Au début de l’année 2020, l’artiste allemand Thomas Schütte, né en 1954, avait accepté l’idée qu’un ensemble significatif de son œuvre imprimé puisse rejoindre les collections publiques françaises, en mémoire de son galeriste Philip Nelson (1956-2006). Ce dernier avait ouvert son premier espace en 1982, à Villeurbanne, en exposant pour la première fois en France des artistes de la jeune génération allemande dont Thomas Schütte. Grâce à la volonté de l’artiste et à celle d’un groupe de mécènes, un ensemble de 253 estampes vient enrichir les collections de l'Institut national d'histoire de l'art (INHA).
« En étroite collaboration avec l’artiste », l’INHA a choisi 253 estampes parmi les 624 qui composent à ce jour son oeuvre graphique. Grâce à cette acquisition, c’est l’ensemble de cet oeuvre qui se trouve désormais en France, où il est peu représenté dans les collections publiques, mais dont un ensemble majeur se trouve dans une collection privée.
L’ensemble de l’INHA couvre une très large période, depuis les toutes premières lithographies de l’artiste, en 1984-1986,
jusqu’aux eaux-fortes de 2019, avec en particulier la série majeure Promenade à marée basse [Wattwanderung], de 2001, constituée de 139 gravures sur cuivre. Organisé en séries ou portfolios, il reflète la diversité des techniques utilisées par Thomas Schütte : lithographie, sérigraphie, eau-forte, aquatinte, nyloprint, pointe sèche, carborundum, sur des papiers aussi divers que le mylar, le velin ou encore un papier indien fait main.
Balade à marée basse [Wattwanderung], 2001, gravure sur cuivre, planches issues d’un portfolio de 139 gravures, impr. par Atelier Till Verclas,
Hambourg. Ed. Thomas Schütte, Düsseldorf, ed. 9/12 ; 44,5 × 32 cm. Paris, Bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art, collections
Jacques Doucet. © Thomas Schütte/Paris, bibliothèque de l’INHA, photo Michaël Quemener.
Il permet d’observer la façon dont cet artiste affronte les limites de ses matériaux pour y consigner ses observations du monde et y incarner ses divers états psychologiques, faisant de l’estampe tantôt une sorte de carnet de bord intime, tantôt un moyen de réfléchir à des projets futurs, tantôt le lieu d’une monumentalisation souvent paradoxale.
Cet ensemble, comportant plusieurs épreuves d’artiste, enrichit la collection d’estampes modernes de
la bibliothèque de l’INHA, où une place importante a été accordée aux artistes étrangers contemporains dès la première Bibliothèque d’art et d’archéologie de Jacques Doucet.
Femmes B [Frauen B], 2006, eau-forte, épreuve en vert sur papier Zerkal, planche issue d’un portfolio de 18 gravures, E. A. ; 100, 5 × 71 cm. Paris, Bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art, collections Jacques Doucet. © Thomas Schütte/ Paris, bibliothèque de l’INHA, photo Michaël Quemener.
De l'art conceptuel à l'estampe
Thomas Schütte est né à Oldenburg, en Allemagne de l’Ouest. C’est la visite de la Documenta 5 à Kassel en 1972 qui
déclenche son intérêt pour l’art et motive son inscription à la Kunstakademie de Düsseldorf. Il a bénéficié de nombreuses grandes monographies et rétrospectives européennes, dont dernièrement à l’Hôtel de la Monnaie de Paris (2019), au Moderna Museet de Stockholm (2016), et à la Fondation Beyeler de Bâle (2013). Il a reçu le Lion d’Or de la Biennale de Venise en 2005.
D’abord marqué par l’art minimal et conceptuel, il réalise des installations, qui sont montrées lors de sa première exposition personnelle, à Paris en 1979. Sa pratique artistique, toujours plus libre et protéiforme au fil des ans, trouve dans la sculpture sa formulation la mieux connue, qui rompt avec l’esthétique minimaliste à travers l’affirmation de la figuration et le recours à une pratique du modelage et de l’assemblage qui renoue avec les approches traditionnelles de cette discipline, en la renouvelant.
EXPO: Marcel Proust, Molière et Françoise Pétrovitch à la BnF en 2022
Céramique, bronze, aluminium, acier, verre de Murano sont alternativement investis par Thomas Schütte, pour réaliser des sculptures parfois monumentales. Outre cette pratique de la sculpture, l’artiste réalise également des maquettes, des bâtiments pratiquables, des photographies, et, de façon continue, des dessins et des aquarelles, thèmes et manières circulant d’un medium à l’autre.
Tour de pommes de terre [Kartoffelturm], 2019, gravure et impression en relief sur papier Zerkall Alt Mainz, 300gr, planche issue de la série Fruits et légumes [Obst und Gemüse] de 6 gravures, impr. par Lars Dahms et Daniel Vogler, Hamburg. Ed.Thomas Schütte, Düsseldorf, ed. 21/35 ; 91 × 69 cm. Paris, Bibliothèque
de l’Institut national d’histoire de l’art, collections Jacques Doucet. © Thomas Schütte/ Paris, bibliothèque de l’INHA, photo Michaël Quemener.
L’estampe est peut-être la partie la plus ignorée de son oeuvre. Elle est pourtant le medium où se rassemblent tous ses projets et tous ses sujets, du portrait au nu ou au végétal, de l’observation à la création libre, du modèle d’architecture à la quasi abstraction, du plus intime au plus public.
Avec une extraordinaire inventivité technique et iconographique, Thomas Schütte montre combien il est un inventeur de formes, qui entretient un dialogue fécond et renouvelé aussi bien avec la tradition moderniste, dont il a su par ailleurs voir très tôt les impasses, qu’avec la tradition classique, dont il revisite continuellement les genres.
Comme le reste de son travail, mais peut-être de façon plus concentrée, Thomas Schütte y travaille avec ce qu’il appelle les « restes de la tradition », inventant un monde hybridé dans lequel le tragique le dispute au grotesque, l’anecdotique au monumental, l’architectonique à la délicatesse.
Cinquante cinquante, Moi- pas moi [Fifty fifty, Me - not me], 2004, eau forte et pointe sèche sur fond vert, planche issue d’une série de 3 gravures. E. A. ; 49, 5 × 35, 5 cm. Paris, Bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art, collections Jacques Doucet.
© Thomas Schütte/Paris, bibliothèque de l’INHA, photo Michaël Quemener.
Ces acquisitions ont récemment repris de manière très active avec les dons d’oeuvres de Terry Haass en 2016, d’Ellsworth Kelly en 2018, ou de Takesada Matsutani en 2020. Dans cette lignée, les séries de Thomas Schütte complètent une collection d’estampes anciennes, modernes et contemporaines au service de la recherche en histoire de l’art et de l’activité d’exposition de musées du monde entier.
Liste des estampes :
- Ville capitale [Hauptstadt], 1984, 1 lithographie sérigraphiée en 2 couleurs, éd. 30 + 3 E. A., 63 × 48 cm ;
- L’art de la pointe [Griffelkunst], 1986, 6 lithographies en couleur, 59,4 × 42 cm ;
- Semaine [Woche], 1999, 7 lithographies en couleur dans un portfolio, éd. 50, 62,5 × 47 cm ;
- Balade à marée basse [Wattwanderung], 2001, 139 gravures sur cuivre, éd. 12 + 1 E. A., 44,5 × 32 cm chacune ;
- Moitié-moitié [Fifty fifty], 2004, 3 eaux-fortes, éd. 50 + 10 E. A., 49,5 × 35,5 cm ;
- Livre de Busch [Buschbuch], 2006, 1 livre d’artiste avec 35 eaux-fortes et nyloprints, éd. 50 + 10 E. A., 42 × 34 cm ;
- Femmes B [Frauen B], 2006, 18 eaux-fortes, éd. 35 + 5 E. A., 100,5 × 71 cm ;
- Chère Ute ! Meilleurs voeux ! [Liebe Ute! Alles Gute!], 2006, 8 aquatintes en couleurs, éd. 24 + 3 E. A., 108 × 76 cm ;
- Fucking Flowers i-iii, 2009, 3 aquatintes, éd. 50 + 15 E. A., 79 × 58 cm ;
- Placebos, 2011, suite de 12 eaux-fortes sur vélin, éd. 35 + 5 E. A., 62,1 × 45 cm ;
- 3 Portraits (Serpentine Gallery, Carla_Gisela_Paloma), 2012, 3 gravures à l’aquatinte, à la pointe sèche et au
carborundum sur papier, éd. 100, 73 × 53 ;
- Nains de jardin [Gartenzwerge], 2015, 12 gravures en relief en couleur, 65 × 50 cm ;
- Fruits et légumes [Obst und Gemüse], 2019, 6 gravures et impressions en relief, 90,5 × 68,5 cm.
Crédits : Placebos, 2011, suite de 12 eaux fortes au carborundum sur papier mylar 120g, impr. par Lars Dahms et Daniel Vogler, Hamburg. Ed. Thomas Schütte, Düsseldorf, éd. 23/35 ; 62 × 45 cm.Paris, Bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art, collections Jacques Doucet. © Thomas Schütte/Paris, bibliothèque de l’INHA, photo Michaël Quemener.
Commenter cet article