Toutes et tous n’ont pas encore ouvert le bal de la communication, mais les présidentielles 2022 se déroulent d’ores et déjà en librairie. Peut-être plus que d’ordinaire. Chacun le sait : pas de bonne campagne sans un livre politique – cette extension imprimée entre le manifeste et le tract idéologique développé. Avec d’étonnantes corrélations entre les ventes déjà comptabilisées et les perspectives pour les candidats…
Le 09/11/2021 à 16:29 par Nicolas Gary
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09/11/2021 à 16:29
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Un spécialiste de la communication politique l’indiquait récemment : les sondages n’ont pas d’autre vocation que de réduire le débat politique à néant. En ce qu'elles annoncent par anticipation que voter pour X, qui n’a quelques misérables intentions exprimées, reviendrait à brûler sa voix, ces enquêtes ne reflètent pas grand-chose. En les suivant, la prophétie devient autoréalisatrice, en les rejetant, leur existence n’a plus lieu d’être. Qui s’entêterait à voter pour un candidat battu d’avance ?
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D’autant que les répondants prendraient un malin plaisir « à foutre la merde », nous indiquait un ancien vendeur d’études, ne répondant que pour le plaisir de les fausser. Comment prendre le pouls politique, si les coups de sondes ne fonctionnent plus ? Par les livres, pardi.
Selon un sondage Harris pour Challenge, Emmanuel Macron arriverait en tête du 1er tour (23/24 % des intentions), Éric Zemmour et Marine Le Pen seraient ses opposants 18/19 % contre 15/16 %). Pour ce qui est de la droite, Xavier Bertrand recueillerait 14 % contre 10 % pour Valérie Pécresse… etc.
C'est qu'il existe une splendide corrélation, sorte de triangle d’or, entre sondage, candidature et vente de livres. « Dans le cas d’un Zemmour, les ventes découlent de la curiosité des Français pour ce qu’il dit — indépendamment de la présidentielle. Ses précédents ouvrages se vendaient massivement, sans qu’il s’imagine ni qu’on l’imagine en acteur de la vie politique. En réalité, il s’agit d’un grand vendeur de l’édition qui s’est tourné vers la politique, au nom de ce qu’il racontait dans ses essais », nous glisse un amateur à l’anonyme sourire.
Et de poursuivre : « Il faut donc prendre ainsi les ventes de son livre : une curiosité. Ou, du point de vue du sondeur, une intention de vote montrant l’envie d’un changement. Il y a loin de la coupe aux lèvres, autant que du lecteur à l'électeur. » Voire de l'acheteur au lecteur, une autre histoire.
D'autant que, attention : cela n'a pas valeur de promesse de vote. Avec 219.481 exemplaires — et une courbe des ventes qui diminue de semaine en semaine — La France n’a pas dit son dernier mot est avant tout un phénomène éditorial, pas un reflet de la vie politique. « Les sondages demeurent des outils prévisibles », complète-t-il. « Les voix créditées se maintiennent à de hauts niveaux… tant que les gens ont le sentiment qu’il s’agit d’une déclaration refuge. Dès que la personnalité perd cette caractéristique pour devenir officiellement candidate, elle chute. Inéluctablement ? »
Le dernier essai de François Hollande, pas plus candidat que Zemmour, mais malgré tout crédité d’intentions de vote dérisoires par les sondeurs (2 % indiquait Le Figaro), le démontre d’une autre manière : 3011 exemplaires vendus, contre près de 157.000 exemplaires pour Les leçons du pouvoir (grand format et poche, paru en 2018). « Les gens pensent que Hollande va encore dire les mêmes choses : ils ont acheté du premier pour avoir son point de vue sur son quinquennat. Ils ont compris qu’il n’a rien appris ni rien oublié, et n’ont pas de raison de recommencer », plaisante un expert.
Car il est élégant, chez certains, de disposer du premier ouvrage de celui que l’on a soutenu : Nicolas Sarkozy n’avait rien écrit avant d’obtenir la tête de l’État. Depuis, Le temps des tempêtes a réalisé 192.500 ventes, contre 233.400 pour Passions (cumul grand format et poche, sorties en 2019 et 2020). Quant à son ouvrage sur l’art, Promenade, il a atteint 9258 exemplaires, malgré ses 29 € de prix public. « Ce cas de figure est intéressant : les lecteurs s’imaginaient des révélations et des secrets. On tient un cas de livre-confession de personnage politique, type tabloid », reprend l’expert.
Celui de Hollande en revanche, aura fait long feu, en vertu de l’adage latin : errare humanum est, perseverare diabolicum. Et pour cause, au lieu de révélations personnelles, comme les promesses des deux premiers ouvrages de Sarkozy, on tombe sur un livre expliquant que la politique consiste à faire ce que dit Bruxelles. Une redite qui fait bâiller… C’est aussi le cas de Ségolène Royal qui, après son échec à la présidentielle, sortait Ce que je peux enfin vous dire, à 62.700 exemplaires (GF et poche), puis Résilience française, qui s’effondrait à 1176 exemplaires.
Pourtant, le livre relève de l’indispensable artillerie dans la panoplie du candidat à la présidentielle. « Il n’existe que deux types d’ouvrage politique : celui des personnalités connues, qui oscillera entre 300 et 600 ventes, rarement 1000. Et celui des puissants dont on souhaite savoir ce qu’ils ont en tête, susceptible de faire plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires », relève un éditeur. Avec cette difficulté que, dans la transition entre auteur puissant et candidat à la présidentielle, le retour à la réalité devient cruel. « Pour un ministre en exercice, abondamment vu à la télévision, ce sera quelques centaines. S’il a vraiment une bonne plume, peut-être quelques milliers. »
En revanche, le Premier ministre ou le président bascule plus facilement vers la dizaine de milliers, du fait des secrets qu’ils pourraient confier. Et de la même manière, un président ou un Premier ministre sortant perdra immédiatement des points de sondage, dès qu’il sera déclaré. Alors quid de leurs ventes ?
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« Un livre de campagne est corrélé à la hauteur de la campagne : on peut gager que Florent Philippot vendrait moins que le prochain Macron — si ce dernier est candidat », observe un amateur de la chose publique. « Les ventes sont corrélées à la capacité des personnes impliquées à se procurer le livre. Pour beaucoup, il s’agit non d’apporter une aide financière, mais de fournir un soutien moral — qui n’implique en rien une lecture complète, voire une lecture tout court. » Et cela, en ignorant par ailleurs que d’éventuels droits d’auteur ne seraient perçus qu’une douzaine de mois après la publication.
Consultant en stratégie et en communication, notamment politique, Gilles Casanova observe les événements avec distance. « Les ventes de livres politiques relèvent d’un monde totalement à part, qui ne vit pas suivant le rythme de l’édition, mais, bien entendu, des campagnes. En tout cas, pour ceux qui en vendent beaucoup. Car pour l’ensemble, le livre politique se vend peu. » Et d'ajouter : « Les périodes de campagne présidentielles sont d’ailleurs le moment où l’on vend le plus de livres politiques pendant les quelques mois qui la précèdent. »
Une Femme française, d’Anne Hidalgo, a franchi les 2238 exemplaires, avec un ouvrage qui relève du tract politique amélioré. En tant que livre de campagne, les ventes hoquettent, mais la candidate est frappée par des sondages qui jouent totalement en sa défaveur. Comparons avec les autres titres de candidats, sortis en 2021, et sourions :
• Fabien Roussel, Ma France (Cherche Midi) : 1411 exemplaires
• Philippe Juvin, Je ne tromperai jamais leur confiance (Gallimard) : 5997 exemplaires
• Michel Barnier, La grande illusion. Journal secret du Brexit (2016-2020) (Gallimard) : 18.918 exemplaires
• Jean-Frédéric Poisson, La voix du peuple (Rocher) : 517 exemplaires
• Nicolas Dupont-Aignan, Où va le pognon ? (Archipel) : 1347 exemplaires
• Jean-Luc Mélenchon est un cas à part, puisqu'il a publié 5 ouvrages depuis janvier 2021, 4 chez Seuil et 1 chez Robert Laffont, pour 54.603 exemplaires au global.
Difficile de statuer pour ceux qui ont commis un livre depuis assez longtemps :
• Philippe Poutou Un ouvrier c’est là pour fermer sa gueule ! interdit d’élection présidentielle ? (Textuel) : 2558 exemplaires, 2012
• Éric Ciotti, Autorité (Éditions du Moment) : 3560 exemplaires, GF et poche, en 2016
• Valérie Pécresse, avec Marion Van Renterghem, Et c’est cela qui changea tout (Robert Laffont) : 5370 exemplaires, novembre 2019
• Yannick Jadot, Aujourd’hui, tout commence ! pour une Europe enfin démocratique, écologique et solidaire (Les Liens Qui Libèrent) : 1658 exemplaires, février 2019
• Jean Lassalle, Aurore ou crépuscule ; résistons ! (Cherche Midi) : 2624 exemplaires, juin 2020
• Florian Philippot, Frexit ; UE : en sortir pour s'en sortir (L’artilleur) : 3256 exemplaires [NDLR : les deux ouvrages COVID-19 : L’oligarchie démasquée (sept 2020) et COVID-19 : La grande bascule (janvier 2021) ont été autopubliés sur Amazon, les chiffres de vente sont donc confidentiels)
• Arnaud Montebourg, L’Engagement (Grasset) : 15.295 exemplaires, novembre 2020. Mais si l’on essaye de décoder un peu, on constate que seuls 2922 exemplaires ont été vendus en 2021, sa candidature ayant été officialisée en septembre dernier. Ce 10 novembre, il publiera au Cerf La Remontada, Projet de reconstruction d'un pays à terre. Promesses de ventes : à la hauteur de la campagne ?
Et que dire de ceux qui n'ont toujours rien publié (Georges Kuzmanovic, Xavier Bertrand, François Asselineau ou Nathalie Arthaud...) ? Ou comme Marine Le Pen : aux dernière nouvelles, elle peinait à trouver un éditeur. Et ce, alors que son dernier ouvrage Pour que vive la France, sorti en février 2012, cumulait tout de même 8239 exemplaires. Ô tempora, ô mores ? Pas de parution prévue, de ce bord-là de l'échiquier politique, pas plus que pour Marion Maréchal-Le Pen d'ailleurs.
« Les livres de candidats, lus ou non, sont souvent peu remarqués pour leur contenu : dans Révolution, Emmanuel Macron avait placé la ville de Marcq-en-Barœul dans le Massif central. Les Français ne s’en étaient pas émus », se souvient un Marcheur. « D’ailleurs, ce sont surtout des livres qu’on ouvre page 32, parce que soudainement la presse a découvert à cet endroit quelque chose qui fait l’objet d’un article. Et plus tard, page 83, et ainsi de suite. »
On soulignera que même la politique fiction fait rarement recette : Les 155 jours de Marine Le Pen, où la candidate du Rassemblement national est propulsée, fictionnellement, au poste de Premier ministre, s’est écoulé à 191 exemplaires en trois mois (Archipel). L’auteur, Blaise de Monluc, qui doit son pseudonyme au maréchal de France éponyme (1500-1577), n’a pas été des plus inspirés. De même, L’autre général, de Romaine Gary, qui mettait en scène l’élection du Général de Villiers a vendu… 16 exemplaires (Ed. Fauves). Dommage, celui-là, au moins, était drôle.
Ce qui devient intéressant, pour l’étudiant en droit et le farouche spin doctor, se trouve en revanche dans une décision du Conseil constitutionnel auquel l’avocat Régis de Castelnau se référait voilà quelques mois. Il établissait un intéressant parallèle entre le financement des campagnes et… la publication du livre d’Eric Zemmour. À l’époque, le polémiste venait tout juste de se faire dégager de chez Albin Michel.
En effet, la loi de 1990 sur les campagnes électorales, couplée aux semaines de procès Bygmalion, faisait ressortir un amusant paradoxe. « La communication électorale dans les neuf mois qui précèdent l’élection présidentielle est strictement encadrée. Le financement de cette campagne également », écrivait l’avocat.
Albin Michel n’aurait en effet pas pu engager de frais de communication du livre d’Eric Zemmour, sans que ces derniers ne constituent une contribution à la campagne. Et de fait, les sommes auraient relevé de dépenses interdites, pour les personnes morales, relevant de l’infraction pénale. « Le fait qu’Emmanuel Macron ait fait l’objet de toute la mansuétude possible des organes de contrôle, malgré des lourds soupçons d’irrégularités grossières, ne saurait constituer un précédent sur lequel s’appuyer », pointait l’avocat.
DOSSIER- Désavoué par l'éditeur Albin Michel : le cas Éric Zemmour
Il allait jusqu’à envisager que les frais d’édition, dans l’hypothèse où le livre aurait été un manifeste électoral, puissent être comptabilisés dans les comptes de campagne. La suite, telle que l'analyse Régis de Castelnau, est croquignolesque :
Le Conseil constitutionnel avait souhaité que les livres des candidats publiés en vue de leur élection soient édités à compte d’auteur : le mandataire financier engagerait les dépenses d’édition de l’ouvrage et en encaisserait les recettes, ces dépenses et ces recettes seraient imputées au compte de campagne pour leur montant brut.
Cette préconisation qui n’a pas été scrupuleusement respectée aurait permis de respecter l’interdiction législative de financement par une personne morale.
La jurisprudence a été plus pragmatique, d’abord en détaillant le contenu de l’ouvrage publié pour identifier ce qui relevait de la propagande électorale, ensuite en épluchant les dépenses et les frais des promotions pour vérifier « s’ils n’excèdent pas par leur nature et par leur ampleur les dépenses pour la promotion habituelle d’ouvrages de même nature ».
Conclusion ? À l’époque, totalement erronée : qu’Albin Michel ait préféré ne pas publier le livre pour ne pas tomber dans l’illégalité. Les faits ont tordu le cou à cette projection, bien que l’analyse soit valable. De fait, un éditeur serait en droit d’accepter un livre de candidat, à condition que ce dernier relève du compte d’auteur — autofinancé donc. Ou que le candidat en question autopublie son ouvrage.
Quid alors de toutes les sommes investies par les maisons qui publient à compte d'éditeur ? Eh bien, elles pourraient, avec un soupçon de pointillisme, se retrouver gentiment empêtrées dans d'impayables exercices de justifications comptables liées au financement même des campagnes.
À bon entendeur...
Crédits photos : Anne Hidalgo, ActuaLitté, CC BY SA 2.0 ; Sylke Ibach, CC BY NC ; Le Comptoir des mots, CC BY SA 2.0
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
2 Commentaires
Statistique
10/11/2021 à 06:40
« Selon un sondage... »
On rappelle qu'un sondage est un truc trafiqué qui peine à représenter la réalité et qui est souvent aux mains d'entreprises privées qui « renvoient » l'ascenseur à celui qui finance.
Pour le trafic, comme on vit dans un État où il est dangereux de donner ses vraies opinions, les gens (qui ? Qui a déjà été sondé ? Ceux qui acceptent de s'y soumettre... et encore, qui est appelé ? Premier biais...) racontent n'importe quoi. Comme les sondeurs le savent, ils effectuent une « correction » (selon quel algorithme mystérieux ?) afin de rehausser les chiffres de ceux qui ne pensent pas comme les autres (second biais). Ensuite, les questions sont orientées (on vous posera la question entre deux candidats et le résultat du sondage sera : les Français préfèrent Untel, omettant de dire qu'on ne leur a pas demandé leur avis, mais de se positionner sur un duel... Troisième biais).
Enfin, la marge d'erreur n'est jamais fournie : il s'agit de l'écart quadratique moyen, c'est-à-dire l'écart à la moyenne. Par exemple, si l'écart vaut 2, un candidat donné à 50% sera en réalité entre 48 et 52%. Donc si dans ce cas d'écart à 2, un Macron est donné à 24% et un Zemmour est donné à 18%, alors la réalité peut aussi s'écrire : Macron à 22 et Zemmour à 20, ce qui est tout à fait différent. Bien entendu, les sondeurs seraient de toute façon en peine de la fournir, étant donné qu'ils trafiquent tellement que leur bidouillage ne relève absolument pas des mathématiques.
Il est un fait, comme le souligne l'article, que les sondages ne sont pas informatifs, mais bien un énième instrument politique censé influencer les votants. Au dernier moment fleurissent des sondages un poil plus réalistes pour montrer un « retournement brutal de la tendance » qui sera, comme par hasard, plus proche du choix des urnes.
Après avoir fait du bourrage de crânes pendant des mois...
Richard
14/12/2021 à 09:24
Et pour retrouver le livre de Régine Rossi-Lagorce, c'est par ici
https://www.monlimousin.fr/produit/les-5-saisons-regine-rossi-lagorce/