À quelques semaines de Noël, les libraires ont appris qu'ils ne pourraient pas être approvisionnés en livres, sinon sous des conditions commerciales difficiles à avaler. L'accident industriel que traverse MDS, filiale de distribution du groupe, a provoqué bien des réactions depuis ce premier courrier parvenu aux librairies. Christian Thorel, Jean-Marie Ozanne, Olivier Lhostis et Benoît Bougerol signent ici une tribune portant une remarque essentielle, dans les relations commerciales... et les impératifs législatifs.
Le 08/12/2021 à 18:04 par Auteur invité
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08/12/2021 à 18:04
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La commande à l’unité est une liberté pour le livre et pour son lecteur. En respecter l’usage appartient au libraire… et à son distributeur.
Selon le Syndicat national de l’Édition, la distribution prend en charge la plus grande partie des tâches liées à la circulation physique du livre (stockage des livres, réception des commandes, préparation et expédition des commandes vers les différents points de vente, réception, tri, réintégration ou mise au pilon des retours) et à la gestion des flux financiers afférents (facturation et recouvrement des créances, traitement financier des retours). Si la distribution est le maillon industriel de la chaîne du livre, son rôle est bien de distribuer les produits donc les amener dans les lieux de ventes, dans les quantités commandées, avec le choix requis, au bon moment et dans le délai le plus court. Ses clients sont à la fois les détaillants du livre et les éditeurs.
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Les librairies sont évidemment essentielles à cette circulation physique des livres, qu’elles donnent à voir et à toucher, dans un ordre lisible pour leurs lecteurs, ordre qui n’a plus aucun lien avec les exigences de l’industrie et de la logistique, ordre qui procède de la déconcentration (un seul distributeur, un seul point) et de la dissémination (une grande quantité de points pour une meilleure visibilité). La force de la librairie consiste à donner accès à peu (des fonds équivalant de 3 % à 15 % des titres disponibles dans un point de vente) et à permettre tout, par la commande à l’unité.
Depuis janvier 1982, à de rares exceptions près, la distribution (qui n’est pas sous la « contrainte » de l’alinéa 3 de l’article 1 de la loi) aura tout mis en œuvre, naturellement, pour exécuter chaque commande de chaque libraire, pour en respecter chaque ligne, quelle que soit la quantité commandée. Pour être dans l’esprit de la loi. L’unité est et reste une quantité ! Il n’y a pas lieu de se féliciter de ce qui reste une évidence, et aussi une prescription dans un code des bons usages. La loi sur le Prix unique est une loi naturelle, l’exercice de son application est tout aussi naturel, depuis la source.
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À ce jour, le distributeur MDS n’est plus en capacité de fournir les livres commandés par les libraires dans un délai acceptable et les retards s’accumulent, dépassant largement une semaine. Pour la même cause, MDS ne peut réceptionner dans les délais habituels les ouvrages renvoyés par les libraires.
« Depuis plusieurs semaines, l’activité réassort MDS est supérieure de 84 % par rapport à 2020. (…) Ces progressions totalement inhabituelles (et forcément imprévisibles) sont le résultat du succès d’un grand nombre de nouveautés et de nos fonds, mais elles ont aussi considérablement impacté nos délais habituels de préparation de commandes », écrit Olivier Barbé, directeur général de MDS dans une lettre adressée aux libraires français mardi 23 novembre.
Cet « accident industriel » n’est pas le premier, mais les initiatives prises pour y subvenir sont inquiétantes. En effet, pour résorber la congestion, pour pallier à l’embouteillage, pour espérer revenir début 2022 à des délais acceptables, la solution proposée par Olivier Barbé est de ne plus servir les commandes des libraires dont la quantité serait inférieure ou égale à deux exemplaires.
Le public des librairies connaît plus ou moins le premier principe (article 1, premier alinéa) de la loi Lang : l’éditeur fixe le prix du livre, qui sera donc le même où que l’on se trouve dans l’hexagone. Mais ce même public connaît moins le troisième alinéa de l’article 1 qui précise que tout détaillant doit offrir le service gratuit de commande à l’unité. Ces deux règles participent de la même volonté de démocratisation du livre. En achetant le même ouvrage au même prix dans n’importe quel commerce de livres, et en ayant la possibilité de se procurer n’importe quel titre depuis n’importe quel point de vente de livres, le législateur trace un cadre d’égalité entre les lecteurs pour leur accès aux livres.
Pour remédier à une situation probablement inextricable, et dont notre seul moyen de mesure actuel se résout dans le constat d’un délai de réception de nos commandes de trois semaines, MDS met en œuvre une méthode dont nous n’avons pas à juger de la pertinence. Si ce n’est qu’elle est une entrave pour les « détaillants » à honorer les commandes des clients. Les implications sont nombreuses, et elles ont été soulevées par des confrères ou par le Syndicat de la Librairie.
Ainsi, le libraire sera-t-il ainsi contraint de contrevenir à la loi ? Pour autant, cette question n’est pas la question essentielle. La plus importante nous semble être celle de l’origine de la solution mécanique qui impose au libraire une quantité minimale pour chaque ligne de commande. Cette mécanique dégage de son champ de vision ce qui est pour chacun de nous un préalable, un « impératif catégorique », la pierre angulaire qui ordonne l’exercice de la liberté de produire et de diffuser.
S’il fallait, entre nos professions, un « code » pour diriger nos actes respectifs, pour mettre en jeu les caractères de cet impératif, en organiser l’application, sans doute pourrait-on revenir à des épisodes de notre histoire commune, et des moments qui réunirent libraires, éditeurs et distributeurs. L’article 2 de la loi précise que la remise des revendeurs de livres doit tenir compte de « la qualité des services rendus par les détaillants en faveur de la diffusion du livre ». Comme cette « qualité » n’est pas spécifiée par la loi de 1981, les critères la définissant ont été négociés entre le syndicat de l’édition (convient-il ici de préciser que Vincent Montagne est le président du SNE, mais aussi le PDG de MDS ?) et celui des libraires, d’abord en 1992 puis renégociée plusieurs fois dans un texte qui se nomme « le protocole des usages commerciaux ».
Ces critères servent aux éditeurs/diffuseurs à constituer leurs Conditions générales de vente (dites CGV) et permettent l’élaboration de la remise du libraire revendeur... Or, le premier critère, obligatoire (donc inscrit dans les CGV) est la commande à l’unité : Le fait pour le libraire d’accepter, de la part des lecteurs, des commandes à l’unité, sur la totalité des titres publiés et disponibles, fait partie des services qualifiant le libraire eu égard aux contraintes de gestion que cette prestation engendre pour lui.
Ce critère n’est-il pas redondant avec l’article premier, alinéa 4 de la loi ? Non, car certains détaillants (notamment les « grandes surfaces non spécialisées ») n’ont jamais respecté cette contrainte légale. Et une part notable des enseignes dites “grandes surfaces spécialisées” renvoient les clients de leurs magasins sur leurs sites de vente en ligne à cet effet. On peut conclure que seules les librairies “professionnelles” respectent à la lettre la loi et, ce faisant, l’évidente mission qui consiste à subvenir à tout besoin de livre, commande à l’unité en premier lieu.
Les libraires “indépendants” se retrouvent donc bien seuls à vouloir tenir ce qui les engage. C’est cet effilochage qui coûte, financièrement, symboliquement, politiquement.
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Il n’est pas question de nier la catastrophe industrielle de MDS, mais d’affirmer que la solution trouvée n’est pas adaptée. D’autant qu’elle bénéficiera majoritairement aux “gros” détaillants, aux ouvrages de rotations rapides, aux réseaux de ventes et aux éditeurs producteurs particuliers de ces titres, de temps court ou très court. Et de rappeler que Le Seuil, éditeur de temps long, très long, plus que temps court, très court, rejoint MDS le mois prochain !
La mesure proposée par MDS, c’est donc bien la réciprocité d’une confiance et d’une solidarité qui se défait. L’industrie qui se conduit en empire mécanisé aura-t-elle échappé au contrôle de ses commanditaires ? Nous ne sommes pas encore dans un temps de domination par des robots. Si la bande dessinée et la science-fiction sont sources d’alertes pour ce qui échappe encore de nos conditions humaines à la technicité envahissante, conservons-les pour enflammer nos imaginations. La pandémie et la crise sociale nous ont collectivement mis à l’heure de la proximité, de la pondération, on aura si souvent évoqué les liens sociaux. N’appartiendraient-ils qu’à un maillon de la chaîne ?
Christian Thorel, Jean-Marie Ozanne, Olivier Lhostis et Benoît Bougerol
Crédits photo DR : entrepôt MDS de Dourdan, 2010
Par Auteur invité
Contact : contact@actualitte.com
6 Commentaires
Observateur
08/12/2021 à 18:11
Ils ont raison MDS est hors la loi et pourrait très bien être attaqué par un libraire en justice ou se retrouver devant le médiateur. La loi Lang impose la commande et la fourniture à l’unité.
Donc si tu ne peux pas le faire par la faute de ton distri c’est lui qui est en tort.
Après personne n’attaquera MDS qui est dans la difficulté et en outre a bien lâché sur ses conditions commerciales pour compenser.
Commissaire aux réassorts
08/12/2021 à 18:40
Et pourquoi, dans le flot de bonnes nouvelles que Livreshebdo a présentées hier – et dont doute ostensiblement le Syndicat de la librairie – personne n'a évoqué cette question si ouvertement ?
Le SLF a-t-il peur des mots ?
Cela devient compliqué, non, de partir en guerre, avec les représailles qu'on déjà promises les libraires, contre MDS en étant le SLF, et de se retrouver contre le patron de MDS, avec sa casquette de président du SNE, toujours en étant le SLF ?
Qui va se venger de qui à la fin ?
Changer de boutique
09/12/2021 à 06:21
MDS est-il le seul distributeur ? Quand un fournisseur ne vous plaît pas, on en change.
Team ActuaLitté
09/12/2021 à 08:25
Bonjour
Les distributeurs disposent d'accords exclusifs : changer de boutique reviendrait à se priver de certaines maisons d'édition. Dans le cas présent, Dargaud, Dupuis, Lombard, Kana ou encore Seuil Jeunesse, Anne Carrière, etc.
Changer de boutique
10/12/2021 à 05:44
Merci de votre réponse.
Il n'y a donc pas que les libraires de lésés dans cette affaire : les éditeurs aussi. Chacun doit assumer. Pourquoi les éditeurs ne changent-ils pas ?
Laure B
10/12/2021 à 21:41
Il n’y a pas que les libraires qui sont dans la panade.
Les éditeurs aussi, mais surtout les auteurs ! Les auteurs qui quand tout va bien gagnent 3 clopinettes. Quand leur bouquin édité n’est pas distribué donc pas vendu, ils font quoi les auteurs ?
MDS, je te maudis.