En descendant du bus, Palmi se dirige vers l’hôpital où il vient régulièrement depuis qu’il était enfant. Au début, c’était avec sa mère. Puis, quand celle-ci est décédée, il est venu seul comme il le lui avait promis. Pour voir son frère. Même s’il redoutait ces instants.
Voir Daniel, assommé de calmants et ne recevant pour tous soins que ces médicaments dans cet établissement devenu lugubre à la suite de toutes les coupes budgétaires qui l’avaient fait basculer d’hôpital psychiatrique à entrepôt pour malades mentaux, n’avait rien de particulièrement gai ou enthousiasmant : une visite hebdomadaire qu’il n’effectuait maintenant que par devoir fraternel.
À son arrivée, une certaine agitation règne dans le bâtiment et le personnel l’informe rapidement que Daniel est en pleine crise, brisant tout autour de lui et refusant de se laisser approcher. Quand Palmi parvient enfin auprès de son frère, celui-ci profère des propos qui lui semblent incohérents accusant le personnel de l’empoisonner et ressassant des souvenirs datant de sa scolarité.
Alors qu’il paraît avoir retrouvé un brin de sérénité après les quelques mots échangés avec son frère, Daniel embrasse Palmi sur le front et saute résolument par la fenêtre du 5e étage...
À l’autre bout de Reykjavik, le même jour, dans une vieille petite maison de bois, Halldor Svavarsson, un vieux professeur à la retraite, meurt dans l’incendie de sa maison. La police venue constater le décès ne peut que conclure à un incident criminel, car, à l’évidence, de l’essence a été utilisée pour alimenter les flammes : le bidon qui la contenait a été retrouvé, vide, dans le jardinet et les pompiers sont formels quant à l’origine de l’incendie.
Mais, plus convaincant encore, le vieux monsieur a été retrouvé ligoté sur une chaise avec des liens dont le caractère ignifuge est indubitable : il a dû voir son assassin et le connaissait, car aucune effraction n’est enregistrée sur la porte et aucun cri n’a été perçu dans le voisinage proche. Mais il a, sans aucun doute, vu arriver sa mort avec l’horrible certitude de ne pas y échapper. Du coup, c’est la police criminelle qui est appelée pour prendre l’affaire en mains : une équipe de choc avec le commissaire Erlendur et son adjoint Sigurdur Oli.
De son côté, Palmi, profondément choqué par le suicide de Daniel sous ses yeux, est accablé de remords de ne pas avoir été capable de surmonter ses réticences face à la maladie de ce frère qu’il a surtout vu, depuis son enfance, dans cet établissement de soins et dont il prend soudain conscience de ne pas le connaître vraiment.
Et c’est ainsi que, questionnant le personnel soignant, il découvre rapidement que, les semaines précédant son suicide, Daniel a régulièrement reçu les visites d’un vieux monsieur qui avait été son professeur dans l’école de Reykjavik qu’il fréquentait et qui s’appelait Halldor…
Mû par le désir de se racheter de son abandon et de son incapacité à empêcher le suicide de son frère, Palmi engage, de son côté, une enquête.
Encore une enquête qui va permettre à Arnaldur Indridason de nous entraîner dans les arcanes peu ragoûtants de l’âme humaine et dans les travers les plus haïssables de la cupidité, de la soif de pouvoir et du mépris de ses semblables.
Les personnages sont taillés à la serpe et chaque page dévoile progressivement l’immense engrenage dans lequel les deux morts du début de l’ouvrage sont liés : une immense machination les dépasse, les broie, les engloutit jusqu’à ce point final de leur vie qui est le début du roman.
Parce que l’un comme l’autre est affaibli (Daniel parce que c’était juste un adolescent, Halldor parce que son passé n’est pas exempt d’une certaine noirceur), ils ont été pris pour cible par ce qu’il convient de qualifier de prédateur sans foi ni loi.
Halldor rumine ce passé qui le crucifie dans une culpabilité qui l’empêche de se rebeller contre les pressions qu’il subit. Et se retrouve entre les mains d’apprentis sorciers (dont on peut se douter qu’ils n’ont pas seulement proliféré en Islande, les exactions nazies en étant la plus évidente confirmation…) machiavéliques et monstrueux.
Daniel n’en finit pas d’être rongé par les dégradations psychiques qu’il a subies et qui l’ont conduit à tomber toujours plus bas à chaque pas : l’alcool, puis la drogue. Pour compenser puis pour oublier. Parce que le manque aurait été totalement insoutenable.
La culpabilité de l’un l’entraîne dans une déchéance morale qui provoque une culpabilité supplémentaire.
La folie de l’autre n’est que la conséquence d’une médecine qui baisse les bras face aux maladies psychiques doublées des effets pervers et délétères des anciens traitements chimiques subis : le résultat conjugué de l’invraisemblable morgue des apprentis sorciers peu enclins à montrer toute la réalité de leurs agissements au grand jour puis de l’incroyable inconséquence de soignants désinvoltes et bien éloignés des principes du serment d’Hippocrate (mais je ne sais pas si ce serment existe aussi en Islande...).
Finalement, les enquêtes parallèles de Palmi et d’Erlendur ne sont pas, comme c’est souvent le cas dans les romans policiers d’Arnaldur Indridason, le sujet essentiel de cet ouvrage. Une fois encore, il en profite pour dénoncer les agissements d’humains au détriment d’autres humains qui portent un coup fatal à toute la foi qu’on pourrait donner à la soi-disant intelligence des Sapiens ! Un rien est capable de faire basculer l’humanité de la Théorie de la Relativité à la bombe atomique, de la Révolution Française à la terreur, de la Recherche Médicale à la transformation d’êtres humains en cobayes dans les camps de concentration.
Le final, plutôt optimiste, de ce roman laisse en suspens toute une kyrielle de questions éthiques, politiques, juridiques... sans pour autant apporter une solution définitive, car celle-ci buttera toujours sur trois mots : argent, compromissions (petites et grandes) et pouvoir.
Paru le 03/10/2019
358 pages
Points
7,80 €
Paru le 11/03/2021
384 pages
Points
7,95 €
Paru le 04/02/2021
343 pages
Editions Métailié
21,50 €
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