La grande romancière britannique Jane Austen, née en 1755 et morte en 1817, nous a fait partager, notamment à travers sa correspondance, de nombreuses tracasseries financières, ou problèmes plus graves en lien avec l'argent. Soucis du quotidien, liés à des naissances ou à des drames, ces événements impromptus pouvaient réclamer de faire des économies là où il était possible d'en faire, comme sur le transport. La maisonnée des Austen, installée à Chawton, et composée de quatre femmes, afin de réduire les coûts annuels, n'hésita pas à contourner les impôts anglais, avec l'aimable concours d'ânes...
Le 20/12/2021 à 13:30 par Hocine Bouhadjera
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Publié le :
20/12/2021 à 13:30
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Restauré en 1998, le cabriolet demi-taille de la famille Austen, est aujourd'hui exposé au Jane Austen's House Museum de Chawton, musée consacré à l'auteure d'Orgueil et préjugé (trad. Valentine Leconte, Charlotte Pressoir). C'est dans cette maison que Jane Austen a résidé avec sa mère, sa sœur et son amie Martha Lloyd à partir de 1809, et ce, jusqu'à sa mort en 1817. Ce cabriolet, trop petit pour accueillir un cheval, semble avoir été destiné à accueillir des enfants tirés par un poney. Il était pourtant bel et bien utilisé par Jane Austen, qui mesurait entre 1m68 et 1m73 d'après une de ses pelisses de soie retrouvée.
Crédits : Jane Austen's House
C'est son frère, Edward Austen Knight, qui l'avait acheté peu de temps après que sa mère et ses sœurs soient arrivées à Chawton en juillet 1809. Avec ce cadeau, Edward pouvait avoir souhaité favoriser leur indépendance au-delà des distances que ces femmes pouvaient parcourir à pied, leur épargnant notamment les routes boueuses du Hampshire. Un choix de calèche qui n'a pas été fait au hasard, mais pour éviter le fisc, et ne pas faire d'un cadeau un fardeau financier, à cause des hausses d'impôts qui en auraient résultées.
« Chariot taxé »
Dans l'Angleterre du début du XIXe siècle, tout véhicule était taxé, et doublement s'il était considéré comme un véhicule de luxe. « Le droit, même sur les voitures à deux roues, commençait à 5,18 £ », si celui-ci était « tiré par un cheval, une jument ou un hongre, et pas plus », nous apprend la LA Review of Books.
Ces taxes avaient visé les riches avant l'introduction d'un impôt sur le revenu en 1799. En 1808, a été mis en place le House Tax Act qui détaille le montant des impôts en fonction des types de transport à cheval. Ce n'est qu'en 1869 que ceux-ci seront transformés en droits de licence. À cette époque, l'utilisation généralisée des voitures a été perçue par le gouvernement britannique comme une nouvelle source de revenus, à tel point que les déplacements routiers étaient l'une des activités les plus taxées en Grande-Bretagne, sans compter l'entretien d'un ou de plusieurs chevaux.
Les mots « un chariot taxé », avec le nom, le prénom et le nom du propriétaire, ainsi que le lieu de résidence, devaient être peints à l'extérieur du panneau arrière ou de la partie arrière du transport sur lequel s'appliquait la taxe. Une signalisation qui devait être bien visible afin de limiter les fraudeurs.
Et si ce n'était pas les dimensions du petit cabriolet qui rendait la calèche de la famille Austen exonérée d'impôt, sa petite taille permettait de rendre impossible l'utilisation d'un cheval de taille normale, remplacé par un âne. Ce dernier n'entrait pas dans le cadre de la loi de 1808. Et pourquoi n'avoir pas plutôt choisi des poneys ? Il était en effet commun pour les femmes d'atteler des calèches spécialement conçues et surbaissées pour des poneys. Dans Orgueil et Préjugés, M. Collins rapporte notamment comment Mlle de Bourgh « daigne souvent passer devant mon humble demeure dans son petit phaéton et ses poneys ». Le poney était alors considéré comme un cheval par la loi, donc bien soumis à la taxe sur les chevaux.
Les finances précaires des Austen
Les finances précaires des femmes Austen ont déjà été décrites en détail par les spécialistes de la romancière, et cette calèche tirée par un âne en est une des manifestations. Les biographes de l'auteure ont en effet vanté la voiture tirée par un âne comme une bonne affaire, expliquant que « l'âne le plus cher pouvait être acheté pour seulement 3 pounds » et manger « pratiquement n'importe quoi » tout en possédant « un charme considérable ».
De plus, si cette calèche pourrait avoir été bien inconfortable, le fondateur du musée, Tom Carpenter, loue la voiture tirée par des ânes comme « le moyen de transport le plus simple et le moins cher à utiliser, ne nécessitant pas d'écuries et de palefreniers comme le ferait une voiture nécessitant plusieurs chevaux ».
PATRIMOINE: La maison de Jane Austen avait besoin d'un toit
En outre, en tant que femmes célibataires, la possession de tout moyen de transport dédié — même une charrette tirée par un âne — plaçait Jane Austen et sa sœur Cassandra au-dessus de la grande majorité de ses semblables.
Néanmoins, dans son roman, Persuasion (trad. Jean-Yves Cotté), Austen envisage un véhicule beaucoup plus élégant et confortable pour son héroïne, qui à la fin du roman devient « maîtresse d'une très jolie landaulette » — monoplace à deux roues commercialisé pour les femmes — offerte par son mari, le capitaine Wentworth.
Dans la vraie vie, Jane Austen, quatre mois après avoir reçu cette charrette optimisée fiscalement, visite Londres et se promène dans une calèche bien plus chic. Elle raconte dans sa correspondance : « J'aimais beaucoup mon élégance solitaire et j'étais heureuse durant ce petit trajet. Je pouvais sentir que j'avais naturellement un petit droit à parader dans Londres dans une calèche. » Si un village rural comme Chawton permettait de garder un minimum de dignité en étant tiré par un ou plusieurs ânes, à Londres, se montrer dans une calèche de cette sorte relevait en effet d'un crime envers le bon goût...
Crédits : Gresham College (Domaine Public)
Paru le 05/01/2012
384 pages
10/18
6,90 €
Paru le 18/11/2020
320 pages
Hauteville Editions
18,90 €
1 Commentaire
Aradigme
22/12/2021 à 09:57
L'optimisation fiscale constitue le seul processus légal qui permet aux citoyens et aux entreprises de réduire un tant soit peu le fardeau de l'impôt. Dans des sociétés où l'état et son administration captent plus de la moitié des richesses produites par la nation, l'optimisation fiscale s'avère non seulement licite, mais même recommandée, d'autant plus que l'état lui-même crée à tour de bras des niches fiscales pour compenser les dégâts que causent ses prélèvements excessifs dans l'économie . Dans ces conditions, elle s'approche du devoir civique.