On ne les présente plus : les contes des Mille et Une Nuits se sont imposés dans la littérature internationale comme au cinéma. Ce recueil anonyme regroupe plusieurs contes populaires, remontant au IXe siècle, d’origine persane, indienne et arabe. Traduits à maintes reprises, Richard Francis Burton en propose, en 1835, une version anglaise composée à partir de la version dite de Boulaq (égyptienne). Depuis le 16 novembre, une nouvelle traduction de la poète franco-syrienne Yasmine Seale a été publiée par Liveright, maison d'édition nord-américaine.
Le 20/12/2021 à 14:08 par Marion Clousier
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Publié le :
20/12/2021 à 14:08
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The Annotated Arabian Nights, une appellation à laquelle tiennent les éditeurs anglais, correspond aux Mille et Une Nuits, recueil connu à travers le monde. Une précision qui tenait à cœur à Yasmine Seale, également.
La narration de ces contes est assurée par Shérazade. Fille du grand vizir (équivalent du Premier ministre sous l’Empire ottoman), celle-ci décide volontairement d’épouser le roi de Perse, Chahriar, pour mettre fin au massacre ordonné par ce dernier. En effet, trahi par son épouse Dinah par le passé, le roi avait décidé d’épouser chaque jour une nouvelle vierge avant de l’exécuter le matin de la nuit de noces pour se venger, mais surtout pour éviter toute trahison.
Shérazade met au point un stratagème pour éviter la fin tragique qui l'attend : le soir venu de son mariage, elle raconte une histoire au sultan sans l’achever. Avide de connaître la suite, son époux lui laisse la vie sauve pour une journée de plus. Chaque nuit, elle reproduit le même processus en reliant une nouvelle histoire à celles précédemment contées. Selon l'histoire, ce stratagème dura pendant mille et une nuits.
Cette nouvelle traduction se veut être une « riposte » à la version de 1885, « enlevant l’orientalisme, le racisme et le sexisme ajoutés et interpolés que Burton a apportés aux histoires », a déclaré l'éditeur Paulo Lemos Horta.
Ce dernier a déjà collaboré avec Yasmine Seale sur une nouvelle traduction d’Aladin. À travers cette version inédite des contes de Mille et Une Nuits, l'autrice s’inscrit dans le cycle de ses traductions comme la première femme à traduire ce corpus si important.
Selon Horta, « [l]a nouvelle édition est une réponse au besoin de briser les mystères des contes les plus célèbres des Mille et Une Nuits, qui n’ont été ajoutés que dans la traduction [d'Antoine Galland, au XVIIIe siècle] : Aladin et la Lampe magique, Ali Baba et les 40 Voleurs et Ahmed et la fée Pari-Banou ».
Dans cette nouvelle traduction, les personnages féminins retrouvent leur importance et leur puissance, qui leur avaient été retirées dans les versions antérieures. Toujours selon l'éditeur, le conte d’horreur Sidi Numan représente ainsi la femme dans son plein pouvoir. Dans ce conte, un mari, incapable de comprendre pourquoi sa femme ne mange qu’un seul grain de riz pour le dîner, la suit à la nuit tombée. Il la découvre dégustant un cadavre aux côtés d'une goule [vampire femelle des légendes orientales, NdR]. Par la suite, le mari confronte sa femme, qui finit par le transformer en chien, et lui, pour se venger, la transforme en jument.
Seale livre sa propre interprétation de ce récit : « On nous laisse entendre que l’étrangeté de sa femme peut être due à l'incapacité de son mari à la comprendre. Il est plus facile pour lui de croire que sa femme est une créature surnaturelle que de reconnaitre qu’il ne peut pas la maîtriser. »
De même, le conte Le Portier et les Trois Femmes de Bagdad met en exergue la place des femmes dans la culture orientale. Il célèbre leur indépendance, et leur possibilité de vivre sans mari. Dans ce récit, les femmes accueillent le calife Harun al Rashid et son vizir Jafar pour des festivités nocturnes. Les invités ont juré de ne poser aucune question, et les femmes peuvent librement raconter leurs propres histoires. Dans ce récit, la parole de la femme prévaut donc sur celles des hommes. Pour l'éditeur, « [d]ans la version de Seale, le conte est une redécouverte, c’est une révélation ».
Finalement, cette édition vise à actualiser les traductions de ces contes : pour l’éditeur, le monde anglophone s’est appuyé « pendant trop longtemps » sur les traductions de Galland ou de Burton. La version de Seale apporte ainsi un regard neuf sur ces contes millénaires. Selon Horta, « [l]es traductions résolument contemporaines et lyriques de Seale rompent de manière décisive avec cette dynastie masculine, éliminant enfin l'exotisme délibéré des rendus orientalistes tout en reprenant la vitalité et le plaisir des histoires ».
Remontant au IXe siècle, les Mille et Une Nuits ont connu une série de traductions. La première occidentale remonte à l’œuvre d’Antoine Galland, publiée de 1704 à 1717, qui a permis sa diffusion en Europe notamment durant le mouvement de l’orientalisme. Selon les dires, une partie de cette traduction aurait été rédigée par lui-même, s’inspirant des récits contés par son assesseur syrien Hanna Dyâb.
Selon Horta, historien de la littérature et universitaire, « [l]e traducteur français, Antoine Galland, avait mentionné quelque chose dans son journal intime au sujet d’un Syrien à Paris en 1709 qui lui aurait donné ces contes manquants dans le manuscrit arabe. […] En l’absence de détails supplémentaires, Galland a été considéré comme l’auteur, l’inventeur et le créateur de ces contes [et ce] pendant trois siècles. Nous avons imaginé que les contes ajoutés par la main de Galland aux Nuits [reflétaient] son séjour à Istanbul. »
En réalité, il semblerait que la « Syrienne insaisissable » du journal de Galland ait été identifiée comme Hanna Diyab, après la découverte dans la bibliothèque du Vatican du Livre des Voyages de Diyab et « cette découverte appelait une traduction moderne de tous les contes célèbres donnés à Galland ».
Le travail de Galland fut ensuite complété par Jacques Cazotte et Denis Chavis.
Par la suite, le docteur Joseph-Charles Madrus, ami d’André Gide, publia une nouvelle traduction des Mille et Une Nuits en seize volumes de 1899 à 1904, qui parut d’abord dans la Blanche de Gallimard, puis chez Charpentier et Fasquelle.
René R. Khawam s’est fondé sur une douzaine de manuscrits anciens pour en traduire à son tour une nouvelle version. Puis, André Miquel et Jamel Eddine Bencheikh ont publié une nouvelle traduction, en 1991, pour la Bibliothèque de la Pléiade. Cette nouvelle version était revendiquée par ses auteurs comme intégrale et fondée sur l’édition de Boulaq.
Quant aux traductions anglaises, la première de Edward William Lane s’est inspirée du texte de Galland. Elle fut divisée en trois volumes et publiée entre 1839 et 1841.
Ensuite, Richard Francis Burton publia une traduction complète, à partir de la version de Boulaq, en 1835. Celle-ci comporte 16 volumes publiés de 1885 à 1888. Le traducteur y a accentué les représentations sexuelles, en ajoutant de nombreuses notes de bas de page et annexes sur les mœurs sexuelles orientales.
La dernière traduction en date remonte à 2008, publiée par Penguin Classics en trois volumes. Elle a été réalisée par Malcom C. Lyons et Ursula Lyons. Néanmoins, celle-ci omet plusieurs protagonistes féminines, dont Parizade et Pari-Banu.
via The Guardian
Crédit : Twitter Yasmine Seale
Paru le 17/08/2016
280 pages
Hachette
5,90 €
8 Commentaires
Marianne
21/12/2021 à 06:14
Merci pour cet article intéressant, il manque juste deux précisions à mon goût :
- de quelle version/quels manuscrits s'est inspiré la traductrice pour l'ouvrage qui vient d'être publié ? De Boulaq également ? Puisque nous avons droit à un historique détaillé des sources et traductions françaises et anglaises depuis le XVIIIème siècle, mais que je n'arrive pas à trouver cette info.
- et la traduction française est-elle prévue ? Celle que vous nous présentez en fin d'article, de Cassabois, reprend quels textes/quelle traduction ?
Cordialement.
Aradigme
21/12/2021 à 10:17
Avons-nous affaire à une traduction nouvelle réalisée à partir de textes originaux arabes, et si oui lesquels et de quelle époque? Ou avons nous affaire à une réécriture du texte, modifié pour coller à une idéologie récente? Le fait que Yasmine Seale donne sa propre interprétation d'un conte peut constituer un indice.
SamSam
21/12/2021 à 10:23
Coup éditorial pour séduire les zélites, pudibondes et stupides qui prient pour une sorte de moraline victorienne, alors qu'elles sont parfaitement corrompus et vicieuses dans leurs comportements, leurs idées, leur vision du monde. En témoigne la brochette de minables au pouvoir, tous mis en examen ou presque. On se concurrence dans le conflit d'intérêt, le harcèlement sexuel, ou le service rapproché à l'engeance financière.
Je leur donne une idée, sans même la déposer : re-traduire Sade, sans sexe et sans violence. Ah oui, ça serait tellement tendance...
Aradigme
22/12/2021 à 09:49
Bonjour SamSam,
Pour ce qui concerne Sade, je crains que dans les cas des "Cent-vingt journées de Sodomme", une version sans sexe ni violence se résume à un livre aux pages blanches, résultat ultime du politiquement correct qui nous conduit vers un monde sans relief, totalement aseptisé et plutôt ennuyeux.
Salutations
Aradigme
SamSam
22/12/2021 à 11:40
Nous sommes bien d'accord là-dessus, Aradigme...
Ninja
26/12/2021 à 10:35
On nous dit :
"dans la Revue blanche (actuelle collection blanche de Gallimard)"
Ce qui sur un site censé s'occuper de littérature est assez, comment dire,...
Rappelons que la Revue Blanche, revue anarchiste et contestataire des frères Natanson, grands soutiens de Toulouse-Lautrec n'a absolument rien à voir avec les éditions Gallimard, fondées en 1911. Quand le dernier numéro de la Revue Blanche parait en 1904, Gaston, premier du nom dans l'édition, a 23 ans. Et n'est certainement ni anarchiste, ni contestataire...Son père penchant plutôt vers Manet et Renoir...
Team ActuaLitté
26/12/2021 à 13:25
Bonjour Ninja
En effet, la formulation était maladroite. Elle a été modifiée depuis.
Merci de votre remarque.
Ninja
26/12/2021 à 10:41
Quant à parler de traduction des Mille et une nuits, il eût été bien de mentionner la traduction française exemplaire de René R. Khawan chez Phébus, faite sur les manuscrit originaux et qui avait déjà rétabli le texte en le débarrassant des inventions de Galland.
Le même traducteur avait également donné une version des aventures de Sinbad chez le même éditeur et également à partir des manuscrits d'époque...
Ninja