La décision du 24 octobre dernier aura permis « de gagner du temps », assure le Comité Pluridisciplinaire des Artistes-Auteurs (CAAP). Le syndicat avait porté l’affaire devant le Conseil d’État, qui lui a donné raison, condamnant par conséquent le ministère de la Culture pour « excès de pouvoir ». Mais au coeur de cet arrêt se nichent « les racines du mal », indique-t-on à ActuaLitté.
Le 20/01/2022 à 16:22 par Nicolas Gary
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20/01/2022 à 16:22
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Pour Katerine Louineau, représentante du CAAP, « le décret mis en échec par le Conseil d’État démontrait combien le ministère de la Culture a à cœur de satisfaire tous les désirs des Organismes de Gestion Collective. Voire d’aller au-devant. » Sans trop de surprise, soulignons que la rue de Valois n’a toujours pas répondu à nos différentes demandes — la politique de l’autruche a de l’avenir.
« Dans ce décret était indiqué que les OGC allaient siéger dans le conseil d’administration de la sécurité sociale des artistes-auteurs — en somme, l’Agessa/MDA. Or, depuis la création du régime, le législateur, à juste titre, n’a jamais donné de sièges délibératifs aux OGC. Seuls les partenaires sociaux ont droit de vote dans les conseils d’administration des organismes de sécurité sociale du régime général , le régime des artistes-auteurs est rattaché au régime général et les partenaires sociaux sont les syndicats des artistes-auteurs et les organisations professionnelles des diffuseurs », précise Katerine Louineau.
Et d'ajouter : « Notamment, le précompte de nos cotisations parfois opéré par les OGC et par nos diffuseurs ne les transforme pas en “représentants” des artistes-auteurs. Si le précompte équivalait à un mandat de représentation, les employeurs – qui précomptent les cotisations sociales des salariés – représenteraient … les salariés à la place des syndicats de salariés ! »
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Pourquoi priver les OGC de cette présence ? « Pourquoi priver votre agent immobilier d’aller voter à votre place aux prochaines élections présidentielles ? » répond-elle avec humour. « La question de la représentation est indissociable de celle du mandat, nous mandatons nos OGC pour gérer tout ou partie de nos droits d’auteur patrimoniaux, point barre. Nous aimons beaucoup nos OGC mais ce ne sont ni nos syndicats, ni nos nounous, ni nos employeurs. Ils n’ont ni compétence, ni mandat, ni qualité pour nous “représenter” dans notre régime de protection sociale. Ce n’est ni leur métier, ni leur rôle. »
Et de poursuivre : « Jusqu’à la réforme de 2018, la SACEM, la SACD et la SCAM pouvaient assister sans droit de vote aux réunions du conseil d’administration de l’Agessa uniquement en raison des conventions que ces sociétés privées passaient avec l’Agessa, désormais aucune convention n’est signée avec l’Agessa. Parallèlement, aucun OGC n’a jamais siégé, même en observatrice, dans le conseil d’administration de la MDA. »
En introduisant en effet un décret qui accordait aux OGC de siéger avec une voix non plus consultative, mais délibérative, le MCC piétinait allégrement le Code de la sécurité sociale. Malgré les alertes du CAAP, Fabrice Benkimoun — sous-directeur des affaires financières et générales du MCC, lui aussi silencieux sur le sujet — n’a écouté que son courage et donc rédigé un décret hors la loi. Point que le Conseil d’État n’a pas apprécié : de fait, seules les personnes représentant les catégories socioprofessionnelles concernées sont habilitées à siéger. Et voter.
Les organisations d’auteurs savent combien M. Benkimoun sert leurs intérêts : c’est à lui que l’on doit l’idée de soumettre les prix littéraires à l’impôt. Là encore, en toute illégalité.
« Il y avait urgence, parce qu’une fois le décret adopté, le délai pour faire un recours est de deux mois », reprend Katerine Louineau. « Certains OGC considèrent que les auteurs leur appartiennent corps et biens, c’est franchement choquant. Ils jouent obstinément à pousse-toi-de-là-que-je-m’y-mette avec les syndicats d’artistes-auteurs. Cet état de fait ne gêne pas le ministère de la Culture qui au contraire s’avère régulièrement complice. Cet état de fait ne gêne pas non plus certaines organisations d’auteurs, notamment celles qui sont généreusement financées par les OGC concernés. »
Pour elle, c'est l'impossible dialogue social qui se prolonge : « Marginaliser les syndicats d’artistes-auteurs, fausser le dialogue social et “en même temps” s’étonner que les problèmes administratifs, sociaux et économiques des artistes-auteurs persistent depuis des décennies, de qui se moque-t-on ? »
Plus sérieux encore, selon le CAAP, ce premier “essai” — aujourd’hui raté — risque fort d’être transformé à l’avenir en raison de la « soumission permanente du ministère de la Culture aux desiderata des OGC, tous gouvernements confondus ».
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Selon Katerine Louineau « chez les OGC, nul doute que cette condamnation du Conseil d’État est un crime de lèse-majesté, ils vont donc demander à leur serviteur, le ministère de la Culture, de mieux s’appliquer la prochaine fois. La prochaine étape, assez logiquement, sera alors de faire changer la loi pour qu’un prochain décret y soit conforme. Et que les OGC obtiennent alors gain de cause. »
L’ingérence à marche forcée des OGC, a minima interrogée — voire totalement remise en cause pour certains — illustre « une instrumentalisation des auteurs par les OGC qui nous porte régulièrement préjudice, nous ne sommes les “choses” de personne ! Si vous nous piquez, ne saignons-nous pas ? » conclut Katerine Louineau.
La directrice de la Ligue des auteurs professionnels, Stéphanie Le Cam, ne dit pas autre chose : « La Ligue a plusieurs fois demandé que la question de la représentation des auteurs soit fixée : le ministère traîne en longueur sur la question. Il faut simplement qu’elle soit clarifiée, car sans représentation forte, leurs problématiques professionnelles ne sont pas traitées. Chaque acteur, qu’il soit un OGC ou un syndicat, a un rôle à jouer dans l’écosystème. Or, tant que ce rôle n’est pas clairement défini, tout le monde joue des coudes pour ne pas être exclu de la gestion de tel ou tel dossier. »
La question a surtout une dimension politique : « Exclus de la gestion du régime de protection sociale, ils perdraient du terrain dans un contexte de crise de représentativité sans précédent. On comprend l’enjeu, mais si les OGC ont bien un rôle à jouer dans certains secteurs, ils n’ont aucune légitimité à discuter de la protection sociale des auteurs », poursuit la juriste, maître de conférences à l’université Rennes 2.
Pour autant, en quoi la présence des OGC dans le pilotage du régime social serait-elle nuisible ? « L’objet d’un organisme de gestion collective n’est pas la défense des intérêts de professionnels. Il est en cela profondément différent de l’objet d’un syndicat. D’abord, certains OGC sont composés d’auteurs, certes, mais également d’éditeurs, et cette dichotomie devrait de facto les priver de la capacité de dire qu’ils sont des “représentants d’auteurs”. »
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Une autre raison est plus importante encore. Stéphanie Le Cam reprend : « Les OGC les plus puissants hiérarchisent leurs sociétaires et leur attribuent des grades et un nombre de voix plus important en fonction de paliers de rémunérations. Il en résulte que celles et ceux qui ont la possibilité d’intégrer leur conseil d’administration sont les auteurs les plus riches. Or, là on parle de l’administration de la protection sociale des auteurs : c’est-à-dire de la manière dont on doit faire face à l’avènement des risques de la vie (maladie, vieillesse…), ces risques qui nous confrontent à des diminutions de revenus et des augmentations de dépenses de santé. »
Ces questions ne peuvent pas être confiées à des personnes « qui n’ont peut-être aucune idée des réalités économiques des plus précaires… Et c’est la différence essentielle entre un syndicat et un OGC : le syndicat défend les intérêts de toute la profession et de toutes les réalités sociales et économiques vécues par le corps qui l’exerce », insiste Stéphanie Le Cam.
Au final, la condamnation du ministère de la Culture relève « d’un énième combat où David triomphe de Goliath, et il faut s’en réjouir. Mais plusieurs points demeurent et le risque que le ministère de la Culture soit dans l’incapacité de s'affranchir des OGC doit être pris au sérieux. On voit bien que celui-ci a beaucoup de mal à jouer son rôle de médiateur et c’est inquiétant. »
La prochaine législature aura-t-elle pour priorité de modifier la loi pour répondre aux attentes des OGC ? « Nous verrons bien si le prochain locataire de Valois en fait un sujet immédiat : les directions générales des OGC ne manqueront certainement pas d’y travailler », conclut la directrice de la Ligue.
On se souvient que Franck Riester, précédent occupant du ministère, avait reconnu le problème de la représentativité, et la nécessité d’une réflexion. Depuis remplacé par Roselyne Bachelot, cette dernière avait ostensiblement montré son désintérêt de la chose, en déclarant : « Quant au reste, régler les conflits qu’il y a entre les artistes-auteurs, je préférerais régler les conflits territoriaux en mer de Chine, ce serait plus simple pour moi. » La tutelle a ses raisons, qui laisse souvent la raison désemparée.
La Société civile des auteurs multimédia (Scam) apporte plusieurs précisions. D'abord, sur la question des sièges prévus pour le Conseil d’administration MDA/Agessa : si la SACD et la SACEM en obtiendraient de toute évidence un, de par leur poids économique, quid du troisième ? ADAGP ou Scam ? « Ce point n’a pas été discuté avec le ministère de la Culture et donc il n’est pas tranché à ce stade », nous répond Hervé Rony, directeur général de la Scam. Ce qui laisse comprendre que la question de la présence des OGC au CA serait, en revanche, réglée. Chose que le Conseil d'État a justement sanctionnée, soit dit en passant.
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Justement, quel est l'enjeu pour les OGC que de siéger dans l’instance liée au régime social des artistes-auteurs ? « Les sociétés d’auteurs versent des droits d’auteur à leurs membres, effectuent les précomptes sociaux pour les auteurs en traitements et salaires, effectuent des déclarations auprès des organismes sociaux, accompagnent et informent leurs membres sur leur régime social et fiscal… et représentent les intérêts matériels et moraux de leurs membres », énumère la Scam. Un raisonnement qui justifierait alors que toute structure offrant des services de conseils ou d’informations aux artistes-auteurs soit fondée à siéger.
En outre, sur nombre de sujets « ayant trait à la protection sociale, les OGC, aux côtés d’organisations professionnelles d’auteurs, ont porté des avancées sociales ou des revendications essentielles pour les auteurs et autrices », souligne le directeur général.
À savoir, au cours des six dernières années : « Compensation de la CSG, négociation d’un dispositif de régularisation des cotisations prescrites, préservation du régime des auteurs dans le cadre du projet de réforme des retraites, nouvelle définition des revenus principaux et accessoires d’auteurs, mise en place des fonds COVID adaptés à la situation des auteurs en traitements et salaires et prise en compte de la variabilité de leur rémunération, demande de clarification des règles fiscales applicables aux auteurs et autrices, mise à disposition des certificats de précomptes aux auteurs, valorisation des droits au compte personnel formation… »
Quant à emboîter le pas à l'une des propositions formulées par la Ligue des auteurs professionnels – la mesure 15 plus spécifiquement – de distinguer le rôle de chaque acteur dans l’écosystème, la Scam ne s'y oppose pas. « Distinguer le rôle de chaque acteur, pourquoi pas, mais ce n’est pas de distinction dont il est question, mais d’exclusion, par conséquent la Scam ne peut accepter une telle mesure », conclut Hervé Rony.
Crédits photo : Vicky Sim/Unsplash ; Fernando Jorge/Unsplash
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
8 Commentaires
plop
20/01/2022 à 20:17
Bonsoir,
ça plop dans l'incipit : "La décision du 24 octobre dernier"...difficile à trouver en ces termes puisqu'elle est du 20 octobre dernier. "le Comité Comité Pluridisciplinaire des Artistes-Auteurs (CAAP)"...de Comité en comité mais tout de même.
Et sur le fond...pourquoi ne pas préciser qu'il s'agit d'une simple application de la hiérarchie des normes? Il y a excès de pouvoir parce qu'un décret n'a pas vocation à modifier une loi.
Plic
21/01/2022 à 07:15
Sur le fond, je trouve ça très intéressant d’essayer de comprendre comment on en arrive à un ministère qui tente d’inverser la hiérarchie des normes, et il me semble que les éléments soulevés dans cet article sont étayés et argumentés. A mon sens, il manque un élément, qui est que depuis 1985, le gouvernement français a mis en place un système de fiscalité affectée qui ne dit pas son nom. Le principe fiscal est en principe celui de l’universalité budgétaire. Tous les impôts et les taxes doivent être mis dans un gros pot commun. Et depuis la Révolution française, seul le Parlement est autorisé à « affecter » le produit des impôts et taxes. Depuis les années 80, on assiste à une multiplication des taxes dites « affectées ». A chaque fois elles doivent être expressément autorisées par le législateur, et son aujourd’hui recensées par la Cour des Comptes. Le système mis en place depuis 1985 et les OGC est un système plus « fourbe » vis à vis du législateur, mais surtout du citoyen. Il consiste à qualifier de « redevances » une rémunération prévue au profit des auteurs. Avec cette qualification et cette justification, on échappe à la problématique du contrôle des « impôts et taxes » par le législateur, vu que c’est une « compensation financière » prévue au profit des auteurs. Là où c’est génial, c’est qu’ensuite on impose que 25% de ce produit soit collecté par des OGC et aille obligatoirement au financement d’actions culturelles. Et au final, le ministère de la Culture, et la Cour des Comptes, considèrent que ce quart de la copie privée constitue des « crédits d’intervention du ministère de la culture ». A donc été mis en place, en toute discrétion, un système qui empêche le législateur et le citoyen de contrôler effectivement ces crédits. Un système où les OGC sont des percepteurs d’impôt déguisés au profit du ministère de la culture. Et un système où les patrons d’OGC sont de fait considérés comme des mini-ministres, car on leur a de fait délégues des prérogatives de puissance publique. Cette situation me semble expliquer à elle seule pourquoi le ministère leur serve si bien la soupe. Pour illustrer cette situation, il suffit de voir les débats qui ont eu lieu l’année dernière, lorsque des associations de consommateurs s’opposaient à ce que les smartphones reconditionnés soient à nouveau taxés par la copie privée. Au final les OGC ont gagné. Il suffit de voir aussi la composition des organes chargés de fixer le montant de la rémunération pour copie privée. Et enfin de voir les courbes d’évolution du produit de la copie privée dans le temps… avec les crédits d’intervention du ministère relevant de l’action culturelle… De quoi faire un bel article pour actualitté !
Lady Ro
21/01/2022 à 17:15
Oui, mais grâce à la copie privée REtaxée sur les REconditionnés, les auteurs seront mieux REmunérés....zzzzzzzzzz... ah bah non..... même pas.
Perce-neige
21/01/2022 à 09:13
Côté OGC, il n'est que d'aller une seule fois rue Ballu et l'architecture vous ouvre les yeux. A l'adresse de la Sacd, une cour d'entrée protocolaire, un magnifique ancien hôtel particulier, style ancien hôtel de grande cocotte, dévolu desormais
aux apparatchiks et gestionnaires dominants qui clament en tartuffes : "notre combat pour les créateurs !" A côté, les communs, une sorte de cabanon desservi par une honteuse entrée de service, cabanon dénommé "Maison des auteurs" . Un scandale
Jorg
21/01/2022 à 19:46
Au sujet des propos du directeur de la SCAM :
- Il est erroné de dire que les OGC "représentent les intérêts matériels et moraux de leurs membres". Matériels oui, mais seulement en partie et pour leurs droits patrimoniaux. Un OGC ne peux pas agir en justice au titre des droits moraux de ses sociétaires.
- Au sujet des "avancées" il est abusif de dire "négociation d’un dispositif de régularisation des cotisations prescrites" (retraites du régime général), parce que il n'y a pas eu de négociation ! Seulement une réunion d'information.
Zest
22/01/2022 à 23:56
Beurk il n'a pas honte le directeur général de vouloir s'approprier le combat et les revendications des syndicats https://www.artistes-auteurs.fr/ qui nous défendent pour de vrai ?!?
Mariette
23/01/2022 à 00:01
Je vois que rien ne change chez les SPRD à part leur nom (OGC), toujours à manger la laine sur le dos des auteurs en prétendant les défendre https://www.cairn.info/revue-du-crieur-2016-3-page-20.htm
clément
23/01/2022 à 00:09
"la Scam ne peut accepter une telle mesure " ?
Quelle mesure ? la décision du conseil d'Etat ? la Scam ne peut-elle accepter que la loi s'applique ?
Mais pour qui se prend-t-il monsieur Rony ?
Hallucinant.