Été 2001 ! Convergent vers Gênes (Genova, la magnifique cité méditerranéenne aux églises somptueuses, aux ruelles étroites, aux palais magnifiques) des catégories de gens bien différentes...
Il y a les politiques italiens qui reçoivent les représentants des nations siégeant au G8, Berlusconi en tête. Qui ne veut pas voir se reproduire les débordements qui ont émaillé, quelques mois avant, le sommet de Göteborg. Et, derrière lui, l’extrême-droite italienne qui a infiltré plus ou moins ouvertement son gouvernement et veut faire un exemple dans la gestion de cet événement. Avec pour ambition de mater sans concession toute dérive provenant des opposants altermondialistes ou autres.
Il y a les flics italiens qui viennent en masse pour appliquer les consignes de maintien de l’ordre avec plus ou moins d’enthousiasme selon la profondeur de leurs propres penchants politiques. Certains sont cependant là pour en découdre, avec assentiment de certains des membres de leur hiérarchie qui les y incitent fort en leur promettant la plus totale impunité.
Il y a des délégations étrangères. Et notamment l’entourage de Chirac au sein duquel tout le monde ne tire pas la couverture dans le même sens parce que celle-ci ne couvre pas tous les protagonistes de la même façon, compte tenu de leurs ambitions personnelles divergentes.
Il y a les services de sécurité de chacun des présidents qui mettent en place des stratégies bien particulières : le président américain résidant, par exemple, sur un bâtiment de la Navy en stationnement au large. Comme tous les autres, les services français font de leur mieux pour infiltrer tous les mouvements contestataires. Parmi eux, il y a Mélanie et Ghislain que leur hiérarchie a envoyés au charbon, au plus près des manifestants, à l’écoute de toutes les informations qu’ils doivent remonter au plus vite aux proches du président !
À ÉCOUTER: François Médéline rencontre Frédéric Paulin
Il y a tous les groupes altermondialistes, politiques, anarchistes, trotskiste, anticapitalistes,... qui, eux aussi, convergent vers la ville avec une masse impressionnante de sympathisants, y compris des non-violents, pour s’opposer aux décisions iniques des « grands » de ce monde qui se moquent éperdument du devenir des populations, y compris celles de leurs propres pays (alors vous pensez donc en ce qui concerne ceux qui ne sont même pas invités autour de la table !). Parmi eux, il y a Nathalie, une anar convaincue, et Wag, un trotskyste un peu défroqué qui s’est fait bêtement coincé par les flics et qui est, depuis, forcé de jouer les mouchards. Eux se sont rencontrés à Göteborg et, depuis, ils vivent ensemble parce que Wag y a sorti Nathalie des griffes des flics et qu’il en est tombé amoureux au point de remiser, au grand dam de ses anciens amis, ses idéaux gauchistes. Alors qu’elle, lui est surtout reconnaissante de lui avoir sauvé la mise.
Entre ces tous ces extrêmes, il y a les journalistes qui tentent de faire leur boulot du mieux possible en jouant de leurs relations pour être toujours bien informés et de leur flair pour être toujours au plus près des événements marquants. Parmi eux, il y a Génovéfa qui travaille au Journal de Dimanche et qui a réussi à convaincre sa collègue Barbara de la laisser aller à sa place à Gênes, car elle n’a pas d’enfants à charge... Et il y a aussi Corbeil, un photographe indépendant. Ces deux-là se retrouvent au milieu de l’événement et s’accordent pour travailler ensemble : elle, la petite jeune ambitieuse et lui, le vieux baroudeur qui en a vu d’autres !
En quelques jours, tous les éléments se sont mis en place pour concourir à un enchaînement dramatique, incontrôlé et considérable qui disparaîtra trop vite des radars médiatiques quand les Twin Towers tomberont !!!
J’ai découvert le livre de Frédéric Paulin par un hasard qui fait bien les choses. C’est d’abord le nom de son éditeur qui m’a attiré favorablement pour avoir découvert chez Agullo quelques livres qui m’ont beaucoup plu. Et là, j’avoue que faire confiance à un petit éditeur bordelais et à sa ligne éditoriale ne m’a pas déçu. Avec ce livre qui prend pour support les événements bien réels dont la ville de Gênes a été le théâtre, Frédéric Paulin nous propose une lecture croisée de l’environnement politique et « antipolitique » dans lequel s’est tenu ce G8 particulièrement léchée.
On se promène, avec lui, aussi bien dans les couloirs du pouvoir italien que dans les cercles dirigeants français (il n’a probablement pas eu le temps de parler aussi des autres représentants étrangers présents sur place, mais on ne va pas lui en vouloir...) Ou dans les casernes militaro-policières où des discours étonnants (détonants !) sont proférés par des cadres dirigeants qui ne retiennent ni leurs mots ni leurs sentiments vis-à-vis des opposants au sommet mondial et de leurs accointances idéologiques ou à propos des méthodes qu’il convient d’adopter pour se débarrasser de cette vermine !
Et c’est redoutable de voir combien font frémir les attitudes (romancées certes, mais jusqu’à quel point ?) et les propos des uns et des autres dont les liens avec l’extrême-droite italienne (et les restes non éteints du fascisme mussolinien) s’étalent avec ostentation et trouvent un large écho dans certains rangs des forces de l’ordre lesquelles sont ensuite lâchées sans aucune retenue dans des engagements d’une extrême violence que pas grand-chose ne peut arrêter.
C’est avec les journalistes que se met en place une découverte quasi à la minute de ce qui se passe dans les affrontements de rues.
C’est avec les politiques, les ambitieux, les forcenés idéologiques que s’entrevoit une certaine idée du pouvoir, de la liberté et du contrôle des oppositions.
C’est avec les policiers français que se découvre l’extrême ambiguïté des liens étroits qu’ils entretiennent avec leurs « balances » jusqu’à faire trembler sur leurs fondements les convictions qui les ont amenés à s’engager dans ce métier et qui sont terriblement mises à mal quand ils prennent conscience de n’être que des pions insignifiants dans des stratégies personnelles dénuées de scrupules voire d’honnêteté qui les dépassent.
C’est avec les manifestants, dans les rues de Gênes, que se mesure l’incommensurable fossé qui séparera toujours les sphères du pouvoir et de l’argent de ceux qui luttent avec obstination pour une meilleure répartition des richesses (que l’on soit d’accord ou pas avec les moyens utilisés pour exprimer cette ambition au demeurant louable) : le pot de terre contre le pot de fer.
L’écriture est incisive, mordante, acérée, d’une grande vivacité et pleine d’une capacité étonnante à s’exprimer dans chacun des référentiels, pourtant tellement différents, des nombreux protagonistes.
Dans sa dédicace de mon exemplaire, Frédéric Paulin a écrit : « … une histoire que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, une histoire que les plus de 40 ans doivent raconter... » !
Pour moi, il l’a réussi avec brio.
Paru le 09/09/2021
271 pages
Agullo
21,50 €
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