PORTRAIT – Figurant parmi les promus de la Légion d’honneur de janvier 2022, Jean-Clément Texier n’est pas l’une des figures les plus notoires de l’industrie du livre. Homme discret, affable, il écoute plus qu’il ne prodigue de conseils – il sait que les conseilleurs ne sont pas les payeurs.
Le 03/01/2022 à 10:05 par Victor De Sepausy
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03/01/2022 à 10:05
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Depuis un demi-siècle, Jean-Clément Texier se tient en retrait de la scène pour scruter, avec minutie, le jeu des acteurs qui œuvrent à la mutation de la presse. Naturel pour un pionnier du journalisme média qu’il pratique, dès les années soixante-dix, à Presse Actualité comme à la Vie Française. Et, afin qu’une nouvelle génération d’éditeurs puisse se faire connaître et défendre ses idées, il leur ouvre une tribune en les publiant dans sa collection de livres de référence « la bibliothèque des médias » chez Alain Moreau.
Grâce à la confiance acquise auprès de figures émergentes, il abandonne le journalisme à part entière et l’éditorialisation sans concrétisation pour se consacrer au conseil discret, mais influent. Ainsi fonde-t-il, en 1980, la Compagnie Financière de Communication - Coficom Sa - pour élaborer des stratégies d’image dans un premier temps et conduire des opérations de fusion acquisition dans un second temps. Il devient alors le partenaire de long terme en France de Daniel Morgaine, Jean-François Lemoîne, Jean-Marie Colombani, Bernard Maffre, en Suisse de Jean-Claude Nicole et de Michael Ringier, en Belgique de Rik de Nolf.
À Sud Ouest, son dossier initiateur et formateur, Jean-François Lemoîne, innovateur né, l’envoie en éclaireur préparer des initiatives dans la télématique, les radios locales, la télévision bordelaise et dans l’investissement dans le groupe régional basque Vocento. Conseiller de l’ombre, se refusant à quêter le moindre poste officiel dans le Groupe Sud Ouest, en mouvement perpétuel, il contribue à modeler sa gouvernance se muant en chasseur de têtes, à apaiser les tensions au sein de l’actionnariat familial inquiet de la santé du courageux pilote, et à assurer des relations détendues avec les confrères. Plusieurs fois, il se transforme en Monsieur Bons Offices entre Sud Ouest et Ouest France opposés au niveau des journaux gratuits ou de l’édition de livres.
Au Monde, dont il fut, via BNP Paribas, le banquier-conseil, à la fin des années quatre-vingt-dix, il se révèle le soutier du tandem Colombani Minc. Avec patience, il s’attache à faire changer de dimension le quotidien de référence en le transformant en un porte-avions à la puissance démultipliée par une flottille de titres associés. Ainsi conduit-il la prise de contrôle du Midi Libre à Montpellier, des Publications de la Vie Catholique à Paris et de Courrier International. L’objectif est d’imposer un champion français milliardaire en chiffre d’affaires. Mais la mission s’avère de plus en plus délicate, car la rentabilité n’est point au rendez-vous. Malgré toute sa créativité en ingénierie financière, il ne peut éviter au quotidien qui se voulait détenu par ses seuls salariés de modérer ses ambitions et de renoncer à prendre pied à La Provence ainsi qu’à Nice Matin, journaux dont il organise alors le transfert de Hachette à Philippe Hersant.
Tandis que les professionnels de la presse sont en général sectorisés et limités à un créneau, Jean-Clément Texier s’efforce de rester tout-terrain, allant non seulement des quotidiens régionaux aux nationaux, mais aussi vers les magazines. Preuve, son compagnonnage avec le newsmagazine Le Point. Lorsque Nicolas Seydoux en prend la majorité, en 1982, au lendemain de sa vente par Lagardère, il se trouve associé pratiquement à tous les nouveaux minoritaires : Les Échos, Montsouris, Sud Ouest. Quelques années plus tard, il fera acheter par Ringier l’essentiel des petits porteurs du Point. Siégeant à son conseil d’administration de 1988 à 1992, il contribue à son rapprochement avec L’Express en 1993, n’imaginant pas que Jean-Marie Messier lui confierait trois ans plus tard le mandat de le vendre à François Pinault.
Touche à tout ? D’aucuns pourraient le prétendre lorsqu’ils le voient accompagner dans l’imprimerie, hier Daniel Morgaine, aujourd’hui Guillaume Riccobono, s’investir pendant vingt ans dans la consolidation des dépôts gérés de NMPP Presstalis, frayer avec l’énigmatique Patrice Blanck parmi les titres professionnels de Liaisons, vendre l’éditeur de livres Flammarion à Rizzoli. Il n’y aurait que le domaine de la publicité qu’il aurait délaissé. Et encore, il a signé dans un dictionnaire qui fit, un moment, autorité un chapitre sur cette matière ! En fait, notre journaliste entièrement à part a appris de ses incursions hors de l’hexagone que la taille critique plus que jamais indispensable ne pouvait s’obtenir qu’en maîtrisant toutes les cordes de l’arc de la création éditoriale.
En effet, il doit énormément à Michael Ringier, qui lui a confié la présidence de sa filiale française, Ringier France. Depuis 1987, il constate que le développement du premier éditeur suisse, fort de plus de 175 ans d’histoire familiale, passe par l’exigence de la rentabilité et l’audace d’une remise en question permanente pour trouver les bons relais de croissance. Aucun interdit n’empêche la prise de risque mesuré ni concernant les métiers ni les territoires. Toujours, Jean-Clément Texier a compris le besoin d’une ouverture internationale. Européen convaincu comme en témoigne sa direction de la publication d’Emois, il s’est efforcé de faire rayonner la culture française et de défendre l’attractivité de l’Hexagone.
Il a donc incité le quotidien La Suisse de Jean-Claude Nicole à reprendre la radio 95.2, Michael Ringier à s’aventurer dans le capital du Point, Edipresse de Pierre Lamunière à entrer dans la comète du Monde et Rik de Nolf à intégrer dans Roularta et L’Express et Point de Vue. Pendant aussi un quart de siècle, administrateur du Salon du Livre et de la Presse de Genève, il a favorisé la diffusion de tous les écrits dans l’univers helvétique et pendant seize ans, il a défendu les couleurs du Monde au conseil du quotidien Le Temps. L’Europe n’est pas son unique lieu d’intervention : En Côte d’Ivoire, il a édité Circuits, la revue interne de la société d’Energie Electrique et au Maroc, il fut vice-président de la société de distribution de journaux, la Sochepress.
Passeur culturel, conciliateur dans l’âme, il possède le sens de l’intérêt collectif pour lequel il va de nombreuses fois se mobiliser. En 1972, il est la petite main qui rédige les propositions d’Henri Smadja de Combat et de Jean Gélamur de La Croix pour que soit établie l’aide de l’État « aux quotidiens à faibles ressources publicitaires » dont bénéficieront également largement Libération et L’Humanité. En 1992, à la demande de la commission du développement du Syndicat de la presse quotidienne régionale, il organise une mission d’étude sur les confrères européens. En 1993, à l’initiative du Syndicat de la Presse Parisienne et du SJTI (Matignon), il est le coordinateur d’une recherche sur les facteurs de succès des quotidiens européens.
En 2008, il assiste Arnaud de Puyfontaine au sein du pôle « Informer, Distribuer, Transporter, Financer » des États généraux de la Presse institués par le Président Sarkozy. En 2018, pour les quinze ans d’Audiens, la mutuelle des professionnels de la communication, il a conçu et produit l’essai de son fondateur Patrick Bezier, Sauver la Culture, sorti chez Nevicata. Enfin, plus récemment, en coulisses, il a plaidé fortement auprès de toutes ses relations au sein de l’interprofession pour que les quotidiens nationaux, les quotidiens régionaux et les hebdomadaires locaux fassent naître une Alliance apte à parler d’une seule voix comme c’est le cas dans la plupart des grands pays voisins.
Issu d’une famille d’enseignants, brillant élève de khâgne, au Lycée Fénelon en 1969, Jean-Clément Texier était destiné à devenir professeur, mais son obsession des journaux et des livres l’a poussé à plonger dans le grand bain de l’action sans se concentrer sur les haies des concours qu’il manqua donc. Néanmoins, dans son ADN, il y avait le devoir d’enseigner. Bénéficiant de l’ouverture de l’Université aux professionnels, post mai 68, il s’engage à fond pour transmettre son expérience des médias tous azimuts : à l’EFAP de Denis Huisman comme au Celsa de Charles-Pierre Guillebeau, à l’Université de Paris XIII, à l’Institut d’Études Politiques de Rennes, à Audiencia, l’École de Commerce de Nantes, à l’Institut Catholique de Paris.
Il porte sur les fonts baptismaux l’Académie du Journalisme et des Médias de l’Université de Neuchâtel. Il préside enfin l’École de Journalisme et de Communication de l’Université d’Aix Marseille, l’un des établissements reconnus par la profession pour labéliser la formation des rédacteurs et rédactrices de demain. En se démultipliant de la sorte, il a le sentiment de faire participer de nouvelles générations à son action qui doit demeurer plus ou moins confidentielle et il retrouve la liberté de parole publique dont le privent ses obligations de conseil. De même demeure-t-il fidèle aux journalistes médias quand ils viennent le questionner pour des remises en perspectives, des dates, des chiffres et surtout des arrière-pensées hors des artificiels éléments de langage.
Ses vastes et vivants réseaux Jean-Clément Texier ne les garde pas pour lui, il les met au service de tous ses contacts. À travers le symposium « La presse au futur » comme grâce aux chapitres de la Confrérie de Gutenberg, constamment, ce fervent pratiquant du noeud papillon favorise l’échange d’expériences et la confrontation des stratégies. On ne compte plus le nombre de séminaires ou voyages qu’il a organisé en France et à l’étranger où son entregent a poussé des éditeurs à se livrer off en toute confiance captant alors de précieuses informations. Se voulant œcuménique, il facilite les interactions entre tous les intervenants du secteur.
Il fait siens les mots de Pierre Nora : « Cette vie n’a pas été le choix d’un parcours, le déploiement d’un projet, mais une succession de blocs, faits d’expériences hétérogènes », toutefois toutes communiant dans une unique passion, celle de la presse et du livre.
Par Victor De Sepausy
Contact : vds@actualitte.com
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