie et la critique parus au XXe siècle dans un nouveau format et avec de nouvelles introductions, mais aussi publier des essais inédits écrits par des figures majeures de la critique contemporaine et des travaux importants de jeunes chercheurs. En plus d’être un acte de confiance envers la critique, “Extrema ratio” est né d’un acte de confiance envers le plus illustre et le plus profond des arts, la littérature ».
C’est ainsi donc que les éditeurs expliquent à l’important blog culturel italien Minima e Moralia leur projet : republier des textes fondamentaux de critique littéraire ainsi que des nouveaux auteurs.
Le livre de Franco Moretti, Falso Movimento, est sorti en janvier ; le texte d’Erich Auerbach, Letteratura mondiale e metodo, avec un essai de Guido Mazzoni, est prévu pour mars.
crédits photo : Drew Beamer/Unsplash
Par Federica Malinverno
Contact : federicamalinverno01@gmail.com
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